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Nantes et la cure de Juvence

Par Jérémie Baron, à Nantes
7 minutes
Nantes et la cure de Juvence

Régulièrement régalés par le FCN depuis une grosse année, les supporters nantais vont peut-être vivre l'apothéose de l'ère Kombouaré, ce jeudi en C3 avec la réception d'une Juventus accrochée au match aller (1-1). La Beaujoire retrouve les très grandes soirées européennes et promet de frémir, 27 ans après avoir vécu la victoire symbolique de N'Doram et ses copains face à cette même Vieille Dame.

Dans l’agglomération nantaise, voilà des semaines que le sujet revient sur toutes les lèvres, en famille, au boulot, entre amis, ou même si vous passez faire un tour chez votre garagiste : ce 23 février, c’est à la Beaujoire qu’il faut être, et nulle part ailleurs. Depuis le tirage au sort de ce barrage (ou seizième) de Ligue Europa, qui a offert au FC Nantes une double confrontation face à la Juventus, la quête d’un billet pour le match est devenue une préoccupation pour bon nombre de locaux, qui devraient être plus de 34 000 entassés dans l’enceinte Louis-Fonteneau ce jeudi. Nantes a retrouvé l’Europe depuis le mois de septembre, avec la dose de bonheur qui va avec, mais cette fois-ci, c’est une autre dimension à laquelle la ville a le droit de regoûter avec la réception de la Vieille Dame, au pedigree qu’il n’est plus nécessaire de rappeler. À quelques heures de ce rendez-vous, une atmosphère unique plane sur l’enceinte des Canaris, qui a revêtu sa tenue des grands soirs.

Vingt et un ans après Manchester United

Et les supporters ne sont d’ailleurs pas les seuls chez qui l’attente est longue : près de 170 demandes d’accréditation ont été recensées, et si toutes n’ont pas pu être satisfaites, une rallonge de la tribune de presse a tout de même dû être exceptionnellement bricolée pour satisfaire cet afflux record. Mais toute cette effervescence n’effraie pas Antoine Kombouaré. « Ça ne me surprend pas, c’est dans la continuité de ce qu’on a vécu depuis que je suis arrivé, et surtout la saison dernière, avec des matchs fous, des émotions très fortes, expliquait-il ce mercredi. Je connais l’engouement qu’il y a autour de ce club, la ferveur amenée par ces supporters. C’est une juste récompense, avec ces matchs qui montent crescendo. C’est la force de ce groupe, d’être présent dans les grands rendez-vous. Ça a été le cas par le passé et j’espère que ce sera le cas demain. On est préparé, en tout cas on s’est donné le droit de rêver, on a tout fait pour qu’il y ait un enjeu sur ce match retour, mais maintenant le plus dur commence. »

En 1996, ils avaient l’arbitre avec eux.

Eddy Capron

En arrachant un match nul à Turin il y a une semaine (1-1) grâce à une contre-attaque de folie et une réalisation de l’omniprésent Ludovic Blas, les Canaris ont réussi un exploit que leurs aînés de la saison 1995-1996 avaient raté, eux qui s’étaient inclinés au Stadio delle Alpi (2-0) en demi-finales allers de Ligue des champions. « Tu rentres à la mi-temps à un partout, ça change tout », témoigne Eddy Capron, titulaire lors des deux matchs il y a 27 ans, et même presque buteur lors de la manche retour à domicile (le ballon avait franchi la ligne sur sa tête, mais le but avait finalement été accordé à Éric Decroix), pour une victoire symbolique et historique (3-2). « On s’est plombés le match à l’aller. On sait qu’on n’est pas favoris, on perd de deux buts en ayant joué à 13 contre 10, car ils avaient le public et l’arbitre avec eux, et on avait un expulsé, ça faisait beaucoup contre nous ! Au retour, on gagne, le score avait tourné en notre faveur, car on était revenus sur la fin, mais c’était un peu trop tard. C’était un lot de consolation : tu bats le futur champion, mais tu n’auras pas ton nom inscrit au palmarès en tant que finaliste. Il y avait un sentiment de fierté, de frustration, d’accomplissement, pas mal de sentiments qui nous traversaient. » Ce jeudi, l’ex-défenseur et beaucoup de ses anciens collègues seront présents pour ce match de gala, sur invitation du FCN : l’ancien coach Jean-Claude Suaudeau et son adjoint Georges Eo, mais aussi Dominique Cassagrande, Decroix, Jocelyn Gouvennec, David Marraud, Nicolas Ouédec, Bruno Carrotti, Claude Makélélé, Roman Kosecki, Laurent Peyrelade, Japhet N’Doram, Franck Renou… Et Didier Deschamps, formé à la Jonelière, mais qui avait lui participé à la fête côté bianconero. « Depuis le tirage au sort, je sens qu’il y a un engouement, j’ai été beaucoup appelé et ça a réactivé mes souvenirs », se marre Capron.

Les temps ont d’ailleurs changé depuis le « vol de Turin » et ce rouge polémique reçu par Bruno Carotti dans le Piémont en 1996. L’homme en noir João Pinheiro, qui s’est mis à dos la presse italienne jeudi, l’a prouvé au Juventus Stadium en refusant – à raison – de siffler un penalty turinois dans le temps additionnel après une action litigieuse entre Fabien Centonze et Bremer : en 2023, il n’y a plus de raison de s’inquiéter de l’arbitrage lorsqu’on affronte une équipe comme la Juventus ; du moins, quand les officiels désignés se mettent au diapason de l’enjeu. « Il a été fort, l’arbitre, il a été grandiose ! Faire ça à Turin… C’en était même surprenant. Aujourd’hui, il y a peut-être plus de moyens mis en œuvre pour faciliter la tâche des arbitres », salue Capron, qui n’a également pas oublié que les contrôles antidopage des joueurs italiens avaient pu être assez laxistes, à l’époque : « Tous ces à-côtés sont moins présents, aujourd’hui il y a bien plus de contrôles, heureusement d’ailleurs. À notre époque, on était suspicieux des joueurs italiens, du championnat italien, de beaucoup de choses. »

C’est surtout un match important pour la Juve, pas pour nous !

Antoine Kombouaré

Aujourd’hui, c’est une Juve moins souveraine qu’il y a quelques années, plombée par des problèmes extra-sportifs qui l’ont fait chuter à la septième place de Serie A, et qui sera en plus privée de Federico Chiesa, qu’affronte la bande de Nicolas Pallois, elle-même navigant à vue, au cœur d’une drôle de saison pleine de paradoxes. « Notre première partie de saison a été assez compliquée, admet le capitaine Alban Lafont. On a pris conscience de certaines choses, on a pas mal discuté entre nous de ce qui n’allait pas et ce qu’il fallait corriger. On a aussi conscience des qualités de ce groupe et de ce qu’il peut dégager. On a pu bien réagir, et cette qualification en seizièmes, on est allés la chercher, on peut être fiers de ça. On est le petit Poucet, on s’attend à affronter une grosse équipe de la Juve, comme à l’aller. Il va falloir jouer notre chance à fond, ne pas être des petits garçons. » Face à la presse, son entraîneur (qui va pouvoir compter sur le retour de l’endeuillé Ignatius Ganago, « prêt physiquement et surtout mentalement ») est en tout cas parfaitement entré dans ce match retour, face à une délégation italienne les yeux écarquillés : « C’est vrai que c’est un grand match, mais c’est surtout un match important pour la Juve, pas pour nous ! S’ils perdent contre nous, ils sont ridicules, alors que nous, si on perd demain, on repart jouer le maintien en Ligue 1 et notre quart de finale de Coupe de France contre Lens. » Du Kombouaré dans le texte, même si l’enjeu est pourtant bien réel, côté nantais. « C’est une étape pour redevenir un club phare en France et en Europe, en tout cas je l’espère », estime Capron.

Dans les livres d’histoire de la cité des ducs de Bretagne, Marcel-Saupin a notamment connu de grandes soirées face à Tottenham (0-0 le 20 octobre 1971, 16es allers de C3), l’Atlético de Madrid (1-1 le 19 octobre 1977, 8es allers de C1), Benfica (0-2 le 13 septembre 1978, 32es allers de C3), Valence (2-1 le 9 avril 1980, demies de C2) ou encore l’Inter (1-2 le 22 octobre 1980, 8es allers de C1) ; la Beaujoire a elle aussi eu droit à plusieurs grands frissons avec la réception des Nerazzurri (3-3 le 19 mars 1986, quarts retours de C3), mais aussi de Leverkusen (0-0 le 14 mars 1995, quarts retours de C3), du FC Porto (0-0 le 13 septembre 1995, phase de poules de C1), du Spartak Moscou (2-0 le 6 mars 1996, quarts allers de C1), de cette fameuse Juve, d’Arsenal (3-3 le 9 décembre 1999, 16es retours de C3), de la Lazio (1-0 le 30 octobre 2001, première phase de groupes de C1), du Bayern Munich (0-1 le 5 décembre 2001, deuxième phase de groupes de C1) et même de Manchester United (1-1 le 20 février 2002, au même tour). Mais jamais la Maison jaune n’est parvenue à éliminer, en confrontation directe, une équipe transalpine dans une compétition européenne. Et sans vouloir manquer de respect au FC Wil, à l’AC Pérouse, à Cork City, au Slovan Liberec, à l’Olympiakos version 2022, à Fribourg ou à Qarabağ, la dernière grande affiche continentale à laquelle a eu droit le public nantais date donc d’il y a 21 ans, quasiment jour pour jour. Ni plus ni moins que l’âge d’Evann Guessand.

Nantes la jolie

Par Jérémie Baron, à Nantes

Tous propos recueillis par JB

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