- Ligue 1
- J5
- Lille-Bordeaux
Lille mystérieuse
À cinq heure de la clôture du mercato estival, le LOSC a vendu son meilleur buteur et l'un de ses rares joueurs aguerris à la Ligue 1. Sans le remplacer. Un choix étonnant qui interroge sur les moyens des ambitions lilloises.
Centre de Mariano. Déviation de la tête de Sertic, le ballon atterrit dans les pieds de Ludovic Obraniak. Seul à l’entrée de la surface de réparation, le numéro 4 bordelais met une demi-volée croisée dans le petit filet, qui donne la victoire aux Girondins dans le temps additionnel d’un match fou (4-5). La victime ? Lille, soit le club qu’Obraniak a quitté un mois plus tôt et qu’il retrouve pour la première fois. Nous sommes le 12 février 2012. La veille, le FC Istres a battu Tours grâce à un but de Nicolas de Préville. Et aujourd’hui, tout a changé. Mariano est en Turquie, Sertic à Marseille, Obraniak à Auxerre, plus personne n’est à Lille, et Préville n’a pas marqué moins de buts que Nicolas Fauvergue en Ligue 2. Seule reste, pour le LOSC, la douleur de voir revenir un ex danser dans son salon. Avec en prime un sentiment d’inachevé au goût amer : car Nicolas de Roussel de Préville n’aura même pas besoin de marquer pour faire de la peine aux Lillois.
Insultes et points d’exclamation
Il est 18h48, le jeudi 31 août, quand les Girondins officialisent les premiers une rumeur qui courait de plus en plus vite : « Nicolas de Préville est bordelais ! Le joueur du @losclive s’est engagé pour 4 ans ! Bienvenue Nicolas ! » Une joie exprimée en points d’exclamation qui contraste avec les réactions des supporters lillois, quelques minutes plus tard. À peine le départ du buteur tweeté par le club de Gérard Lopez, les messages d’incompréhension, au mieux, déferlent. Sportivement, le choix est difficilement justifiable. On parle du meilleur buteur de la saison précédente (14 buts), d’un homme dans la force de l’âge (26 ans) et de l’un des rares joueurs sur lesquels une équipe en construction pouvait compter dans les moments difficiles, en témoigne la merveille envoyée dans la lucarne de Letellier, quatre jours plus tôt à Angers.
Au-delà des chiffres et des gestes, ce qui fait grincer, c’est aussi le coup de balai passé sur l’histoire récente du club. Le départ de l’ancien Rémois, toujours irréprochable dans l’engagement, est la goutte d’eau qui fait déborder un vase rempli par les renvois en catimini de Mavuba et Basa, par la gestion du cas Enyeama, ou même par le prêt de Xeka à Dijon. Le LOSC en est arrivé à un point où voir partir un joueur qui a donné satisfaction sur une petite demi-saison est un crève-cœur. Comment s’attacher lorsque tout est éphémère ? Par les annonces, peut-être. Sauf qu’une fois le deal acté, le club s’est muré dans le silence.
« Qu’est-ce que t’as fait des sous ? »
Il y avait pourtant des pistes. Le nom d’Adama Traoré était cité. Ou encore celui de Wilfried Bony, qui a confié récemment avoir été approché par le LOSC. Sauf que personne n’est arrivé, et que la question qui se pose maintenant est la suivante : pourquoi avoir acheté pour plus de 70 millions d’euros (3e club français le plus dépensier de l’été), si c’est pour se retrouver à devoir vendre un élément-clé au bout du compte ? Quand Préville déclare qu’ « au mois d’août, on m’a signifié que le club avait besoin d’argent et qu’il allait essayer de me vendre » , c’est un air connu qui vient chatouiller les oreilles lilloises. Un air dont le refrain résonnait régulièrement dans les travées de Pierre-Mauroy, et qui faisait quelque chose comme « Michel Seydoux, qu’est-ce que t’as fait des sous ? » En ligne de mire, les ventes estivales des meilleurs joueurs pour équilibrer les comptes. Sympa, l’ancien président le plus détendu de Ligue 1 avait prévenu, avant de passer la main : « Les supporters ne pourront plus dire Seydoux des sous, ils devront dire Lopez du pèse. » Il a prévenu, car il savait.
La quadrature du cercle vertueux
« La réalité est que le club, d’un point de vue structurel, fait encore des pertes et que les investissements ne sont pas comptés dans ces pertes-là » : si ça sonne comme du Seydoux, les mots sont bien de Gérard Lopez. Au lendemain du transfert de son attaquant, le boss tente d’expliquer à La Voix du Nord un choix étonnant. En résumé : l’argent frais est réservé au projet « Unlimited » , et au LOSC Lille SA de combler son découvert. Ou encore : d’un côté des investissement dans le trading de joueurs, de l’autre un club prié de réduire la voilure tout en augmentant ses recettes, hors mutations, pour atteindre l’équilibre. Un double objectif qu’Ingla avait résumé en une recherche de « cercle vertueux » en début de saison. À moins qu’il ne s’agisse d’une quête de la quadrature du cercle.
Quoi qu’il en soit, le chemin vers cet idéal passera par le terrain. Et là, l’optimisme béat danse avec le catastrophisme hâtif. La troupe de Bielsa a été, tour à tour, louée puis descendue, déjà. Sauf par le chorégraphe Bielsa himself, dithyrambique cette semaine en conférence de presse : « Je n’ai jamais vu autant de professionnalisme mis au service du club et des transferts. Je n’ai jamais eu de meilleures conditions de travail que celles-ci » , avance l’Argentin. Même sans Nicolas de Préville donc, mais avec un pivot habile de la tête (Ponce), des ailiers à adapter (El Ghazi, Pépé), voire des jeunes à intégrer (Faraj, Habbas). Quant au néo-Bordelais, loin de ces considérations au moment de clamer sa satisfaction d’arriver « dans un club sain » , il se contentera de faire en Gironde ce qu’il a toujours fait : donner de l’engagement et du plaisir. Quitte à faire de la peine à son ex.
Par Eric Carpentier