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Lille, la toile sans cadre de Bielsa

Par Eric Carpentier
6 minutes
Lille, la toile sans cadre de Bielsa

On attend de Bielsa qu'il esquisse un jeu parmi les plus agréables à voir de Ligue 1. Sauf que jusqu'ici, si le premier trait était séduisant, les suivants ont plutôt tenu du brouillon. Peut-on réaliser une belle œuvre sans lignes structurantes ? Réponse avec trois artistes passés par l'école lilloise.


C’est un principe connu des amateurs de puzzle : toujours commencer par le cadre. Ensuite seulement, remplir. Mais il faut croire que Marcelo Bielsa n’est pas un amateur. Peu lui importe le temps d’aboutir au résultat, il préfère le geste. Et celui de commencer par fragments pour finalement faire jaillir l’œuvre lui apparaît plus digne du jeu. Sauf qu’en football, le temps est une denrée rare. Et après deux défaites à Strasbourg et, surtout, contre Caen, les premières critiques s’élèvent. Il y a celles à propos du physique et son corollaire, les blessures, et celles concernant l’équilibre d’un groupe parfois perçu comme trop jeune. Ces dernières questions, l’Argentin les avait anticipées avant la première journée de la saison, en conférence de presse : « L’âge des joueurs et le nombre de matchs disputés sont des facteurs importants. La jeunesse a des avantages et des inconvénients. D’un côté, il y a le manque d’expérience. De l’autre, il y a la fraîcheur, le courage et la témérité. » Alors, verre à moitié plein, ou à moitié vide ? Tentative de réponse avec trois anciens briscards du club.

Des chiffres et des jeunes

À eux trois, ils chiffrent 622 matchs et quinze ans d’histoire lilloise. Autant dire que Laurent Peyrelade (1997-2001, 132 matchs), Grégory Tafforeau (2001-2009, 289 matchs) et Ludovic Obraniak (2007-2012, 201 matchs) sont des observateurs attentifs de ce LOSC jeune et ambitieux. Ils ont vu, lors de la réception de Caen, s’avancer l’équipe la plus juvénile de ces quinze dernières années avec 22,2 ans de moyenne d’âge. Une révolution, alors qu’il y a un an, Antonetti couchait sur la feuille le onze le plus âgé (29,9 ans). C’était pour la réception de Qabala (1-1), avec un résultat final que personne n’a oublié. Un parallèle qui permet de relativiser l’importance de l’âge, ainsi que le souligne Ludovic Obraniak : « Je ne pense pas que ce soit un problème en soi. Les joueurs qui sont là sont amenés à se développer. Et puis on est dans une nouvelle époque, c’est le pouvoir aux jeunes ! » Et pas question pour lui de verser dans la nostalgie grincheuse : « Moi, ça ne me dérange pas. T’as des jeunes très matures qui peuvent être des leaders, plus qu’un joueur qui a la trentaine, mais moins de charisme. » Un avis partagé par Lolo Peyrelade depuis Rodez, club qu’il dirige en National : « J’ai un groupe très jeune et ça ne me dérange pas. On peut être un cadre à 23 ans. Les performances, la personnalité font que tu deviens un leader. Il n’y a pas que l’expérience et l’âge. »

Le problème, c’est donc de laisser le temps à la jeunesse de se développer. Et là, Grégory Tafforeau pointe une limite propre au monde professionnel : « Une progression, et il y en aura, demande du temps. Mais en attendant, il faut bien jouer le week-end et prendre les points ! » Le risque, pour l’ancien capitaine, se nomme l’inconstance : « Il y a de la qualité dans ce groupe, techniquement, c’est fort. Mais il faut le voir tous les week-ends, s’interdire de descendre sous un certain niveau, pose celui à qui a été donné le brassard en raison, justement, de sa constance. On l’a vu avec El Ghazi, très bon contre Nantes, mais transparent ensuite, ou le petit Araujo, qui a baissé les bras assez vite contre Caen. Un ancien, il peut te dire qu’un match tourne très vite, qu’il ne faut rien lâcher. » Et de rappeler l’état d’esprit qui animait le LOSC dans les années Vahid ou Puel : « L’image du club, c’était le caractère. Quelques années en arrière, les adversaires, quand il jouaient Lille, ils se disaient : « Putain, on va en chier ce week-end ! » Ça, ça manque. Après, on dit qu’une équipe ressemble à son coach, et on connaît Bielsa… »

« Bielsa joue gros, il a le club comme il voulait l’avoir »

L’aura et l’exigence d’El Loco seront-elles en mesure de compenser les défauts de la jeunesse ? « Oui » , répondent en chœur les trois anciens Dogues. Peyrelade, « fan de Bielsa » , développe sa pensée : « Bielsa peut remplacer les cadres qui ne sont pas sur le terrain, car il est charismatique, c’est un travailleur de folie. Partout où il est passé, il a fait des choses fantastiques ! Il n’y a aucune raison que ça ne soit pas le cas à Lille. » Et de prévenir : « Laissons-lui le temps de travailler, et attention quand ça va démarrer. Il va falloir être là, parce qu’on va en prendre plein les yeux. » Quant à Obraniak, il n’oublie pas son pote Béria : « Franck, il a ce rôle du taulier, de grand frère, qu’il exerçait déjà dans le vestiaire. Même sans être sur le terrain, il bosse directement avec les joueurs. Il s’occupe de tout l’environnement lié aux joueurs, il est aux petits soins pour leur bien-être. Et donner des conseils pour faire profiter de son expérience fait partie de ses attributs. » Pour l’Auxerrois, l’ancien latéral est même une pièce essentielle du projet : « Moi, le LOSC que j’ai connu est mort, le contexte familial, tout ça, c’est terminé. C’est devenu une grosse multinationale. Et je trouve que c’est très bien joué de la part des dirigeants d’avoir placé Franck à ce poste-là. Pour garder aussi une pièce importante de l’identité LOSC de ces dix dernières années. »

Former un groupe, prendre le leadership, s’adapter au jeu de la Ligue 1 : du temps, du temps et du temps. Si personne ne doute que Marcelo Bielsa soit en mesure de résoudre le casse-tête associant patience et exigence de résultats, « comme Jardim à Monaco » note Peyrelade, les principaux doutes pourraient finalement être liés à l’entraîneur lui-même. Car tout le monde attend de l’Argentin qu’il fasse monts et merveilles, à commencer par Tafforeau : « Je restais sur la bonne impression du match contre Nantes. J’étais content de revoir un peu de foot ! Strasbourg, il y a des faits de jeu, c’est un peu différent. Mais Caen, j’avais vraiment envie d’y aller et sincèrement, j’ai été déçu du contenu. » En fait, Bielsa va récolter ce que lui, et personne d’autre, a semé. En arrivant précédé d’une réputation flatteuse, mais en partant d’une page quasi blanche, l’Argentin s’est offert un gros challenge. Une situation que soulignait Charles Biétry, qui s’occupe de missions de communication pour le club, à La Voix du Nord fin juillet : « Bielsa joue gros, il a le club comme il voulait l’avoir. » À lui d’en faire ce que tout le monde attend, des supporters aux investisseurs.

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