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Wilfried Singo, complètement chokbar
Révélation de l’AS Monaco cette saison, Wilfried Singo s’est installé comme l’élément indispensable de la défense monégasque. Une réussite notable pour le récent champion d’Afrique avec la Côte d’Ivoire, à la progression express.
Chokbar. Si ce mot ne vous dit rien, c’est que vous utilisez encore Facebook. Nouvelle référence des internets, cette expression vise à désigner quelque chose de choquant, de stupéfiant. C’est ainsi que la LFP a décidé de relayer le dribble du Monégasque Wilfried Singo sur Bradley Barcola, début mars, en y accolant la légende ostentatoire : « COMPLÈTEMENT CHOKBAR. » Le dribble en question ? Un chapeu brésilien (petit chapeau, en VF), sorte de variante du sombrero où l’on lobe son adversaire alors que le ballon est encore au sol. Élégant, ce geste a fait le tour du globe, aidé par la belle propagande de la Ligue.
COMPLÈTEMENT CHOKBAR 😱 pic.twitter.com/JBWwbRpO67
— Ligue 1 Uber Eats (@Ligue1UberEats) March 3, 2024
Problème : certains médias étrangers ont cru que Chokbar était… le nom du joueur. De quoi donner lieu à des séquences improbables sur la toile, et offrir un joli quart d’heure de gloire au défenseur ivoirien qui n’en demandait pas tant. Et pour cause. Indiscutable avec l’ASM depuis son arrivée l’été dernier, l’arrière polyvalent s’est affirmé comme l’une des belles révélations de cette saison de Ligue 1. En bonus, un sacre à la CAN avec les Éléphants en février et une nomination surprise au trophée Marc-Vivien Foé, qui récompense le meilleur joueur africain de l’Hexagone. La réussite d’une trajectoire qui aurait pu s’arrêter sur les côtes algériennes.
Grands compas, Petit poteau
À l’image de son dribble sur Barcola, Wilfried Singo détonne par son profil. Celui d’un gabarit de déménageur (1,90 mètre, 79 kilos), dont la maîtrise technique tranche avec les caractéristiques qu’on lui prêterait au premier abord. « C’est un joueur qui arrive bien à gérer la pression et qui n’est jamais embêté lorsqu’il a le ballon dans les pieds », note Abakar Sylla, défenseur de Strasbourg et ami de longue date de Singo. Pour s’en rendre compte, il suffit de fixer le positionnement moyen de ce dernier, alternant facilement entre son rôle d’axial et celui de latéral droit. Une souplesse tactique parfois bienvenue au moment de s’adapter à la défense à trois ou quatre d’Adi Hütter à Monaco. C’est néanmoins pour jouer dans l’axe, où il a été formé et où il a joué l’essentiel de ses matchs cette saison, que l’ASM est allée le piocher au Torino contre 10 millions d’euros. Car Singo a su briller dans le 3-5-2 institutionnel du Toro, imposé par Ivan Jurić ou Marco Giampaolo, en allant jusqu’à dépanner comme milieu droit. « Il est explosif et capable de faire beaucoup de différences », poursuit Sylla.
Mais alors, comment un bonhomme de 23 ans, destiné à faire régner l’ordre dans une charnière, est-il parvenu à se construire le CV du parfait tout-terrain ? La réponse est à chercher près du Gand-Béréby, sur les rives du Golfe de Guinée. Dans cette région côtière connue pour sa production de caoûtchouc — qui a notamment vu naître Jean-Michael Séri ou Éli Kroupi —, Wilfried Singo a appris à jouer comme ses prédécesseurs, avec le Petit poteau. Véritable sport national au pays, cette discipline consiste à disputer des matchs en 6 contre 6, et à marquer dans des buts ne dépassant pas le mètre carré. L’outil idéal pour travailler conduite de balle et précision : « Je pense être un défenseur dans l’âme, confie Singo. J’ai été formé dans l’axe et je m’y sens bien. C’est sans doute un atout d’avoir cette polyvalence, mais je dois dire que j’aime jouer avec le jeu face à moi. »
Algérie, fourgonnette et visa
Très vite trop doué pour ce football de quartier, l’intéressé voit alors le destin lui sourire une première fois durant les années collège. La famille Singo déménage en effet vers Yopougon, commune la plus populaire d’Abidjan, et Wilfried prend sa licence à l’académie Maman Clotilde, créée par la mère de Didier Drogba himself. De quoi se faire un prénom dans ce microcosme académicien, mais pas suffisamment pour gagner en visibilité. À défaut de se morfondre dans ce rythme de joueur amateur, celui qui s’est définitivement révélé comme latéral décide de forcer les choses. En 2016, quelques mois avant sa majorité, un scout espagnol basé en Côte d’Ivoire le sélectionne avec deux autres camarades pour des essais en Algérie. « La bande était logée dans une résidence à Blida, et faisait quotidiennement le trajet en fourgonnette jusqu’à Alger pour jouer avec l’une des filiales de l’Espanyol de Barcelone que nous avions en Afrique du Nord », raconte Albert Saus, entraîneur de Singo en Algérie. L’opération séduction fonctionne, malgré les deux heures de trajet aller-retour entre Blida et Alger, et l’Espanyol s’imagine déjà amener le jeune Wilfried en Catalogne.
« On l’appelait par son deuxième prénom, à l’époque, Stéphane, déroule Saus. Je le faisais jouer défenseur central, et c’était clairement le plus fort de toute l’académie. Avec les dirigeants de l’Espanyol, il était donc prévu de le signer en Espagne avec nos U19, puis éventuellement l’amener chez les pros. Malheureusement, nous avons fait face à un casse-tête administratif, l’empêchant d’obtenir son visa et d’avoir un tuteur légal en Europe. » Douche froide, retour à Yopougon. Mais pas pour très longtemps, puisqu’en rentrant chez lui, le défenseur intègre la structure qui allait achever sa mue. Celle de l’AS Denguélé, club phare local, avant tout reconnu pour sa qualité de formation. « Le passage de Wilfried à l’ASD était comme une tornade. Il était au-dessus du lot. Ici, on dit que celui qui passe par Denguélé va vivre comme un prodige. L’adage n’est pas faux », philosophe Idriss Diallo, président de la fédération ivoirienne.
Et il n’a pas tort, car à Denguélé, Ibrahima Sangaré a par exemple récemment fait ses classes. « À Denguélé, j’ai continué à travailler dur. Je tiens d’ailleurs à remercier mon président de l’époque, Monsieur Koné, pour sa bienveillance, rembobine Singo, dont l’ascension s’achève encore loin de chez lui, au Cameroun. J’ai eu l’opportunité de participer au G8 Talent au Cameroun, qui est probablement le meilleur concours pour les U18 en Afrique subsaharienne, avec un grand nombre de scouts du football européen. J’ai réussi à me distinguer lors de ce tournoi et à réussir une très bonne saison. Ensuite, le fait que mon agent, Maxime Nana (fondateur du G8 talents, NDLR), avait une bonne relation avec le président du Torino, Urbano Cairo, à la suite du transfert de Nicolas Nkoulou, a sans doute facilité les échanges et mon arrivée en Italie. »
https://www.instagram.com/urbano.cairo/p/CwD-gIWNbV-/
Le guide Nkoulou
Après ce G8 de Yaoundé — qui a notamment vu André-Frank Zambo Anguissa se révéler en 2011 —, l’agent de Singo et le président Cairo se chargent de le faire signer au Torino. « À l’époque, nous étions en U20, à peine majeurs, et nous venions tous les deux d’arriver en Europe », détaille Abakar Sylla, débarqué quelques mois plus tard au Club Bruges. En découverte à Turin, Wilfried Singo, d’abord envoyé faire le prestigieux tournoi de Viareggio avec la réserve, grimpe vite au sein du groupe pro de Walter Mazzarri, épaté par cet ado capable d’assumer n’importe quel rôle défensif. Pour le plus grand plaisir d’Idriss Diallo : « Wilfried est une fierté particulière pour la Côte d’Ivoire, car il a rejoint la Serie A sans avoir fait le moindre match professionnel au pays. C’est la preuve que le savoir-faire ivoirien est encore une valeur sûre. Sur la dernière CAN d’ailleurs, 14 joueurs sur les 27 Éléphants présents sont formés localement. »
Au Torino, cette « valeur sûre » ivoirienne, quasi exclusivement utilisée comme latéral voire piston droit, ne manquera par exemple que 25 matchs sur 134 possibles. Surtout, Singo finit de polir son profil, guidé par Nicolas Nkoulou. L’ancien défenseur de l’OM et de l’AS Monaco sert ainsi de professeur à son jeune protégé, lui offrant des séances de rab à l’entraînement afin de travailler son placement dans l’axe ou son jeu de tête. Le Camerounais lui permet également de s’affirmer dans le vestiaire, en combattant une timidité caractéristique. Diallo : « Wilfried est quelqu’un de très réservé. Je dis de lui que c’est un introverti engagé. Il peut passer une journée entière dans le vestiaire sans dire le moindre mot, mais s’il sent que ses coéquipiers ont besoin de lui sur le terrain, il sera le premier à venir gueuler. »
Véritable conseiller, Nkoulou « joue un rôle important » dans la signature de son coéquipier à Monaco, recruté pour principalement évoluer à droite, malgré quelques dépannages salvateurs en défense centrale. « Wilfired est l’un de mes profils favoris, analyse Émerse Faé, sélectionneur de la Côte d’Ivoire. Il dispose d’une technique très fine pour son gabarit, et c’est pour cela que je préfère le voir comme défenseur droit. Pour que l’on puisse profiter de son incroyable qualité de centre. » Le résumé du joueur qu’est Wilfried Stéphane Singo, finalement : un minutieux dans un corps de géant, prêt à rendre la Ligue 1 « chokbar ».
Par Adel Bentaha
Tous propos recueillis par AB, sauf ceux d’Émerse Faé et Abakar Sylla, par DF et le RC Strasbourg.