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Dissolution, mais pas de solution
Cinq groupes ultras, dont la Brigade Loire de Nantes, les Magic Fans et les Green Angels de Saint-Étienne, sont visés par des projets de dissolution. Derrière la vision répressive du ministère de l’Intérieur se cachent surtout une méconnaissance du sujet et une utopie qui laisse à penser que cette mesure mettra fin aux violences.

Après s’être attaqué au narcotrafic, aux personnes visées par des OQTF et à la rédaction d’une nouvelle loi immigration, Bruno Retailleau s’est lancé à la poursuite des supporters. Dans sa logique du tout-sécuritaire, le ministre de l’Intérieur a neuf groupes ultras dans le viseur, dont cinq qui sont d’ores et déjà menacés par un projet de dissolution : les Magic Fans et les Green Angels (AS Saint-Étienne), la Brigade Loire (FC Nantes), les Offenders (RC Strasbourg), la Légion X (Paris FC). Pourquoi une telle décision ? Pourquoi ceux-ci ? La réponse du premier flic de France est assez floue : « Il est hors de question que le hooliganisme s’implante et se développe en France. » Difficile de lui donner tort sur ce point, mais l’argument n’est pas recevable quand rien n’est motivé par une volonté claire de résoudre les problèmes à la racine.
Approximations et incohérences
Tout d’abord, les cinq groupes touchés présentent des caractéristiques bien différentes. Les trois premiers sont des historiques des tribunes françaises, s’inscrivant pleinement dans la mouvance ultra, tandis que les Offenders sont « un groupe de hooligans néo-nazis », selon Ludovic Lestrelin, spécialiste des supporters, interrogé par franceinfo, et la Légion X est « un groupe informel cherchant les affrontements ». Bruno Retailleau fait donc preuve d’approximations, comme pour beaucoup de sujets qu’il semble pourtant prendre à bras-le-corps, à l’image de celles sur l’aide médicale d’État ou lorsqu’il avait évoqué une rixe de « 400 à 600 personnes » à Poitiers, au lieu de la soixantaine réellement recensée. « En choisissant de s’acharner contre des associations structurantes sur lesquelles les clubs comme les préfectures devraient s’appuyer pour organiser les déplacements comme la préparation des matchs à domicile, Bruno Retailleau a une nouvelle fois tout faux. Pire, il pourrait même finalement protéger d’autres associations (Offender de Strasbourg, Légion X du PFC) aux sympathies et activités néo-nazies reconnues », a ainsi ciblé le député Sacha Houlié, passé par En Marche.
La procédure de dissolution engagée par le Ministère de l'Intérieur à l'encontre des groupes de supporters de La Brigade Loire à Nantes, des Magic Fans et des Green Angels est un pur scandale. En choisissant de s'acharner contre des associations structurantes sur lesquelles les…
— Sacha Houlié (@SachaHoulie) March 14, 2025
Cette décision intervient dans un contexte tendu avec les tribunes, mais après plusieurs améliorations. La circulaire adoptée par Christophe Castaner visant à encadrer plutôt qu’interdire les déplacements de supporters en 2019, le non-cumul entre interdiction administrative et interdiction judiciaire de stade et la plus grande responsabilité des préfets ont permis quelques avancées. Le recul est donc encore plus brutal lorsque le nombre de fermetures de tribunes est historique cette saison. « Je ne tolère pas que certains utilisent le sport comme un prétexte pour se déchaîner, fustige Retailleau, en marge d’un déplacement ministériel dans le Rhône. Je veux qu’on protège le sport. Est-ce que les Français savent que pour le foot, uniquement à cause de ces ultraviolents, nous mobilisons, le week-end, quasiment un tiers des forces mobiles ? Rendez-vous compte ! Un tiers des forces mobiles mobilisées pour faire en sorte qu’on puisse contenir les ultraviolents, ce n’est pas normal. » Derrière son populisme, le ministre de l’Intérieur a dévoilé certaines des mesures qu’il souhaite prendre : « Je veux par exemple que la Ligue puisse avoir des billets nominatifs pour qu’on trouve plus facilement ceux qui chantent des chants homophobes ou qui commettent des actions répréhensibles dans le stade. » Comment peut-on donc passer d’une volonté de sanctions individuelles à la condamnation la plus collective qui soit ?
La violence ne s’arrêtera pas pour autant
Le dialogue avec les principaux concernés semble en réalité rompu, ce qui n’aide pas à trouver la solution idéale pour tous. Romain Gaudin, porte-parole de la Brigade Loire, s’est exprimé sur le sujet dans un podcast d’Ouest-France : « Si vous interrogez toutes les personnes qui participent au dialogue avec les supporters, elles vous diront que la dissolution est une connerie. Pour elles, cela aura l’effet totalement inverse. À Nantes, aujourd’hui, le club a des supporters organisés. On est un interlocuteur fiable. Si, demain, il y a dissolution, il n’y a plus d’entité reconnue et je ne représente plus personne. Pour autant, ça ne stoppera pas la violence. Au contraire, ceux qui veulent en commettre n’auront même plus de comptes à rendre. » Si les nouveaux débordements survenus à Montpellier face à Saint-Étienne peuvent encourager Beauvau à sévir encore plus, il est clair que la répression ne stoppera pas les excès. L’année dernière, la Butte Paillade, principal groupe ultra du club, s’était dédouanée du jet de pétard sur le gardien clermontois Mory Diaw en expliquant que le fauteur de troubles n’était pas encarté et n’avait donc « rien à voir » avec l’entité. Ainsi, supprimer des groupes aussi importants que les Magic Fans, les Green Angels, la Brigade Loire pourrait avoir des conséquences néfastes pour des tribunes aussi importantes.
Si, demain, il y a dissolution, il n’y a plus d’entité reconnue et je ne représente plus personne. Pour autant, ça ne stoppera pas la violence.
Les souvenirs des Jeux olympiques de Paris 2024 sont encore dans les têtes de tous les Français, mais la bonne ambiance s’est rapidement évaporée. Bruno Retailleau s’est sûrement dit qu’il y avait bien quelques indécis à convaincre en alignant les poncifs censés rassembler : « Le sport devrait nous unir, quelles que soient nos croyances, notre langue, notre culture, nos nationalités. Le sport, c’est un vocabulaire, c’est une grammaire, de l’humanisme. » S’il s’intéressait vraiment à la Ligue 1, il saurait que les stades restent remplis et sont, dans la grande majorité des cas, vecteurs de cohésion. Il saurait que les records d’affluence tombent presque chaque année. Il saurait que les supporters du FC Nantes restent constamment derrière leur club malgré la mauvaise soupe qui leur est servie depuis des années, que ceux de Saint-Étienne ont suivi même en Ligue 2, que les tribunes lyonnaises chantaient toujours lorsque les Gones étaient dans la zone rouge, que le Roazhon Park affiche complet même dans une saison plus qu’inintéressante. Mais si Bruno Retailleau aimait vraiment le sport qui « devrait nous unir », il ne serait pas le porte-voix de l’interdiction du port du voile, son prochain combat abject.
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