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Lillo-Guardiola, l’heure des retrouvailles
Dernier entraîneur de la carrière de joueur de Pep Guardiola en 2006, Juanma Lillo serait en passe d'être nommé adjoint du technicien catalan à Manchester City. Forcément, sur le papier, ça fait saliver. Voilà pourquoi.
Il est possible de se balader dans un vieux survêtement et de donner des leçons de style. Un jour de septembre 1996, quelques minutes après un match assez fou à Oviedo, Pep Guardiola file cogner à la porte du vestiaire local. Le Barça a beau s’être imposé (2-4) au bout d’une seconde période à six buts, rarement les Blaugrana n’avaient autant eu à cavaler après le ballon. Alors, au moment où la porte s’ouvre, Guardiola n’hésite pas : « Juanma, ton équipe m’a enchanté. » À cet instant, Pep n’est encore qu’un type qui passe sa vie en short et avec des crampons scotchés au pied, mais au fond de lui, le Catalan est déjà un cannibale. Guardiola veut tout savoir, tout comprendre sur le jeu, alors il va se mettre à dévorer tout ce qu’il trouve et à rencontrer tous les hommes capables d’ouvrir son esprit.
Il y aura Cappa, La Volpe, Menotti, Bielsa. Il y aura surtout Juanma Lillo, rencontré sur le bord d’une pelouse dans les Asturies et qui sera le dernier entraîneur de sa vie, au Mexique, chez les Dorados de Sinaloa, en 2006. Pourquoi ici ? « Il était venu pour apprendre », a un jour assuré Eliseo Martinez, membre du staff du club mexicain. Apprendre de Lillo, principalement, adepte du jeu de position, que celui qui fut l’adjoint de Sampaoli à Séville a un jour défini ainsi : « Le jeu de position, c’est essayer de ne pas aller contre la nature de ce jeu. C’est tout. » Juanma Lillo, comme Menotti, comme Cruyff, comme Guardiola, est un coach qui souhaite voir ses équipes jouer et ses hommes avancer avec le ballon dans les pieds. Rien d’autre.
Bourrasque en prévision
« On doit tout faire en fonction du ballon, c’est l’acteur principal, soufflait-il dans une interview donnée au Blizzard, en 2011. Sans ballon, il n’y a rien. La balle est la mère, la source de vie du football.
Quel est le but ? Que le ballon aille au fond des filets. Sans le ballon, rien n’a de sens. » Autre chose ? Oui, à défaut de briller balle au pied, Juanma Lillo est devenu un cerveau : un homme qui aime raconter avoir 10 000 livres et magazines chez lui, considéré par beaucoup comme l’inventeur du 4-2-3-1 et comme le philosophe central de la méthode Guardiola, qui aura également fait tout rafler à l’Espagne entre 2008 et 2012. Ainsi, il n’est pas nécessaire de le juger sur son CV, mais il est plutôt bon de l’écouter. Lillo est un homme du comment plutôt que du combien. À ses yeux, c’est d’ailleurs tout ce qui compte, comme il le racontait, toujours au Blizzard : « Ce qui vous enrichit, c’est le jeu, pas le résultat. Le résultat est une donnée. Le taux de natalité augmente. Est-ce enrichissant ? Non. Mais le processus qui a conduit à cela ? Maintenant, c’est intéressant. L’épanouissement vient du processus. Vous débattez du jeu, pas des résultats. Les résultats ne sont pas discutables, ils sont ce qu’ils sont. Achetez-vous le journal du lundi matin pour un euro pour seulement voir l’ensemble des résultats ? Allez-vous au stade à la dernière minute du match pour voir le tableau d’affichage et partir aussitôt ? Vous regardez les 90 minutes, soit le processus. » Et vingt-quatre ans après leur rencontre, ce qui devait arriver un jour semble en passe de se concrétiser : Pep Guardiola et Juanma Lillo vont de nouveau être réunis. Forcément, on se dit que le monde du foot n’est pas prêt à résister à une telle bourrasque.
« Vous avez besoin de comprendre… »
Pour remplacer Mikel Arteta, parti à Arsenal en décembre 2019, Guardiola cherchait un adjoint capable de le stimuler en permanence tactiquement. Plusieurs profils ont été étudiés, Vincent Kompany et Xabi Alonso en tête, mais Lillo, 54 piges, qui a toujours évoqué le coach de Manchester City comme « un fils » ou un « frère jumeau », serait bien sur le point de faire ses bagages pour l’Angleterre après quelques mois passés en Chine, à Qingdao. Les deux hommes auraient pu travailler ensemble plus tôt, en 2003, lorsque Lluis Bassat s’était présenté aux élections présidentielles au Barça, qu’il rêvait d’installer Pep Guardiola en directeur sportif et Juanma Lillo sur le banc, mais Bassat s’est incliné. Finalement huit ans plus tard, Pep coupa la tête de Juanma, alors entraîneur d’Almería et réduit en bouillie par le Barça chez lui (0-8). Il fallait donc un jour qu’ils se retrouvent et qu’ils accouplent leurs idéaux.
Cela ressemble à la construction d’un nouvel étage de la fusée qu’est Pep Guardiola, et pour s’en convaincre, il suffit, une dernière fois, d’écouter ce que disait en 2011 Lillo sur l’importance de la compréhension du processus par les joueurs :
« Vous avez besoin de comprendre. Vous savez que pour récolter du liquide, avoir un bol rond et profond est utile, une cuillère également. Pour manger un steak, vous avez besoin d’une assiette plate, d’un couteau tranchant et d’une fourchette. Mais vous devez avant tout savoir si ce qui est en face de vous est une soupe ou un steak. Vous devez reconnaître ce qu’il y a face à vous avant de juger et de prendre les outils adéquats. Un autre exemple : les gens confondent une carte avec le territoire. Je sais où aller pour rentrer chez moi, j’ai même un GPS pour m’aider. Mais il s’agit de la carte, pas du territoire. Ça ne me dit pas si les routes sont en bon état ou si un chien traverse la route face à moi. C’est ce que je veux dire en parlant de culture : vous devez savoir comment réagir, quand freiner, quand se déporter. La carte vous montre où vous allez, la route que vous prenez, mais pas comment l’aborder. Si vous heurtez ce chien et que vous sortez de la route, et ensuite ? Ce qui compte vraiment, c’est la relation au temps et à l’espace. » Et c’est ce qu’a un jour appris Lillo à Guardiola. Mais ensemble, jusqu’où peuvent-ils aller ? Tout le monde est curieux de le savoir.
Par Maxime Brigand