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Ligue 1 : la routine de la déprime

Par Clément Gavard
7 minutes
Ligue 1 : la routine de la déprime

Comme souvent ces dernières années, la Ligue 1 peine à convaincre ses plus fidèles observateurs. Après treize journées de championnat, l'élite du football français est plus homogène que jamais. Mais l'inquiétude est ailleurs, tant la qualité des matchs est médiocre et l'irrégularité des gros derrière le PSG révélatrice d'une certaine faiblesse. Au tiers du championnat, un premier bilan s'impose.

Le football aime souvent vivre au rythme des saisons. En France, comme la plupart du temps ces dernières années, l’excitation estivale s’est effacée au profit de la déprime automnale. Trois mois à peine auront suffi pour dresser un constat : le football hexagonal ne pète pas la forme, il est même toujours sacrément souffrant. Les principaux symptômes n’ont pas tardé à (re)pointer le bout de leur nez, et il faut dire que les amoureux de la Ligue 1 les connaissent par cœur. Les semaines européennes se sont chargées de mettre en évidence les limites des patients français, à l’exception du Paris Saint-Germain et de Lyon, les garants de l’indice UEFA (avec Monaco de temps en temps) sur la dernière décennie.

Dans la compétition reine, Lille, le dernier dauphin du PSG, a déjà rendu les armes avant même d’avoir disputé ses deux derniers matchs de poule. Un petit aveu d’échec, mais c’est plutôt la Ligue Europa qui s’impose comme le véritable révélateur du niveau du championnat. Et cette année, Saint-Étienne et Rennes ont donné du boulot aux statisticiens d’Opta : les Verts et les Bretons sont devenus les premiers clubs français à ne remporter aucune de leurs quatre premières rencontres de phase de groupes dans l’histoire de la C3 depuis la nouvelle formule (4 points chipés sur 24 possibles). Un bilan à la hauteur du Kazakhstan ou de la Norvège, mais surtout un écho à la médiocrité proposée chaque week-end sur les pelouses françaises.

Voyage au bout de l’ennui

Dans un sens, ce début de saison de Ligue 1 est historique. Au tiers du championnat, onze unités seulement séparent le dernier (qui compte un match en moins) du deuxième, l’OM, qui possède une différence de buts négative (-1). Une première pour un dauphin à ce stade de la compétition. Un club comme Saint-Étienne, au fond du trou et lanterne rouge il y a cinq semaines, se retrouve au pied du podium après une bonne série. Une homogénéité salutaire pour le suspense, et pas forcément significative de la faiblesse du football français, d’après plusieurs entraîneurs qui aiment défendre leur boutique. « Sur quels aspects se base-t-on pour dire que le niveau baisse ? Le championnat est moins spectaculaire ? s’interrogeait Julien Stéphan la semaine dernière en conférence de presse. Au contraire, quand c’est serré, cela offre du suspense et ça permet à beaucoup d’équipes d’espérer. Mais aussi, cela maintient tout le monde sous pression parce qu’on se rend bien compte qu’une série de deux-trois matchs difficiles vous amène vers le bas. A contrario, une bonne série vous permet de vous élever au classement. »

Sauf qu’au-delà des records et des chiffres, il y a des matchs. Il y a aussi de l’ennui, beaucoup d’ennui, entre deux exceptions emballantes. Un nombre incalculable de rencontres sont déjà tombées dans l’oubli, quand les parties marquantes se comptent sur les doigts d’une main (ou deux si vous êtes généreux). Le multiplex du samedi soir est souvent un long tunnel, un désert, malgré un attachement viscéral pour cette tradition hebdomadaire chez les plus assidus. Le dimanche est trop souvent synonyme de sieste – le dernier en date était étonnamment excitant, c’est vrai -, et les belles affiches ont généralement accouché d’une déception. La preuve, un OM-OL à l’intensité décuplée et au contexte chaud bouillant s’impose comme l’un des matchs les plus agréables de la saison. Une intensité rare aux yeux de nombreux observateurs, alors que Christian Gourcuff préfère en faire l’une des raisons principales de la faiblesse technique de la Ligue 1 : « Je pense que c’est l’un des championnats les plus difficiles, car il y a beaucoup d’intensité. C’est sûr que regarder la Liga est plus spectaculaire. Mais cette intensité nuit au spectacle, à la fluidité du jeu, car il y a une telle pression sur le porteur de balle que ça engendre du déchet technique. Hormis pour le PSG, les autres équipes se livrent une bagarre permanente, ce qui crée une insécurité technique et donc ça nuit forcément à la qualité du spectacle. » Une certaine forme de lucidité, même si le rythme n’est pas ce qui caractérise les 129 matchs écoulés.

La faute aux gros

Une faiblesse qui laisse une place pour les surprises en haut de tableau, à l’instar d’Angers, squattant le podium depuis plusieurs semaines au nez et à la barbe des plus grands. Le SCO n’a rien volé, mais se contente juste de récolter les fruits du bon boulot de tout un club, du recrutement mené par Olivier Pickeu au terrain incarné par Stéphane Moulin. Ce dernier a d’ailleurs piqué une gueulante avant le déplacement à Reims le week-end dernier : « Je pense que pendant toute la saison, notre championnat sera perçu comme bidon. C’est un manque de respect pour toutes les équipes qui travaillent. Ce n’est pas très correct pour mes joueurs. C’est souvent les mêmes qui parlent. Le championnat est ce qu’il est. N’en déplaise à ceux qui aimeraient que tous les gros soient en haut. En Espagne, c’est similaire, les favoris ne sont pas en haut du classement. » Sauf que personne ne veut blâmer les petits clubs dans le marasme actuel : Brest et Amiens sont agréables à regarder, Reims et Strasbourg ne sont pas toujours flamboyants, mais travaillent bien, Dijon propose même des séquences intéressantes après un départ catastrophique. Puis, il y a la peur de manquer le jackpot, celui des droits TV vendus pour plus d’un milliard d’euros pour la période 2020-2024. Un tournant à ne pas louper pour les petites écuries.

Non, le problème réside plutôt chez les gros morceaux ou les clubs du deuxième chapeau, ceux programmés pour lutter pour les places européennes jusqu’au bout. La tranquillité du PSG au classement est un symbole : malgré trois défaites en treize journées – une première depuis l’arrivée de QSI -, le champion de France est confortablement installé dans son fauteuil de leader, comptant déjà huit longueurs d’avance sur le deuxième. Et même quatorze unités sur Lyon, qui avait annoncé vouloir chatouiller l’ogre parisien. Sauf que la mini-révolution rhodanienne n’était qu’un coup d’épée dans l’eau, avant le retour à du grand classique avec l’arrivée de Rudi Garcia. L’histoire est différente à Marseille, plombé par une cure d’austérité, qui n’est pas le fruit du hasard, mais juste la conséquence de l’incompétence des dirigeants depuis trois ans. Et les autres ? Monaco souffle le chaud et le froid, Saint-Étienne a déjà assumé l’erreur Printant, Rennes et Lille peinent à confirmer les promesses, Bordeaux et Montpellier sont très irréguliers et Nice ne ressemble pas encore à un concurrent sérieux pour le podium.

Claude Puel, propulsé sur le banc des Verts à l’automne, a donné sa vision des choses dans un entretien au Progrès : « On construit pour une saison, puis tout tombe par terre. Il n’y a pas de stabilité, de cohérence et de régularité, car il faut recommencer le travail de base. Beaucoup de clubs clôturent leur budget en vendant leur meilleur joueur. Quand on fait ça, on ne peut pas laisser penser qu’on s’améliore et qu’on va être compétitif dans les joutes européennes par exemple. La Ligue 1 garde toujours son attractivité pour les autres championnats, c’est un laboratoire. Il y a toujours de la fraîcheur, avec de nouveaux joueurs qui sortent. » Un laboratoire, le mot est cruel, surtout quand les dirigeants du football français aiment présenter la Ligue 1 comme l’un des cinq grands championnats européens. Une déprime amplifiée par la multiplication des interdictions de déplacement, les virages fermés tous les quinze jours à Geoffroy-Guichard, les stades à moitié vide et l’état déplorable de plusieurs pelouses. Et au milieu de la sinistrose, une lueur d’espoir : chaque trêve internationale est l’occasion de se rappeler qu’il est difficile de vivre sans cette routine, qu’elle soit plaisante ou déprimante.

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