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Abdelhamid, le grand frère s’en va

Par Timothé Crépin

Après 250 matchs et 7 ans au club, Yunis Abdelhamid va quitter Reims dimanche. Il laisse un héritage inestimable pour ceux qui l’ont croisé. Le vide laissé sera immense. Portrait rémois d’un travailleur acharné.

Abdelhamid, le grand frère s’en va

Impossible, à ce moment-là, d’imaginer une telle suite. À l’heure de quitter Reims, Yunis Abdelhamid se souvient peut-être de cette scène qui illustre bien son parcours unique. L’époque d’Arles-Avignon, nous sommes en 2011. Pas encore pro alors qu’il a (déjà) 24 ans, Abdelhamid est convié à l’entraînement de l’équipe A. La chance de sa vie. Sans moyens pour avoir sa propre voiture, il débarque au centre d’entraînement dans une Clio 2 avec le nom de l’entreprise de maçonnerie de son père dessus. Une Renault qu’il va garer loin, dans les buissons, comme pour éviter de faire désordre face aux grosses cylindrées des professionnels du club.

Treize ans plus tard, il a certainement acheté sa voiture. Après Arles-Avignon (2011-2014), Valenciennes (2014-2016) puis Dijon (2016-2017), Yunis Abdelhamid (37 ans en septembre) va partir de Champagne au bout de sept belles saisons. Bilan, pêle-mêle : 252 matchs (dont 199 en Ligue 1), un titre de champion de Ligue 2 au bout d’une saison historique, un match de Coupe d’Europe (barrage de Ligue Europa, 2020), une série de 66 matchs de suite disputés en intégralité en Ligue 1 (co-recordman avec Daniel Congré)… Pas mal pour quelqu’un qui était destiné à faire une carrière dans la comptabilité.

Le symbole d’un autre Stade de Reims

Entraîneur d’Abdelhamid à Reims entre 2017 et 2021, David Guion repense à cette anecdote qui illustre bien son capitaine. Été 2018, Reims s’apprête à revenir en Ligue 1. Guion raconte : « Je lui avais dit qu’on recruterait deux défenseurs centraux. Il avait acquiescé. Je rentre de vacances, je vais manger en ville. Je tombe sur lui, en marcel. Je vois ses muscles saillants, le visage affûté. Je me dis : “Lui, il n’a pas rigolé pendant ses vacances.” Trois semaines plus tard, il a mis tout le monde d’accord. » L’explication était simple : « Il ne voulait pas échouer une deuxième fois en Ligue 1 après Dijon. » Danilson Da Cruz, ancien taulier rémois, se rappelle l’état d’esprit de son coéquipier : « Il voulait montrer qu’il avait sa place dans ce milieu. Il n’a jamais rien eu à prouver, si ce n’est à lui-même qu’il pouvait réussir. »

Sept ans après, voici donc l’épilogue. Inattendu pour beaucoup. « Franchement, on a tous été surpris, avoue Boulaye Dia, ex-coéquipier dans la Cité des Sacres. Ce qu’il continue de faire malgré son âge, ça force le respect. » Pour le Stade de Reims, c’est un énorme chapitre qui se referme. « Il était le dernier de l’équipe championne de Ligue 2 en 2018, constate Grejohn Kyei, attaquant de Clermont, ancien coéquipier d’Abdelhamid en Champagne. Le club a une autre vision. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’anglophones, moins de joueurs du centre… » Depuis quelques années maintenant, le club rémois a en effet instauré une politique de trading, avec, du coup, un turnover assez important. « Une âme va partir, regrette Joffrey, supporter des Rouge et Blanc qui anime le compte @reimsvdt sur X. Des joueurs qui vont faire une aussi longue et belle carrière au Stade de Reims, on n’en verra pas souvent. Les supporters ont aussi besoin de se rattacher à ce genre de joueurs. Abdelhamid, c’est une carrure, on voit que c’est le chef, le patron. Il dégage une force, une sérénité. »

Abdelhamid, l’accélérateur de particules

Sa série de matchs consécutifs dans l’élite illustre bien la force majeure d’Abdelhamid : plus le temps passe, plus le niveau s’élève, plus on le sent toujours plus fort à son poste de défenseur central. Jusqu’à pouvoir être inclus, sans contestation, dans le top 3 des meilleurs de France à son poste en 2020, quand Reims termine 6e de l’élite. « Il est devenu plus fort en vieillissant, confirme Mathieu Lacour, directeur général du club. Il fait partie de ces joueurs qui ont commencé sur le tard, moins usés par le système. Au-delà de s’être bonifié comme le bon vin, il a gardé énormément de fraîcheur physique et mentale. » Des performances et une régularité qui affectent les autres. Et notamment ceux qui évoluent à ses côtés, en charnière centrale. Car, oui, Yunis Abdelhamid a aussi rempli les caisses du Stade de Reims. Wout Faes (17 millions), Axel Disasi (13 millions), Björn Engels (8 millions), Andreaw Gravillon (2,5 millions), Julian Jeanvier (2 millions) et bientôt Emmanuel Agbadou et Joseph Okumu : ils ont tous un point commun, avoir évolué avec le Marocain.

Ce qui me choquait, c’est que pour quelqu’un de son âge, il avait une faim comme s’il n’avait jamais prouvé, comme s’il venait de commencer.

Axel Disasi, ancien compère de charnière

Devenu international français, Disasi n’oubliera jamais son ancien compère : « Il savait exactement sur quoi me guider, surtout concernant la concentration. Quand j’avais des petits trous, il venait me mettre en alerte, raconte le défenseur de Chelsea. Ce que j’ai apprécié, c’est qu’il ne m’a pas bridé, il m’a laissé m’exprimer, il ne me dénaturait pas. Plus jeune, j’oubliais un peu que j’étais défenseur. Il me disait de garder cet esprit d’envie de jouer, mais de renforcer mon côté défensif. » Un véritable éducateur. Entraîneur-adjoint d’Abdelhamid à Reims, Stéphane Dumont explique : « Des joueurs émergent, mais quand ils sont associés à Yunis… Il a cette capacité à sublimer ceux qui sont à ses côtés. Leur donner de la confiance, diffuser du calme et ses qualités. Ce qu’il a fait, c’est fort. » Mathieu Lacour résume : « Il a été un accélérateur de particules dans le fait d’amener ces joueurs à haut niveau. Ils y seraient arrivés, mais peut-être moins rapidement. »

Salle de muscu et table de ping-pong

Pour comprendre l’autre impact principal d’Abdelhamid, il faut pousser la porte du vestiaire. « Yunis, c’est le symbole du Stade de Reims en matière d’attitude et de professionnalisme », promet Boulaye Dia. « Professionnalisme, rigueur, exemplarité : ça rend les jeunes admiratifs », souligne Hugo Ekitike, attaquant de Francfort, formé à Reims. Boulaye Dia renchérit : « Comme il est arrivé un peu tard dans le circuit, il s’est dit : “Sans travail, je ne peux pas durer. Donc pour avoir cette longévité, il faut prendre soin de son corps, travailler deux fois plus que les autres.” Son éthique de travail l’a amené où il est. » Et dans les travées du centre d’entraînement Raymond-Kopa, il fallait souvent aller jeter un œil du côté de la salle de muscu pour voir captain Abdelhamid.

Prendre exemple et écouter. Nathanaël Mbuku, actuellement à Saint-Étienne, voit le Marocain comme son grand frère : « J’arrive dans cette salle. Il me dit : “Aujourd’hui, je te vois. Mais est-ce que ça va durer dans le temps ?” Jusqu’à aujourd’hui, cette phrase m’affecte encore. Je me suis dit : “Mais c’est un fou, ce mec.” C’était pour me montrer que rien n’est acquis, qu’il faut bosser et ne pas se reposer sur ses lauriers. Je me suis inspiré de lui. » Une implication de tous les instants qui a fait réfléchir Axel Disasi. « Ce qui me choquait, c’est que pour quelqu’un de son âge, il avait une faim comme s’il n’avait jamais prouvé, comme s’il venait de commencer, s’étonne encore l’international français. Le dévouement qu’il mettait dans ses séances d’entraînement, en soins, son travail en plus… C’est ce que j’ai le plus pris de lui : son abnégation dans le travail. Je me suis dit : “Si je fais ça à mon âge, à 20-21 ans, je vais gagner du temps.” »

Il est de loin le défenseur qui m’a le plus fait progresser. Je devais apprendre, jouer dos au but avec un défenseur derrière. Lui était très dur, intraitable.

Hugo Ekitike

Sans jamais jouer un personnage, Yunis Abdelhamid est sans pitié sur le terrain dès qu’une séance débute. Hugo Ekitike dit ceci de son ancien partenaire : « Il est de loin le défenseur qui m’a le plus fait progresser. Je devais apprendre, jouer dos au but avec un défenseur derrière. Lui était très dur, intraitable. Ça m’a énormément fait progresser. » « Il pouvait avoir des mots très durs, martèle Boulaye Dia. Avec une phrase du genre : “Hey il y a beaucoup de Zidane à l’entraînement. Ça fait des roulettes, des passements de jambes… Mais en match, tout le monde se chie dessus !” » Le style Yunis, c’est ça. Et quand les attitudes lui déplaisent, les murs tremblent. « Un jour, il nous enferme tous dans une salle, raconte Mbuku. Il nous a parlé comme il parle à ses petits frères. Il a pris le cas de chacun en disant ce qu’il devait bosser, lui compris. Et il nous a confisqué la table de ping-pong en expliquant que personne ne jouerait tant que le comportement ne changerait pas. »

Un pont entre les générations

Tel un entraîneur (reconversion qu’il envisage), avec Yunis Abdelhamid, c’est la manière forte, mais aussi loyauté et douceur. Boulaye Dia : « Le grand frère protecteur dur en matière de travail, d’exigence, mais le grand frère avec qui on pouvait rigoler de tout. C’est une personne qui peut te protéger, te prendre sous son aile, te dire les choses. » Et l’attaquant du Sénégal d’ajouter : « On comptait sur lui pour tout, pour certaines revendications… En fait, tous les aspects qui englobent le foot et le vestiaire, ça passait par lui. » Comme la négociation de primes, par exemple. Face à lui, Mathieu Lacour a eu un redoutable client. « Un capitaine très souriant avec moi dans les négociations, mais toujours très dur, sourit le directeur général. Il a toujours bien défendu son groupe. Et tu as toujours tendance à donner plus à des personnes qui incarnent le club et qui se battent à 200%. Il a beau avoir 36 ans, il est assez intergénérationnel. Il a été un pont entre les jeunes, les moins jeunes, les plus vieux… »

Son départ laisse forcément un grand vide. Reste à savoir comment le combler. « C’était le garant de la bonne tenue du vestiaire, synthétise Danilson Da Cruz. Il restait le lien privilégié de tout le monde au club. Ça peut être un manque. Comme on dit, personne n’est irremplaçable. Mais je pense qu’il prenait énormément de place. » Cette place, justement, il se l’est faite aisément dans ce monde pro si spécial. Sans jamais se renier. « Il est différent des personnes du milieu du foot, constate Grejohn Kyei, qui décrit son ancien capitaine comme un vaillant, un guerrier. Quand tu le côtoies, il échange avec tout le monde, il est gentil, il est marrant. Quand on a joué contre eux avec Clermont, certains de mes coéquipiers qui ne le connaissent pas m’ont tout de suite dit : “Ça se voit que c’est une bonne personne.” »

Je dirais même qu’il mérite sa statue. Quand tu voyais Reims, tu voyais Abdelhamid.

Nathanaël Mbuku

Danilson Da Cruz lui rend hommage : « De par son parcours, il voulait aussi garder cette image, qu’on retienne l’homme plutôt que le joueur. Dans ce monde pro de Ligue 1, rares sont ceux qui gardent leur personnalité d’avant. Il est ultra-fiable, loyal, a le cœur sur la main. C’est un mec extraordinaire. » Une attitude qui a très vite fait tilt dans les tribunes du stade Delaune. « Chez les supporters, il y a beaucoup de respect par rapport à l’homme et aux valeurs qu’il peut transmettre », confirme Joffrey de @reimsvdt. Boulaye Dia : « Je veux juste lui dire merci pour toutes ces années d’apprentissage, de bons conseils. On est tous fiers d’avoir pu le côtoyer. »

Yunis la légende

De tels états de service doivent-ils faire de Yunis Abdelhamid une légende du Stade de Reims ? « Est-ce que tu aurais pu avoir autant de résultats sans son leadership et son capitanat ? Je ne sais pas, questionne Mathieu Lacour. C’est un capitaine qui aura marqué l’histoire moderne du club. » Joffrey, supporter, voit un compromis : « Une sorte de légende du nouveau Stade de Reims. On n’est pas au niveau de Robert Jonquet ou de Just Fontaine. Mais dans l’époque d’aujourd’hui, légende, oui. Dans vingt ans, on parlera toujours de lui. » Danilson Da Cruz et Nathanael Mbuku votent pour Yunis la légende. « Je dirais même qu’il mérite sa statue, se marre Mbuku. Quand tu voyais Reims, tu voyais Abdelhamid. »

Et maintenant ? Encore au niveau, Yunis Abdelhamid va continuer sa carrière, c’est sûr. Mais où ? « Vu ses performances, il va retrouver un club en Ligue 1 », assure David Guion. Un retour à Montpellier, chez lui, a toujours été un grand objectif. « Je pense qu’il veut retourner à la maison, appuie Grejohn Kyei. Mais, sinon, pourquoi ne pas rejoindre Cristiano Ronaldo en Arabie saoudite ? » Mais osera-t-il garer sa voiture à côté de celle de CR7 ?

Par Timothé Crépin

Tous propos recueillis par TC

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