- C1
- J1
- Stade brestois-Sturm Graz (2-1)
Brest, capitale des Côtes d’Amour
Alors que le Stade brestois a vécu jeudi son premier match, et sa première victoire, en Ligue des champions au stade de Roudourou, l’accueil réservé par les Guingampais, considérés comme des rivaux historiques, était attendu. Bien qu’il y ait forcément une pointe d’amertume chez les locaux, l’animosité entre une poignée de supporters n’est pas venue gâcher la fête.
Il ne fallait pas louper l’arrêt. Dans le TGV n°8615 en direction de Brest, plusieurs voyageurs détonnent dans les wagons. Habillés tout en noir, les supporters du Sturm Graz sont reconnaissables à l’écusson du champion d’Autriche. Ils sont plus d’une centaine à descendre à Guingamp jeudi midi, puisque c’est bien au stade de Roudourou et non à Francis-Le Blé que la première rencontre de l’histoire du Stade brestois en Ligue des champions s’est disputée. Les bières sortent des sacs à peine le quai de la gare franchi, et les voix graves des fans des Schwoazn contrastent avec le calme olympien de la petite ville costarmoricaine de plus de 7 000 habitants, où de nombreux commerces sont fermés. Quelques regards sceptiques des locaux, depuis leurs balcons, sont lancés aux grands gaillards qui prennent des photos des monuments locaux, comme la basilique Notre-Dame de Bon Secours. Pourtant, ici, le rival n’est pas censé être autrichien mais bien brestois. Et ceux-là ne vont pas tarder à déferler sur le fief de Noël Le Graët.
« Brest not welcome »
Il faut dire que ce dernier n’est pas pour rien dans cette bataille de clochers. Dès 1991, celui qui était alors président de la LFP a été accusé de n’avoir rien fait pour sauver le Brest Armorique de sa descente aux enfers, avec à la clé un dépôt de bilan. C’est de cette rumeur, démentie depuis par des dirigeants brestois, que les tensions entre les supporters des deux camps sont nées. Forcément, voir le voisin vivre la plus belle des compétitions européennes dans son propre jardin n’a rien de simple, même pour les salariés de l’EAG les plus modérés. « Ça nous rappelle les grands moments de Coupe d’Europe (Guingamp a joué deux Coupes Intertoto, remportée en 1996-1997 et deux fois la Ligue Europa, NDLR), ça fait un pincement quand on arrive au stade et que l’on voit les bannières brestoises, avoue Arnaud, posté à la boutique. On aurait préféré être à leur place, mais bon… La rivalité, elle est surtout entre supporters. Ce que l’on craint, c’est qu’il y ait des dégradations dans notre stade, qui a pourtant connu de belles améliorations avec cet événement. Ça serait dommage, surtout qu’il y a plein de belles choses autour de cette campagne. Typiquement, on a pu échanger nos visions avec nos homologues brestois sur le merchandising, il y a une véritable entraide administrative. »
Si les deux clubs ont avancé main dans la main pour arrondir les angles et rendre cette fête la plus belle possible, quelques ultras locaux ont affiché la couleur avant même le début de la compétition : « Brest not welcome », « Mort à Brest », ou encore « Brest = Sida » , voici les messages lisibles sur des stickers collés dans le centre-ville, notamment sur la vitrine de la boutique du leader de Ligue 2, ou directement tagués sur les murs de la commune des Côtes-d’Armor.
Des actes de dégradation « minables et débiles puisqu’elles abîment les bâtiments de la ville », s’agace Benjamin, le patron du bar Le Lapin rouge, célèbre repaire des supporters guingampais. Attablé dans le coin de son établissement avec un expresso à la main, ce dernier poursuit. « Il y a eu un affrontement un peu plus haut, il y a deux ans. Il y a une petite poignée d’ultras, mais elle est très intense, donc pour eux, même si Brest vient et que ça se passe bien, il n’y a aucune paix possible », avertit-il. Plusieurs rumeurs annonçaient une bagarre entre les supporters Ty-Zefs et ceux de l’EAG avant le match, mais le patron n’est pas très inquiet : « Ce soir, il n’y a pas de rivalité. Pour nous, la Ligue des champions à Guingamp, c’est le gros lot. Vous imaginez, le Real Madrid à Roudourou ? Je suis trop content, c’est l’euphorie. » Benjamin a eu raison, aucun incident majeur ne s’est produit.
Hôtels complets, 300 gendarmes et une victoire historique
Pour Guingamp, la réception par procuration d’une telle compétition est sans surprise un coup de boost économique non négligeable. La crêperie Le Panier d’Hélène & Jules, elle, profite pleinement de l’événement. « On a déjà vendu plusieurs galettes aux Autrichiens ce midi, et pour ce soir on a trois points de vente disséminés dans la ville et à Roudourou, raconte Pauline, une vendeuse. On est contents, on attend du monde. » Même son de cloche au Brit Hôtel : « C’est une aubaine ! Toutes les chambres sont louées pour les soirs de match. On parle de Guingamp, donc c’est forcément une bonne chose », pointe la réceptionniste. Alors que le soleil est radieux et la température douce, ce qui est appréciable pour un mois de septembre en Bretagne, les supporters remontent dans le calme la longue rue du Maréchal-Foch pour se diriger vers l’antre guingampais, à quelques minutes du baptême du feu brestois.
Le stade et ses alentours sont quadrillés par près de 300 gendarmes. En amont de la rencontre, l’ambiance est bon enfant malgré une poignée de récalcitrants qui exhibent fièrement leur maillot de l’EAG, sans pour autant chercher à en découdre. Surtout, c’est tout Roudourou qui rugira à l’unisson lors d’une soirée que toute une région gardera en mémoire. Après la victoire historique du Stade brestois (2-1), qui devient seulement le quatrième club français de l’histoire à remporter son premier match de C1, l’essentiel des célébrations se déroule dans le stade avec le traditionnel tour des joueurs et les scènes de communion des ultras. À l’extérieur, les drapeaux s’agitent frénétiquement. Akyllian, un supporter, lâche spontanément « Maintenant, on peut mourir tranquille », et quelques chants sont entonnés. Mais très vite, des klaxons festifs prennent le pas sur tout le reste, signifiant déjà la fin de la parenthèse enchantée.
Pour beaucoup de Brestois, il reste à avaler 1h15 de route pour rallier la cité du Ponant, sans compter les bouchons. Malgré ce moment unique, suspendu dans le temps pour un club dont la préoccupation chaque saison est de se maintenir dans l’élite, l’idée est tout sauf de faire de vieux os sur place. Bon nombre de Finistériens travaillent tôt le lendemain. Au stade de Roudourou, les équipes s’affairent déjà, et ce pendant une bonne partie de la nuit, à démonter les panneaux à l’effigie des Pirates, car le temps presse : ce vendredi à 20 heures, Guingamp reçoit Annecy en Ligue 2. C’est donc ça, un grand écart ?
Par Thomas Morlec, à Guingamp
Tous propos recueillis par TM.
Photos : TM et Iconsport.