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Ferland Mendy : incontournable au Real, indésirable en équipe nationale ?
À six semaines d’un Euro qu'il risque de regarder depuis son canapé, Ferland Mendy est toujours solidement installé à la gauche de la défense du Real Madrid et demi-finaliste de Ligue des champions ce mardi contre le Bayern. Avant même qu'elle ne soit entérinée, son histoire avec l’équipe de France a déjà un goût d’inachevé.
Au jeu des maillots, le numéro 22 évoque l’incertitude. D’abord l’apanage du troisième gardien (comment oublier les éternels Ettori, Martini, Charbonnier ou Ramé, engoncés dans leurs liquettes bigarrées ?), il est devenu, par la force des choses, la marque de fabrique du petit nouveau ou, moins enviable, du joueur d’appoint. Dans les deux cas, il confère à son propriétaire un statut mouvant, où rien n’est fait. Il est, par essence, le numéro de celui qui va devoir cravacher. À noter que Franck Ribéry, révélation du Mondial 2006 chez les Bleus, en était l’étendard, révélant ainsi qu’il existe un chemin, escarpé mais pas impossible, pour devenir à terme, sinon indéboulonnable, un joueur qui compte.
C’est donc revêtu de la sorte que Ferland Mendy foule la pelouse du Stade de France, en ce mois de novembre 2018, pour honorer sa première sélection, en qualité de titulaire. Cette rencontre amicale contre des Uruguayens revanchards après leur défaite quelques mois plus tôt à la Coupe du monde est à la fois un test pour celui qui n’est professionnel que depuis trois ans et la suite logique des choses, tant il impressionne le landerneau footballistique, un an seulement après son arrivée à Lyon. À 23 ans, le Franco-Sénégalais est au pinacle. Archétype du latéral gauche « moderne », selon Johan Louvel, son entraîneur en équipe B du Havre, « un vrai gaucher, un joueur qui avait les caractéristiques athlétiques, la puissance et l’explosivité ».
Profitant certes des absences du titulaire Lucas Hernandez et de sa doublure Benjamin Mendy, le Lyonnais entame le match le couteau entre les dents. Le jeune latéral gauche détonne. S’il se projette – chose assez nouvelle chez les Bleus depuis au moins une décennie –, il fait surtout le job en matière d’intensité physique. C’est aussi de lui que vient le seul pion de la partie. En position d’ailier, il offre sur un plateau le but à Griezmann, lequel provoque un penalty que Giroud transforme. On a connu pires débuts. Dès lors, on le pense lancé, prêt à aller titiller l’indéboulonnable Hernandez et, qui sait, devenir le titulaire des Bleus pour la prochaine décennie. C’était compter sans quelques chausse-trapes, incompréhensions et blessures, parfois intriquées, laissant à penser à une succession de rendez-vous manqués.
Un destin à forcer
En temps normal, le trajet est balisé pour les jeunes talents français : centre de formation, sélections jeunes de l’équipe de France, Espoirs puis les A. Si tout se passe bien. Le début de carrière de Ferland Mendy convoque autre chose ; une rareté chère aux rêveurs et aux ingénus du ballon rond. Ceux-là mêmes qui érigent les joueurs aux parcours différents en Némésis d’un football rendu lisse et prévisible par des décennies de fric à outrance. Rien ne lui a été donné, lui qui s’est vu, ado, fermer les portes du centre de formation du PSG à cause d’une vilaine blessure à la hanche, qui a écumé les équipes réserves du club, puis celle du FC Mantois dans ses Yvelines natales.
Ce n’est qu’en 2013 que le longiligne défenseur trouve véritablement chaussure à son pied au Havre, mais encore en équipe réserve : « On nous avait parlé d’un joueur hors norme, trop gros pour le club dans lequel il jouait », raconte Johan Louvel, son premier coach au HAC. « Il aimait dribbler, éliminer et déborder, bref un vrai potentiel à travailler », se souvient celui qui office désormais du côté des Émirats. À grand potentiel, grands espoirs, lesquels induisent un énorme travail pour gommer ses quelques défauts pour aller chercher le très haut niveau : « Des discussions avec lui, j’en ai eu énormément, je lui disais de plus utiliser son pied gauche et de mieux lire le jeu, car il avait cette tendance à trop se porter vers l’avant. » Troquant sa fougue pour une sérénité à toute épreuve, Mendy est sorti de sa chrysalide.
Bleu de chauffe
Du haut de ses 9 sélections, entre 2018 et 2022, Ferland Mendy facture 6 titularisations et 3 entrées en jeu, pour 7 victoires, un nul et une défaite. Un bilan plus que correct donc, dans une équipe certes ultra-dominatrice, mais qui raconte tout de même quelque chose. Celle d’un joueur pas titulaire mais qui, lorsqu’il est laissé tranquille par les blessures, est un incontournable de l’équipe de France. Appelé en mars 2021, à quelques mois de l’Euro, le tout frais champion d’Espagne fait figure de favori pour être la doublure d’Hernandez. Raté, ce sera l’éternel pis-aller Lucas Digne. Rebelote en septembre 2022, juste avant le Mondial qatari. Encore raté, c’est Theo Hernandez qui, à la faveur d’un début de saison démentiel au Milan, va lui griller la politesse et rejoindre son frère, lequel se blessera à la 15e minute du premier match. Foutus coups du sort.
Alors, comment expliquer qu’il enchaîne au Real, mais pas en équipe de France ? « Lorsqu’il est arrivé en Bleu, il a apporté toute sa bonne humeur, son envie mais surtout ses qualités, rapporte un proche des Bleus. Il était imbattable en un-contre-un, et incroyable de la tête. Deschamps l’a pris car il n’avait pas son pareil en matière de puissance d’une part, mais surtout pour sa qualité en duel. » Entre-temps, qu’a-t-il bien pu se passer entre les deux hommes ? « S’il s’est passé quelque chose entre lui et le sélectionneur je n’en sais rien, mais en matière de potentiel, il a largement les armes pour faire partie des Bleus, estime ce même proche. Il pourrait leur apporter des qualités qu’ils n’ont pas. » Sans être dans le secret des dieux, ce témoin ne balaie pas la possibilité d’une réelle incompréhension qui, de facto, déborde des terrains.
Concurrence et incompatibilité tactique
C’est peu dire que les Bleus ont brillé depuis que Didier Deschamps en est à la tête. Trois finales, en cinq tournois pour un sacre mondial. Alors, pourquoi changer une équipe qui gagne ? Peut-être car Mendy a un profil différent, intéressant donc pour les Bleus. Deschamps, juin 2023 : « Il est déjà venu avec nous, lui aussi a une polyvalence, puisqu’il peut jouer aussi à droite (il avait débuté à ce poste contre la Croatie en octobre 2020, NDLR), même s’il est arrière gauche. Il n’est pas au top de sa forme, mais ça n’enlève rien à ses qualités. » S’il est une antienne qui dure dans le football, c’est bien celle-ci. La sacro-sainte question du profil et son corollaire, l’adaptabilité. Avec un profil moins dur sur l’homme que Lucas Hernandez, plus technique aussi, Ferland Mendy peut légitimement croire en ses chances bleues, naviguant entre le deuxième et le troisième homme à gauche. « Il pourrait apporter son football aux Bleus si on lui en laisse vraiment l’opportunité, raconte un Thierry Goudet thuriféraire, alors qu’il l’avait lancé dans le grand bain face à Sochaux en 2015. En plus d’être capable de jouer dans une défense à 4 ou à 5, il a cette force offensive, cette technicité et cette facilité avec le ballon que peu de défenseurs ont. »
Louvel, lui, penche plus pour une certaine incompatibilité tactique, son profil « correspondant mieux au Real, qui aime les latéraux qui se projettent, qui donnent énormément dans l’animation offensive », tout le contraire de l’équipe de France où, selon lui, « on est d’abord tourné sur des joueurs défensifs ». Une affirmation qui se vérifierait en la personne de Theo Hernandez, peut-être autant ailier que latéral en club, mais bridé en sélection dans ses projections. Les deux entraîneurs havrais font chorus sur un point : la concurrence exacerbée à gauche. « Longtemps les postes de latéraux ont été les points faibles de l’équipe de France, avance Thierry Goudet. Dorénavant, Deschamps a le choix du roi, et forcément, certains en pâtissent. » Un poncif certes, mais qui, bien caché, narre un changement de paradigme en Bleus : les postes de défenseurs, après des décennies de vaches maigres, sont presque devenus les plus disputés.
Petits papiers, quatrième pouvoir et loi de Deschamps
Il ne fait pas non plus bon être un taiseux dans le football. Deux écoles s’y affrontent : les grandes gueules et les timides, et au milieu coule une rivière faite de relais médiatiques. Pour s’imposer au plus haut niveau, il est de bon aloi d’avoir le verbe haut. Cette notion, tintée d’un virilisme suranné, a néanmoins toujours cours. Pour que l’on parle de vous, il faut que vous fassiez parler de vous, en s’épanchant notamment dans les médias. Mais savoir mobiliser les bons réseaux n’est pas quelque chose d’inné, ni quelque chose que l’on apprend dans les écoles de foot ou en média training. Mendy est connu pour être « un blagueur, quelqu’un qui ne passe pas inaperçu dans un vestiaire », selon Johan Louvel. Son entraîneur au HAC, Thierry Goudet, ne dit pas autre chose, décrivant un « très bon garçon, agréable à vivre et très poli » et un joueur « qui ne se mettait jamais en avant au détriment des autres ». Appréciée par ses coachs et vraisemblablement ses coéquipiers, cette réserve est à double tranchant et peut être un élément de réponse quant à son absence en Bleu. À trop se faire discret, on se fait oublier.
Un épisode semble avoir durablement entamé la – relative, on l’a vu – confiance dont bénéficie Ferland Mendy auprès du factotum Deschamps. Las, le sélectionneur sort de son éternelle réserve en ce mois d’août 2023. « Sans être méchant, le dernier épisode, en juin, n’est pas trop à son crédit : il est sélectionné le jeudi, et je suis averti une semaine après, la veille du rassemblement, qu’il ne peut pas nous rejoindre parce qu’il se fait soigner, soufflait-il. Bon, je l’accepte, mais à côté de ça, Bouba Kamara devait partir en voyage de noces, et il est venu quand même. » Passé maître en langue de bois, la Dèche ne dit pourtant jamais rien au hasard. Pas franchement avare en truismes en conf’, avec tout de même comme règle de ne jamais écorner ses joueurs, cette saillie n’a donc rien d’anodin. Critiquant ce qu’il voit comme de la pusillanimité, le sélectionneur a, en quelques mots, rendu extrêmement difficile un retour de Mendy en équipe de France.
Depuis, le latéral n’a d’ailleurs plus été appelé par le patron des Tricolores. Il n’a plus joué sous le maillot bleu depuis septembre 2022 et une défaite contre le Danemark, Deschamps lui préférant son copain en club, Eduardo Camavinga, pour dépanner plus bas dans le couloir gauche. Il lui reste l’espoir de l’arrivée du serpent de mer Zidane, qui l’avait fait venir de Ligue 1 et qui en avait fait le successeur de Marcelo dans le plus grand club du monde. En 2026, Mendy n’aura que 30 ans. Enfin le bon moment pour ne plus être un numéro 22 ?
Par Gaspard Couderc