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Dans la tête de Bruno Genesio
Battre José Mourinho, Carlo Ancelotti et Diego Simeone en 78 jours : qui dit mieux ? Personne. Mais comment Bruno Genesio fonctionne-t-il pour réussir ces performances complètement dingues ? Ils ont vu le coach du LOSC œuvrer, ils racontent.
→ Mathieu Valbuena : « La plus grosse erreur de Lyon, c’est de l’avoir laissé partir »
57 matchs avec Bruno Genesio à l’OL (2016-2017)
« Derby contre Saint-Étienne (février 2017). Il fait jouer (Memphis) Depay à ma place. Je suis un peu énervé, je trouve ça injuste. On perd 2-0. Le moment est compliqué. On est attendu après le match par les supporters, etc. On joue Nancy trois jours après. Les supporters font vraiment la grève… On se fait siffler. Je suis titulaire. Au bout de 30 minutes, je me fais mal à la cuisse, ça lâche. Le temps que Memphis se prépare pour me remplacer, un ballon arrive dans la surface. Je me dis que je vais frapper de mon autre jambe. Je la mets en lucarne. Je sors sur ça. Bruno me dit dans l’oreille : « Toi, t’es un sacré bonhomme. J’ai rarement vu des joueurs avec de sacrées cojones. Même blessé, tu n’as rien lâché. » Notre relation a changé à partir de là.
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Au début, il n’était pas trop ma tasse de thé. Je ne jouais pas, j’avais l’impression que c’était injuste. Mais à force de le connaître comme coach et comme homme, il m’a vraiment beaucoup apporté. La finalité, c’est qu’on se voit en dehors désormais, chose que je n’aurais jamais imaginée.
Bruno, c’est sa spontanéité et son caractère. Je l’ai connu comme adjoint de Hubert Fournier à Lyon. Il avait une façon de voir le foot… Un passionné, je l’ai vu directement. Il a été vite mis en avant en reprenant l’équipe à mi-saison (décembre 2015). Dans ses discours d’avant-match, il savait nous parler, il arrivait à toucher ses joueurs. Et Bruno nous faisait jouer au ballon, avec de vrais principes de jeu. Cela se reflétait sur le terrain. On avait fini deuxièmes, en mettant par exemple 6-1 à Monaco lors de la dernière journée. Il avait deux casquettes : à la fois dans la communication, proche de ses joueurs, mais il était aussi exigeant. Il s’est toujours donné à fond pour son métier. C’est quelqu’un qui arrive à se ressourcer en famille pour ensuite repartir. Et quand il a un projet, il s’y met à fond. Des fois, on en reparle : le plus grand regret, c’est cette demi-finale de Ligue Europa contre l’Ajax. On perd 4-1 à l’aller, on gagne 3-1 au retour. On a loupé de peu la prolongation.
Il aime arriver le matin, saluer son vestiaire, blaguer et rigoler un petit peu, et ne pas toujours parler que de football. On n’avait pas peur d’aller le voir, de chambrer. Il savait faire la part des choses, car ensuite, à l’entraînement, il y avait beaucoup de rigueur. Sa qualité, c’est aussi qu’il parvient à garder un vestiaire concerné. Il communique beaucoup avec les joueurs, surtout ceux qui ne jouent pas.
La plus grosse erreur de Lyon, c’est de l’avoir laissé partir. Tout ce qui lui est arrivé à l’OL l’a énormément affecté, car c’est un vrai amoureux du club, mais aussi parce que cela a touché sa famille. Après son départ, Lyon a eu des difficultés sur le banc. Beaucoup de gens prédisaient qu’il n’était qu’un entraîneur très moyen. Objectivement, il mérite tout ce qui lui arrive. Je suis très content de le voir évoluer et progresser. Il a reçu d’énormes critiques… Même quand ça allait bien, on ne le mettait pas trop en avant. On se moquait de Pep Genesio. Comme numéro 1, il a mis tout le monde d’accord en peu de temps. »
→ Amine Gouiri : « C’était un grand fan de Manchester City »
67 matchs avec Bruno Genesio à l’Olympique lyonnais (2017-2018) et au Stade rennais (2022-2023)
« En arrivant à Rennes, on était sur 16 matchs sans défaite. On va à Lille, avant la trêve de la Coupe du monde (2022). On fait 1-1, un des pires matchs de la série. Derrière, on a fait 40 minutes de vidéo. Il ne nous a pas caressés dans le sens du poil, même si on était sur 17 matchs sans perdre. Il avait été dur. Quand on est sortis de la vidéo, on s’est dit que c’était pour notre bien. Tout le monde adhère. Bruno Genesio, c’est l’exigence. Même aux entraînements, il va tout regarder. Il nous laisse libre, mais les horaires aux entraînements, aux causeries, aux séances vidéo, tout cela est primordial : il faut arriver à l’heure ! Si tu es en retard à la causerie, tu passes de titulaire au banc et du banc à aller en tribune. Je me souviens d’un match face au PSG. Hamari Traoré était capitaine. Il arrive en retard à la causerie, prévue à 19 heures. Le coach dit au team manager de fermer la porte à clé. C’était le capitaine, mais le coach n’avait pas changé pour lui et l’avait mis sur le banc. On avait gagné. Hamari avait compris. Si tu fais ça au capitaine, ça interpelle tout le monde. Et la causerie d’après, je peux te dire que chacun était en avance.
Il cherche toujours à bien faire jouer ses équipes. À l’entraînement ou en match. Il disait tout le temps : « On joue comme on s’entraîne. » Il a ses principes de jeu. Un football offensif. Il veut qu’on respecte ça, qu’on joue. Il aime que son équipe prenne du plaisir. C’était un grand fan de Manchester City. Il nous a déjà montré des vidéos d’eux. Il prenait beaucoup sur la manière de comment ils jouent, avec et sans le ballon. Il aime étouffer l’adversaire. Monopoliser le ballon, quelle que soit l’équipe, que ce soit le Real Madrid ou le dernier. Il gardera toujours ses principes d’avoir la balle, de prendre des risques, de jouer, de presser. Exigeant aussi sur la qualité technique. Il ne laisse rien passer. Un contrôle, une mauvaise passe… Il ne va pas hésiter à le dire, que ce soit à un grand ou un “petit” joueur. C’est aussi pour ça qu’on l’apprécie. Il parle et met tout le monde au même niveau. »
→ Gilles Rousset : « Il ose des coups que d’autres n’oseraient pas »
Dans le staff de Bruno Genesio au centre de formation de l’OL et en Chine
« Il s’est construit au fur et à mesure. Sous ses airs tranquilles, c’est un gros bosseur. Les gens ne le perçoivent pas comme ça, mais c’est quelqu’un de très chaleureux, très humain, qui attache beaucoup de valeurs à l’homme. Avoir été adjoint lui a amené cette proximité avec les joueurs. Il aime le jeu. Il aime les joueurs qui ont du ballon. Il aime avoir la possession. Et il a de l’intuition, un peu de pif. Il sent les choses. Il ose des coups que peut-être d’autres n’oseraient pas, comme mettre des joueurs offensifs et exercer un pressing très haut contre des grosses équipes. Il aime essayer de poser des problèmes auxquels l’adversaire ne s’attend pas. Ce n’est pas pour rien que ses équipes battent souvent les gros. Il est très ouvert, il discute beaucoup avant les séances. C’est toujours lui qui donne les thèmes, il est le chef d’orchestre, et ensuite il nous invite à collaborer avec lui. Il laisse de la latitude à ses adjoints pour proposer. C’est très agréable.
Dans ses entraînements, c’est de l’intensité, du jeu, et peu de temps morts. Il veut beaucoup de rythme. Il disait toujours : « Allez, on enchaîne, on enchaîne, on enchaîne ! » Il n’est pas adepte des grands discours entre les séquences d’entraînement. Il n’aime pas arrêter le jeu, discuter, remettre en place. C’est ce qui m’avait marqué. Il aime la bonne humeur. Ce n’est pas quelqu’un de fermé, de rigide. Absolument pas. Ceux qui le connaissent bien savent que c’est un bon vivant, il aime la vie, il aime déconner, chambrer. Il a ce côté joueur, qu’on retrouve un peu dans ses aspirations, dans ses tactiques, dans ses compositions. C’est un mec très agréable et très généreux. Quoi que les gens peuvent en dire, ses équipes jouent bien au foot. Il mérite d’être reconnu, maintenant. Ses résultats parlent pour lui. »
→ Damien Da Silva : « J’aurais aimé travailler plus longtemps avec lui »
8 matchs avec Bruno Genesio au Stade rennais (2021) « Je suis beaucoup attaché au plan humain. Lui aussi, il est axé sur ça. Humainement, j’ai adoré. Cela n’a pas été très long, malheureusement. J’aurais aimé travailler plus longtemps avec lui. Son style de management, le relationnel, être proche des joueurs, c’est très intéressant. Ça nous met en confiance, ça nous fait sentir à l’aise dans un groupe. C’est une personne très franche, honnête, qui sait vous dire les choses. Quand il est arrivé, le Stade rennais n’allait pas très bien. À ce moment-là, j’enchaînais beaucoup de matchs. Ce n’était pas mes meilleures performances, j’étais un peu fatigué, émoussé. Il m’a parlé franchement, et m’a dit : « Tu ne vas pas commencer demain. » Forcément, ça ne m’a pas fait plaisir. (Sourire.) Il ne m’a pas laissé dans la galère du truc où il fait son choix sans m’en parler. J’ai apprécié qu’il me parle comme ça.
J’ai rejoué ensuite, et ça s’est très bien passé. Dans ses causeries, on sentait aussi qu’il était vrai, entier, à 100%. Il vivait ces moments-là. On sentait que c’était l’homme qui parlait. Ça nous touchait. Six mois plus tard, je pars à Lyon. Et, là aussi, les discussions ont été franches. En fin de saison, il m’a beaucoup parlé de l’OL, et je n’ai pas senti qu’il avait de la rancœur. Au contraire. Il aurait pu totalement démonter le truc de Lyon, il ne l’a pas fait. Il m’a expliqué ce qui allait être bien et pas bien là-bas. Il m’a exposé les faits et m’a dit de faire mon choix. J’avais adoré cette discussion avant que je ne parte. Ses séances d’entraînement ? On prenait du plaisir, avec beaucoup de jeu. Et aussi, en revanche, le côté exigeant. Il va vous rentrer dedans s’il ne sent pas les mecs, parce qu’il vit le truc. Il va exprimer ses sentiments, sans les cacher. Des séances animées, avec de la voix. »
→ Jordy Gaspar : « De cette réunion, j’en suis sorti choqué »
3 matchs avec Bruno Genesio à l’OL (2016-2017)
« C’est le coach qui m’a lancé, je ne l’oublierai jamais. Il m’a beaucoup marqué. Avant d’être un entraîneur, c’est quelqu’un, humainement parlant, que j’ai trouvé exceptionnel. Il avait ce truc d’être à l’écoute des joueurs. J’étais beaucoup plus jeune, je n’avais pas forcément le même statut que les autres. Quand on est jeune, on se sent moins écouté. Avec Genesio, c’était différent. Il avait cette facilité de pouvoir communiquer avec tout type de joueurs. Il y avait des ego, tel Clément Grenier, avec qui il fallait trouver les bons mots. Toujours la bonne méthode. Dans son management, il était fort.
Je n’étais pas encore pro. Je me faisais attraper par n’importe qui au club. Je suis convoqué dans son bureau. J’appréhendais qu’il me dise : « Garçon, si tu ne signes pas, tu ne joues plus. » Mais non. Il avait le souci que je sois bien dans ma tête. Il m’avait conseillé de signer, mais pas à n’importe quel prix. Il me disait : « Comment ça va ? Je veux que tu restes focus. J’ai besoin que tu sois bien, tranquille. Entoure-toi des bonnes personnes. Je suis content de ton travail. » Je suis sorti choqué. C’était la grande classe. À cette période-là, j’avais besoin de ça. Quand on prend sa trajectoire, il ne faut pas oublier qu’il était adjoint. Être un peu l’intermédiaire, être proche, ce sont vraiment les caractéristiques des adjoints. Lui savait jouer avec ces casquettes-là. À Lyon, on avait des résultats. Mais après une défaite, tout le monde lui tombait dessus facilement. Je ne l’ai jamais senti vraiment touché. Quelque part, je dirais qu’il était un peu préparé. Il a gardé ses principes, il est resté Bruno Genesio jusqu’au bout. Je le trouvais avec une vraie force tranquille. »
Propos recueillis par Timothé Crépin