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L’impuissance du port du Havre

Par Romain Duchâteau
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L’impuissance du port du Havre

Si le retour tonitruant de Paul Pogba en terre anglaise exalte les fans mancuniens, il ravive en revanche de douloureux souvenirs pour Le Havre. À l’été 2009, « La Pioche » s’envolait pour les Red Devils après seulement deux années de formation et créait via son transfert un vif et sensible imbroglio entre les deux clubs. Retour sur un épisode délicat dans le parcours du milieu tricolore.

Le déploiement d’apparat se veut à la hauteur de la destinée fastueuse qu’il entend tracer. Puisqu’il n’a de cesse de clamer publiquement vouloir « devenir une légende » , Paul Pogba a soigné son entrée. Ou plutôt son retour à Manchester United en devenant le joueur le plus onéreux de l’histoire avec un transfert estimé à 105 millions d’euros. Une folie lui permettant de succéder à Zinédine Zidane au titre de Français le plus cher de son temps. Ce goût de la mise en scène, « La Pioche » l’a toujours cultivée. Peut-être même, parfois, malgré lui d’ailleurs. Quand il avait quitté le jardin des Red Devils au cœur d’un été 2012 tumultueux, c’était avec fracas et après avoir tenu tête à l’iconique Alex Ferguson. Un départ abondamment commenté et perçu par beaucoup comme l’illustration d’un garçon au tempérament impétueux, qui fait alors suite à un autre nettement plus controversé survenu trois ans plus tôt. L’international tricolore n’affichait que seize piges lorsqu’il a pris la décision de partir du Havre pour les étoiles d’Old Trafford. Non sans quelques heurts.

Joie de vivre et indolence

Avant de s’ériger comme l’un des milieux les plus prometteurs de sa génération et de battre un record sur le marché des transferts, le parcours professionnel de Pogba prend sa source en Normandie. Après avoir commencé à câliner le cuir à Roissy-en-Brie et un court passage à Torcy, le natif de Lagny-sur-Marne appréhende un nouvel environnement à quatorze ans. Au Havre, les premières foulées apparaissent toutefois poussives et contrariées. « Lors de sa première année, son éducateur avait certes décelé du talent mais il a eu des difficultés à s’imposer » , se remémore Alain Olio, alors responsable du centre de formation du HAC. François Rodrigues, coach qui l’a encadré tout au long de sa formation au Havre, n’a effectivement pas oublié les premiers pas malaisés du joyau : « Il avait du mal à se plier aux exigences d’un centre de formation. À son arrivée, il fallait être rigoureux, notamment dans les échauffements. Au départ, tout cela lui passait un peu au-dessus de la tête. Il a surtout souffert dans la rigueur tactique nécessaire. Parce qu’il était très porté vers l’avant et avait du mal à faire les efforts pour revenir… Comme il continuait à rester dans son jeu, je n’ai pas hésité, avec pourtant tout le talent qu’il avait, à le faire jouer avec les plus jeunes en équipe réserve. Mais même là, il était content d’y aller… Ça n’a pas duré longtemps » .

Parce que si le talent du jeune et longiligne milieu de terrain ne s’exprime pas encore pleinement, il saute déjà aux yeux de tous. Pogba dégage à l’époque une aisance qui semble, parfois, confiner à l’insolence. « Paul dégageait de la facilité. Quand tu lui montrais quelque chose ou le corrigeais une ou deux fois, trois minutes plus tard les acquisitions motrices étaient bonnes. Puis il avait ce côté fantaisiste, fantasque. Paul, c’est un créatif, détaille François Rodrigues, ravi de conter ses souvenirs, avant de déclamer les qualités de son ex-poulain. Il avait déjà ce corps très grand, avec de grandes enjambées et cette capacité à éliminer dans les petits périmètres, ce que peu de joueurs du même gabarit peuvent faire. Il a une technique hors pair, pied droit, pied gauche. Il est aussi doué de toute les surfaces du pied : jeu long et jeu court. À l’époque, on s’attachait surtout à travailler son jeu long et mettre dans son bagage de jeu le renversement » . Des enseignements élémentaires, un apprentissage déterminant qui ont façonné le style de jeu actuel du néo-Mancunien. « C’est au Havre que j’ai réellement commencé à travailler l’utilisation de toutes les surfaces du pied, confiait-il début juillet. Après chaque entraînement, avec François Rodrigues, on travaillait le jeu long. Je dois vraiment le remercier. Il nous montrait comment tendre les ballons avec le cou de pied. Pas des transversales qui flottaient, non ! Des vrais ballons tendus » . Au Havre, « La Pioche » poursuit sa formation jusqu’à ce que sa trajectoire ne s’infléchisse.

« Vol » et « pillage » contre « chance exceptionnelle »

C’est à l’automne 2008 que l’intérêt de Manchester United s’éveille. « Comme il avait bien flambé avec nous à la fin du championnat, il a aussi été appelé pour le fameux tournoi qui se tient dans le Val-de-Marne avec l’équipe de France » , se souvient Rodrigues. Sous le maillot des U16 tricolores, Pogba se distingue à travers de longues courses et une facilité technique désarçonnante qui finissent de séduire le board de Manchester United. « Quand j’ai repéré Paul, cela faisait six mois que je travaillais pour Manchester. Je m’étais dit : « Ce gamin-là a quelque chose, il faut que je sécurise le truc » , témoigne l’un des recruteurs directement impliqués sur le dossier et travaillant en étroite collaboration avec les Red Devils. Je laisse toujours leur chance aux agents. J’ai organisé un rendez-vous entre Bruno Satin, agent qui a souvent travaillé avec United, et Gaël Mahé, qui représentait Pogba. On a discuté de l’intérêt qu’on avait pour le gamin et Gaël a immédiatement dit qu’il était partant. Après cela, j’ai rencontré la famille et ses parents sont venus à Manchester dans le bureau de Ferguson. Ça s’est fait comme ça » . Gaël Mahé, mandaté par les parents pour représenter le gamin jusqu’à ses dix-huit ans, ne dit pas autre chose : « Ce n’était pas une question d’argent mais uniquement la recherche de l’excellence pour lui assurer les moyens de ses ambitions qui étaient déjà très précises dans sa tête à quinze ans. Peaufiner sa formation sous l’aile de Sir Alex Ferguson qui avait personnellement supervisé son recrutement a été, à mon avis, une chance exceptionnelle pour son apprentissage du très haut niveau. Si c’était à refaire aujourd’hui, je pense qu’avec la famille on prendrait la même décision » . Les discussions s’entament et le deal est officialisé en juillet 2009.

Sauf que le club havrais s’insurge immédiatement au moment de l’annonce du transfert. Pris de court et ébranlé, le club ciel et marine dénonce les pratiques de Manchester stipulant via un communiqué que « Paul Pogba, ses parents et le HAC se sont liés par un contrat dénommé « accord de non sollicitation » (ANS) dès l’automne 2006 » et qu’ « aux termes de ce contrat les trois parties se sont engagées à se lier par un contrat « aspirant » dès lors que le joueur répondrait aux critères d’âges et de scolarité requis par la loi » . « Pour nous, Paul avait été volé, pillé malheureusement par Manchester United, explique aujourd’hui Jean-Pierre Louvel, président du Havre de 2000 à 2015. On avait vraiment déploré ça. Le club anglais a eu un comportement qui était contraire à la déontologie du football et de la formation » . Dans l’entourage de Pogba, on assure alors que le jeune n’était aucunement lié contractuellement avec le club puisqu’il n’a pas paraphé de contrat aspirant, de stagiaire pro ou encore de convention de formation. « Son départ, il est vrai, avait fait couler beaucoup d’encre mais avait été fait dans les règles de l’art, en respectant à la lettre la réglementation internationale en vigueur » , se défend Gaël Mahé. Des déclarations fallacieuses d’après Jean-Pierre Louvel qui continue d’affirmer que les Red Devils ont employé des manœuvres détournées : « Si la famille avait refusé de signer, c’est parce que Manchester avait fait le travail avant. Ils avaient promis à la famille beaucoup de choses, notamment financièrement. Manchester a volé le joueur car ils ont fait un travail sans l’accord du HAC. Ils ne sont jamais passés par le club pour faire ce genre de démarches » . Là encore, par la voix de leur agent, la famille Pogba réfute ces accusations et souligne plutôt l’amabilité des dirigeants anglais qui ont transmis un bouquet de fleurs ainsi qu’un livre de l’histoire du club aux parents. « Je peux vous assurer que Manchester United ne nous a rien donné. C’est Le Havre qui n’a pas pris soin de mon fils » , lâchera d’ailleurs Yeo Moriba, la mère de Pogboom.

Accord à l’amiable et clap de fin

En dépit du poids de l’institution mancunienne et de l’autorisation provisoire du transfert de la FIFA en octobre 2009, Le Havre a refusé de céder comme il l’avait fait lors du départ de Charles N’Zogbia pour Newcastle (2004) et s’est échiné à se faire entendre par la voix juridique. D’abord, sur le sol français, avec la Commission juridique de la LFP qui a donné raison au club à propos de l’ANS. Puis en saisissant le Tribunal arbitral du sport (TAS) et en portant l’affaire devant la Chambre de résolution des litiges (CRL) de la FIFA. « Les textes ne nous permettaient pas de conserver le joueur puisque l’arrêt Bosman était passé par là. On a toutefois pu menacer Manchester de sanctions devant la FIFA, expose Louvel. Le club a alors accepté de négocier et nous avons fini par trouver un accord » . Un accord à l’amiable aux accords strictement « confidentiels » officialisé en mai 2010 qui permet au club havrais de percevoir une compensation financière au nom de l’effort de formation. Un bonus à la revente est aussi inclus mais le destin s’acharnera encore contre le HAC, comme le regrette l’ex-président havrais.

« Ce qui est paradoxal dans cette histoire, c’est que nous avions des accords avec Manchester pour la suite avec Pogba, indique-t-il. Mais Paul et sa famille n’ont pas signé le protocole d’accord qu’ils avaient avec eux. Ce qui fait que United s’est fait à son tour piller par la Juventus. Et, aujourd’hui, ils ont dépensé plus de 100 millions d’euros pour le récupérer… L’histoire est tout de même assez cocasse » . Tout comme le communiqué du club amateur de Torcy qui profitera de cette polémique pour se payer le HAC et dévoiler leurs agissements à l’exemplarité contestable : « Nous n’emploierons pas le terme « voler » , mais les recruteurs Havrais ont agit de la même manière avec le club de Torcy. Organisation de stage sans l’accord du club, signature d’une licence amateur sans prévenir, signature d’un « pseudo ANS, accord de non sollicitation » jamais reçu à l’US Torcy alors qu’on doit en avoir un exemplaire s’il est correctement enregistré à la LFP » . Près de six ans plus tard, les rancœurs devraient toutefois s’atténuer grâce à la « contribution de solidarité » qui permettra à chaque club où Pogba est passé de toucher un pourcentage du transfert faramineux. Et, pour une fois, l’histoire s’achèvera sans heurts ni amertume.

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Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Paul Pogba et Yeo Moriba extraits de L’Équipe et France Football

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