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Bardeli, la carte en Nord
Meneur de jeu de poche, Enzo Bardeli, 22 ans, est l’un des visages d’un Dunkerque en feu depuis début 2024. Portrait d’un type qui a été présélectionné pour les JO.
La décision a été prise au milieu des beaux jours, alors que sur son horoscope, tout allait pour le mieux. C’était l’été 2021, son club, le LOSC, venait de remporter son premier titre de champion de France depuis dix ans, lui s’entraînait depuis quelque temps avec l’effectif pro, son rêve d’attraper un jour ses premières minutes de Ligue 1 semblait à l’horizon. Là, deux voies distinctes sont cependant apparues sous les yeux d’Enzo Bardeli. La première : rester à Lille, son club depuis l’âge de 10 ans et où la nouvelle direction venait de lui faire comprendre qu’il était – déjà – « trop vieux » pour son nouveau projet. Rien ne l’empêchait de rester évoluer avec l’équipe réserve des Dogues, mais cela supposait d’éloigner ce désir d’atteindre le plus vite possible un contrat pro. La deuxième porte : tout plaquer et se mettre en danger, quitte à se retrouver quelques mois au chômage.
Après avoir opté pour la seconde option, c’est toute une histoire du foot et de son système qui se raconte. Celle du jeune espoir parti très tôt de chez lui avec un sac de rêves, pour le déposer dans un internat, cadre ultraconcurrentiel où des éléments sont éjectés du navire chaque année, qui réussit malgré tout à escalader les différentes étapes, avant d’être finalement contraint de rentrer chez ses parents, sans contrat, à 20 ans. Lui, fils d’un père prof et d’une mère bossant dans la restauration scolaire, dit : « Je suis vite parti de chez mes parents, et les copains de mon âge ont continué à aller au collège ensemble, puis au lycée. Moi, à partir de la 4e, j’étais toute la semaine à l’internat, et le week-end, quand je rentrais, c’était pour aller voir ma famille et jouer un match. Forcément, le contact se perd, les gens s’éloignent. C’est beau si tu réussis, mais si tu échoues, ça peut être brutal. Quand tu reviens, les regards sur toi ont changé, les gens qui ont cru en toi te font indirectement comprendre qu’ils sont un peu déçus et il faut réussir à rester concentré pour ne pas baisser les bras, car tu es un peu seul. Il me restait mes parents, ma copine, mais plus trop d’amis, en fait. C’est la conséquence de la vie en centre de formation. On croit parfois que chaque histoire est comme celle d’Eden Hazard, mais une carrière linéaire, c’est rare, très rare. C’est réservé aux phénomènes. »
Les JO et les zones de liberté
Un peu moins de trois ans plus tard, Enzo Bardeli en est redevenu un à son échelle. Le voilà désormais meneur de jeu d’un Dunkerque 14e de Ligue 2, qui vit une année 2024 époustouflante (7 victoires et 3 nuls en 10 matchs) après une première partie de saison catastrophique à trois succès en 10 journées. Avec la bombe Gessime Yassine et l’expérimenté Jean-Philippe Gbamin, il est l’une des têtes du moment qui ressortent dans le Nord, au point de voir son nom être coché dans une liste de joueurs présélectionnés pour les JO. « Franchement, j’ai été assez surpris, sourit-il. Je suis un joueur de Dunkerque, de Ligue 2, c’était difficile de s’y attendre. Demba Ba (actuel conseiller sportif de l’USLD, NDLR) m’a appelé un soir et m’a dit qu’il était très content, que mon travail commençait à être vu. Ça m’a forcément fait plaisir, même si ça ne doit pas devenir une obsession, car ça serait le meilleur moyen de rater mes matchs. » Mais pourquoi lui ? Pour comprendre, il suffit simplement de se rejouer quelques séquences de certains des matchs livrés par l’intéressé, que ce soit celui face au Paris FC, mi-octobre, celui ci-dessous à Pau, début décembre, ou encore celui contre Ajaccio ou contre Saint-Étienne, plus récemment.
Bardeli est un joueur rare, fin, qui a passé la quasi-totalité de sa vie entre les lignes, à chasser les espaces libres pour faciliter la vie de tout le monde. Être 10 est une responsabilité, mais le Nordiste, obsédé depuis l’enfance par l’idée de toucher un maximum de ballons, l’a toujours embrassée, sans sourciller. Cette saison, il tourne à un peu moins d’une soixantaine par match et sait que sa marge de progression est certainement au niveau des stats brutes (trois buts, trois passes décisives). Même si l’affaire est loin d’être une priorité, l’important étant avant toute chose de dicter le rythme et d’assurer le liant entre les différents étages de l’édifice au cœur duquel il est placé. Bardeli appuie : « J’ai toujours aimé ce poste et l’influence que tu peux avoir dans le jeu à partir de celui-ci. Aujourd’hui, si ça marche aussi bien, c’est aussi pour ça. C’est parce que le coach (Luis Castro, NDLR) me fait confiance et me laisse assez libre. Sa consigne est simple : il veut que je me déplace où l’espace est libre. Si je sens qu’il faut que je décroche pour créer un décalage, je le fais. Si je dois être plus haut pour attaquer la profondeur, pareil. C’est de l’adaptation permanente aux situations, aux déplacements adverses. Avec mon gabarit (1,73 m, 61 kilos), je n’ai pas le choix si je veux exister. Je dois trouver les zones de liberté et être juste techniquement, bien choisir ma première touche pour éviter au maximum le contact direct. »
« J’avais trop donné pour le foot pour que ça s’arrête… »
Face à ce petit jeu, le Dunkerquois, fan de longue date du Barça, chasse forcément les exemples et laisse fréquemment son regard tomber, lors des matchs de Ligue des champions, sur les rares joueurs de son profil. Dans les cellules de recrutement de certains clubs de Ligue 1, le bonhomme intrigue, forcément, mais il existe encore des doutes sur sa capacité à tenir le choc physiquement, ce que d’autres observateurs balaient à force de le voir s’en sortir au milieu des mailles chaque semaine.
Son aventure dans le club du 59 lui a aussi permis de connaître plusieurs contextes et d’affiner certains détails, lui qui n’aura finalement connu que quelques mois de chômage avant de rejoindre Dunkerque sur proposition de l’ancien responsable du recrutement de l’USLD, Salomon Kashala. « Quand j’ai quitté le LOSC, les clubs de la région ont su que j’étais libre et Salomon est venu aux nouvelles. Au départ, ça ne s’est pas fait pour des raisons de contrat. Je voulais un contrat pro, car je venais de jouer la YouthLeague, de faire une belle saison, mais Dunkerque ne pouvait pas me l’offrir directement. Les clubs savaient que j’avais un bon niveau chez les jeunes, mais il y avait un doute sur ma capacité à jouer de la même manière à l’étage du dessus. Finalement, après quelques mois de chômage, Salomon est revenu vers moi et m’a proposé de m’entraîner dans le groupe réserve. » Grâce à une forme physique entretenue entre la salle de sport et le jardin familial, à Capelle-la-Grande, Enzo Bardeli s’y est vite fait une place avant d’être basculé chez les pros et d’y signer son premier contrat, en mars 2022. Dunkerque a ensuite été relégué en N1, puis est remonté en Ligue 2, jusqu’à la saison en cours. « J’avais trop donné pour le foot, trop sacrifié pour que ça s’arrête », savoure-t-il. Les rails ont été posés. Reste désormais à savoir jusqu’où ira la locomotive.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB.