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Raphinha, il était une fois dans l’ouest
Sans Lamine Yamal, le Barça peut compter sur un autre joueur en forme, Raphinha, pour ne pas se faire surprendre par Brest, ce mardi soir. À 27 ans, le Brésilien prend la lumière, lui qui avait passé treize mois en Bretagne, au Stade rennais entre 2019 et 2020. Retour sur cette aventure bretonne.
Ils ne doivent pas être nombreux au FC Barcelone à être capables de placer Brest sur une carte, au moment de recevoir les Finistériens à Montjuïc, en Ligue des champions, ce mardi soir. Dans le vestiaire catalan, il faudra peut-être se tourner vers le Parisien de naissance Jules Koundé ou, pourquoi pas, Raphinha. L’homme fort et actuel capitaine du Barça (13 buts, 10 passes décisives en 18 matchs cette saison) a déjà mis les pieds dans la cité du Ponant, et même au stade Francis-Le Blé. C’était le 14 septembre 2019 pour sa grande première sous le maillot (bleu, une fois n’est pas coutume) du Stade rennais (0-0). Le Brésilien avait même marqué un but, finalement refusé après un immense quiproquo rythmé par la VAR, Clément Turpin et des Brestois menaçant de quitter le terrain en cas de pion validé. À l’époque, difficile d’imaginer quand même de voir ce bonhomme planter un triplé contre le Bayern Munich dans la reine des compétitions ou s’imposer comme un leader chez les Blaugrana. « Je pense que personne ne s’est rendu compte de la chance pour le Stade rennais d’avoir ce joueur », pose d’entrée son ancien président Olivier Létang. L’aventure bretonne de « Raphi » aura duré seulement treize mois, dont le tiers passé en confinement. Une sorte d’étoile filante qui n’a pas vraiment eu le temps de scintiller, mais qui a laissé quelques souvenirs et dont le départ est longtemps resté un mystère.
Transfert surprise et bon copain
Quand il pose ses valises dans la capitale bretonne en septembre 2019, Raphinha (à ne pas confondre avec les Rafinha) déboule avec deux étiquettes : celle d’une promesse de 22 ans et surtout celle du plus gros transfert de l’histoire du club, avec un montant à peu près similaire à celui dépensé pour son compatriote Severino Lucas une quinzaine d’années plus tôt (21 millions d’euros). « Quand le président Létang me dit qu’il y a une opportunité de le faire venir, franchement, je lui réponds que c’est impossible, se souvient Romain Salin, alors tout juste revenu dans son club formateur après avoir passé une saison dans la même équipe que l’attaquant brésilien au Portugal. Entre le Sporting et Rennes, il n’y a pas photo. Pour moi, c’est un pas en arrière. » Les Rouge et Noir ont quelques arguments à faire valoir dans les négociations : une Coupe de France toute fraîche dans la vitrine, des frissons européens contre le Real Betis et Arsenal et un début de saison du tonnerre (9 points sur 9).
En face, le Sporting a besoin de vendre et ça se joue a priori entre Bruno Fernandes, dont le prix est fixé à 70 plaques, Marcos Acuña et donc Raphinha, une saison et une quarantaine de matchs dans sa besace. « La première fois que je suis allé le voir à Lisbonne, je lui ai demandé : “C’est quoi, Rennes, pour toi ?” Tout en connaissant la réponse, et c’était normal qu’il ne connaisse pas, replace Létang. Il a fallu le convaincre que c’était le bon projet. Une fois qu’il a été embarqué, on a beaucoup échangé avec le président du Sporting pour faire aboutir le transfert. » Né à Porto Alegre et passé par Guimarães, où les hivers sont frisquets, Raphinha ne craint pas le changement de température, se met à apprendre le français, loge à l’hôtel pendant 3-4 mois (Salin : « C’était une situation vraiment chiante pour lui, alors il venait manger à la maison ») et finit par trouver une baraque à Pacé, dans la première couronne rennaise, où il passera le confinement malgré son envie de rentrer au Brésil. « Je me rappelle lui dire : “Si tu pars et qu’on doit reprendre le championnat, tu seras bloqué et nous, on est morts”, se rappelle Salin, depuis retraité. Tu ne lui dis qu’une fois à Raphi, il comprend très vite. Honnêtement, c’est plus facile de gérer Raphinha que mes joueurs de R1 à Bréquigny. »
Le gardien s’est rapidement imposé comme un personnage central de l’aventure de Raphinha sur les bords de la Vilaine. Si le club lui colle rapidement Joaquim Preto, un ancien adjoint de László Bölöni, pour jouer les traducteurs, le néo-Rennais s’appuie surtout sur Salin. « Pendant les causeries, il tendait plutôt l’oreille vers le copain », se marre Matthieu Le Scornet, alors adjoint de Julien Stéphan. « C’est la chance qu’il a eue d’avoir Romain qui était bilingue portugais, confirme Clément Grenier, aujourd’hui consultant sur Canal+. Son adaptation a été simplifiée et, en plus, il a très vite parlé français. » Le garçon n’est pas du genre à se cacher ou à rester dans son coin, il est « tactile » et a « l’accolade facile », assure Le Scornet.
Une bouffe avec le groupe ? Pas un problème, il est de la partie. Salin : « Si tout le monde tourne à la bière, il va boire une bière et regarder les gars avec un grand sourire. C’est un mec de vestiaire qui respire le foot et l’aventure humaine. » Si les deux hommes n’étaient pas spécialement proches au Sporting, Salin dit avoir gagné un « vrai ami » à Rennes. Du genre qui ne l’a pas oublié quelques années plus tard quand le gardien vient passer des vacances à Barcelone, avec des places pour les matchs contre le Shakhtar et le Real Madrid, ou encore un déjeuner organisé chez lui à la veille du Clásico. « Il avait une table de volley-foot dans sa salle de gym. On y jouait tout le temps à Rennes, alors on s’est refait une partie, précise Salin. J’étais en transpiration, lui jouait le Real le lendemain… »
Le derby de la bascule
Et le foot, justement ? Le passage rennais de Raphinha pèse 8 buts et 6 passes décisives en 36 apparitions, soit un bilan honnête, qui ne laisse pas non plus présager que le loustic fera les belles heures du Barça quatre ans plus tard. « Quand il arrive, je me dis qu’il va falloir qu’ils comprennent que c’est un gros moteur, qu’il a besoin de s’entraîner beaucoup, continue Salin. Au Sporting, Bruno Fernandes, Jérémy Mathieu et lui adoraient rester à la fin de l’entraînement. Le problème à Rennes, c’est qu’ils voulaient tout contrôler et ils l’arrêtaient tout le temps. » Le Scornet parle d’un joueur impressionnant dans les « efforts », les « contre-efforts » et la « haute intensité », avec un désir de bosser toujours plus sa finition. « Il savait qu’il n’était pas performant, il se mettait du travail supplémentaire pour y arriver, illustre l’actuel coach de la réserve de Strasbourg, qui confirme qu’il fallait souvent l’arrêter. On l’avait aussi fait bosser dans l’axe, il avait joué quelques matchs comme deuxième attaquant, il se déplaçait bien, il était bon techniquement sous pression. Là, je le vois parfois tourner autour de Lewandowski, ça me fait sourire. »
Les compliments sont légion chez ses anciens partenaires rennais, Clément Grenier parlant d’une « patte gauche extraordinaire » et d’un « pied droit assez performant », de « sa capacité d’adaptation » et du « régal » de pouvoir se trouver les yeux fermés avec lui sur un terrain. Il lui faut quand même attendre son onzième match pour faire trembler les filets, sur un penalty offert par M’Baye Niang lors d’un succès face à Amiens. « M’Baye a dans son contrat des primes pour les buts et les passes décisives, mais il savait que Raphinha n’avait pas encore marqué et il lui donne le ballon », sourit Létang. La preuve d’un homme intégré, qui le devient un peu plus un soir glacial de janvier, en inscrivant un doublé de tap-in au cours d’un derby fou contre Nantes dans lequel Rennes était mené 2-1 à la 94e minute, un soir où il s’était « passé quelque chose dans la ville » pour Salin. « C’est le match qui fait tout basculer, estime Le Scornet. Il a compris cette rivalité, donc il nous a touchés nous et les supporters et il a gagné en confiance. »
« Une faute professionnelle »
Son départ en toute fin de mercato quelques mois plus tard, après une saison tronquée et au moment de voir le Stade rennais découvrir les étoiles de la Ligue des champions, une compétition qu’il rêve de disputer, est difficile à comprendre. Surtout que l’attaquant alors représenté par Deco, qui n’hésitait jamais à mettre en avant son client dans les médias internationaux, n’a pas envie de quitter la Bretagne. « Il pensait que pour son évolution et sa maturité, il devait rester à Rennes, confirme Grenier. Il était assez triste, c’est allé très vite pour lui. » Romain Salin revient sur les coulisses : « Il m’appelle pour me dire qu’il faut qu’on se voie. J’arrive, il a une tête de con, une tête fermée, il me dit : “T’es au courant ?” Et là, il me dit que le club a accepté un transfert de 17 millions (venant de Leeds United, NDLR). Sur le coup, il est vexé, il dit qu’il n’est pas respecté. C’est un affectif, c’était fini, c’était cassé. » Le Brésilien dispute un dernier match au Roazhon Park contre Reims, signe un but et une passe décisive, et ne cache pas qu’il boude.
Une photo montre alors le Brésilien entouré de Salin, Damien Da Silva et Julien Stéphan, alimentant la théorie d’un joueur décidé à partir et que l’on essayait de retenir et présentée comme une mise en scène par certains observateurs. « Personne dans le groupe ne veut le voir partir. Même son concurrent Romain Del Castillo voulait le voir rester, ils s’entendaient super bien. Je lui répète aussi qu’il peut rester s’il veut, qu’il n’a pas à accepter », résume Salin. Dans le même temps, Florian Maurice finalise l’arrivée de Jérémy Doku, et plusieurs sources parlent d’une volonté de Julien Stéphan de se séparer de Raphinha. « Stéphan lui dit : “Si tu veux, tu peux rester”, mais ce n’est pas très convaincant. Ils se sont tous rejeté la faute les uns sur les autres après. » Ces allégations, l’ancien technicien rennais les nie toujours aujourd’hui. Dans tous les cas, pour Salin, « ils ne se rendaient pas compte de son impact sur le groupe ».
Salin parle toujours d’une « faute professionnelle » de le vendre à un prix moins élevé (17-18 millions d’euros) que son achat un an plus tôt. Olivier Létang, viré quelques mois plus tôt et resté en contact avec l’attaquant avec lequel il avait même tapé dans le ballon pendant le confinement, ne dit pas autre chose : « Il faut respecter les choix faits par les clubs, mais celui de le faire partir contre sa volonté était très surprenant, même incompréhensible pour moi qui le connais très bien. » Ainsi s’est terminée l’histoire peut-être inachevée de Raphinha avec le Stade rennais, où d’autres chouchous et bons joueurs ont permis au club breton d’enchaîner les qualifications européennes. Pour Grenier, ce n’était peut-être pas non plus la destination qu’il « espérait » après Rennes. « Quand il est parti à Leeds et pour la Premier League, enchaîne Le Scornet, je me souviens lui avoir dit : “En route vers la Seleção.” » Il a pu y goûter un an plus tard, en octobre 2021, et fait maintenant partie des habitués de la sélection brésilienne (31 capes, 10 buts). Sa carrière aurait pu ressembler à autre chose, il l’embrasse volontiers en ce moment, s’imposant comme l’un des visages du séduisant Barça d’Hansi Flick. Il ne lui reste plus qu’à marquer un but valable contre Brest, cette fois.
Par Jérémie Baron et Clément Gavard
Tous propos recueillis par JB et CG