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L’impossible mortalité de Falcao
Après avoir manqué le Mondial de sa consécration à cause d'une blessure subie en Coupe de France, Radamel Falcao est en train de manquer la Copa América de sa rédemption sur le terrain. À 29 ans, le héros est déjà tombé plusieurs fois et a toujours fini par se relever. Et cette fois ? Le Tigre est-il tristement enfin mortel ?
Lorsque Falcao entre sur la pelouse de l’Estadio Monumental de Santiago il y a une semaine, prêt à affronter le Brésil qu’il avait manqué l’été dernier, le tableau ressemble drôlement à la première scène d’un film fantastique de super-héros. Les cheveux rasés sur les côtés et finement peignés au-dessus du front. La carrure forte mais affinée. Le pas affûté, félin. Le numéro 9 imposant, débordant d’autorité. Ce brassard lourd de prestige et de responsabilité. Et surtout ce regard déterminé du champion qui ne tolère pas la défaite. Dans ce genre de films, Falcao a toujours excellé. On l’avait trouvé remarquable dans le titre de River Plate en 2008. Fabuleux dans le triplé de Porto en 2011 et ses 18 buts européens en seize matchs. Intraitable lors de deux saisons fantastiques à l’Atlético, du titre européen de 2012 à la Coupe du Roi au Bernabéu en 2013. Et, enfin, héroïque sous le maillot de la Colombie lors des éliminatoires du Mondial 2014 et les amicaux précédant cette Copa América. D’ailleurs, à partir du printemps 2011, la carrière du Colombien devait ressembler à l’ascension rapide du meilleur numéro 9 de la planète.
Les chutes et les retours du Tigre
Mais entre ces chefs-d’œuvre, le Tigre a chuté. Plusieurs fois et pour des raisons différentes. Pro à treize ans pour Lanceros Boyaca, Falcao est ensuite refusé par son club Millonarios à quinze piges, avant d’être envoyé en Argentine. À River Plate, le Colombien doit patienter quatre ans chez les jeunes avant de goûter à nouveau au football professionnel en 2005. Mais en novembre, Falcao tombe : ligaments croisés du genou droit. En janvier, une autre opération est nécessaire. Le retour est retardé jusqu’à septembre 2006, à 20 ans. Après deux saisons compliquées, Falcao s’épanouit dans le football de Diego Simeone. Lorsqu’il s’envole vers l’Europe en 2009, la référence du football argentin ne vaut que quelques millions d’euros pour Porto. Là, tout s’accélère. En deux saisons chez les Dragons, Falcao marque 72 buts en 87 matchs. Pourtant, le Vicente-Calderón n’est pas tendre à son arrivée à Madrid, qui coïncide avec la fin désordonnée de la période du coach Manzano. Critiqué pour son manque de participation dans le jeu dans une Liga qui n’a que le mot toque à la bouche, Falcao est même sifflé par son propre public. Ses débuts sont décents, mais ça ne suffit pas. En décembre, Diego Simeone reprend la main, et la décence se transforme en indécence – envers ses adversaires. À ceux qui lui disaient qu’il ne savait pas faire une remise du pied droit, Falcao répond par des lucarnes du pied gauche. Et toujours sur les plus belles scènes. En 91 matchs, Falcao marque 70 buts et redevient indiscutable.
Lorsqu’il arrive en Ligue 1 à Monaco pour 60 millions d’euros en 2013, le numéro 9 vient donc de marquer 142 buts en 178 matchs en quatre saisons au Portugal et en Espagne. Pourtant, le doute refait vite surface. Souvent blessé, Falcao joue peu, mais marque. Lorsqu’il se blesse dramatiquement en 16e de finale de Coupe de France, le Colombien s’arrête à onze buts en 19 matchs. Nouvelle chute pour le Tigre, qui s’endort profondément. Après cinq mois de récupération express, l’avant-centre se réveille trop tard pour le Mondial, mais assez tôt pour être transféré vers le projet de Van Gaal à Manchester United, son quatrième club européen en six ans. Un véritable échec : quatre buts, beaucoup de banc et des problèmes physiques. Quand il ne se blesse pas, Falcao semble faire des mauvais choix de carrière. « Semble » , parce qu’il ne les fait pas vraiment. Si Falcao ne joue pas la C1 (après l’avoir jouée à son arrivée à Porto), il devient surtout un symbole du joueur-objet sud-américain qui se fait balader de pays en pays par ses agents. « Ça me fait rire quand on me demande pourquoi je ne suis pas resté dans tel ou tel club, ou pourquoi je n’ai pas essayé de jouer pour une autre équipe, comme si en tant que joueur on avait le choix. Et vous les journalistes, pourquoi vous ne bossez pas pour CNN ou ESPN ? C’est pareil en football : les situations où le joueur peut faire le choix d’aller dans un club précis sont très rares. Très souvent, je n’ai pas pu vivre comme je le voulais. Je voulais aller quelque part et je finissais ailleurs » , déclare Falcao en pleine convalescence. Aujourd’hui, alors qu’on ne connaît pas encore sa prochaine destination, malgré l’insistante rumeur de Chelsea, Falcao a retrouvé du temps de jeu.
Confiance et immortalité
Mais mercredi dernier, malgré le costume de super-héros, Falcao s’est montré tristement mortel. Pris au marquage par un Thiago Silva impérial et rattrapé par un Miranda vigilant, le 9 n’en a pas touché une devant un public colombien infernal et prêt à le célébrer. Même Téo Gutiérrez a essayé de le faire briller. Après une remise du talon, Falcao a dévissé une frappe avant d’avorter un contre prometteur d’une lourde envoyée en plein dans la pollution de Santiago. Un peu transparent, un peu mauvais, Falcao n’a pas rassuré contre le Pérou. Le Tigre s’est-il endormi pour de bon ? Pas pour les siens. Cette saison à Bogota, les taxis qui passent leur vie dans une circulation chaotique ont eu le temps d’insulter Louis van Gaal de tous les noms.
Le joueur reste aussi soutenu par son sélectionneur, qui semble convaincu qu’un but changerait tout, comme toujours. Seulement, Falcao ne peut exister à travers la recherche désespérée d’un but salvateur et perdre sa lucidité dans le reste du jeu. Surtout pas face à la possession argentine. En manque de confiance, le héros semble manquer de ressource au pire moment, à l’image de certaines versions de Fernando Torres et Andreï Shevchenko par le passé. Peut-il encore se relever et lancer une nouvelle lucarne inattendue du pied gauche au milieu du match le plus important de sa saison ? On veut l’espérer. Après tout, qui peut croire à la mort d’un héros qui a si souvent prouvé son immortalité ?
Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili
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