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Digard et la manière

Par Clément Gavard
9 minutes
Digard et la manière

Nommé entraîneur principal de Nice « jusqu'à nouvel ordre » après l'éviction de Lucien Favre le mois dernier, Didier Digard a réussi ses débuts dans son nouveau costume en Ligue 1. Une reconversion préparée et travaillée ces dernières années.

Avec son look décontracté et sa barbe parfaitement taillée, Didier Digard, 36 ans, ne pensait pas faire son retour sur le devant de la scène en Ligue 1 aussi rapidement. Il avait quitté le championnat en mai 2015 sur un succès à Toulouse (2-3), le brassard de capitaine autour du bras, avant de filer boucler sa première carrière de l’autre côté des Pyrénées. Il l’a retrouvé le mois dernier dans le costume d’entraîneur principal du Gym, son club, quatre jours après l’éviction de Lucien Favre, dont il a été l’adjoint éphémère, avec une victoire éclatante contre Montpellier (6-1). En l’espace d’un mois, l’ancien milieu de terrain a réveillé l’OGC Nice, tant dans les résultats (4 victoires, 1 nul) que dans le jeu, métamorphosant son équipe en une machine offensive et intense.

« C’est grâce au coach, je le dis clairement, assurait Jordan Lotomba dimanche au Vélodrome. Avec son staff, ils font un très bon travail, ils nous donnent vraiment de la confiance. Il a été joueur, connaît le haut niveau. Il nous pousse au-delà de nos limites à chaque entraînement. » Une transformation qui a permis aux Aiglons de faire carton plein contre Lille, Lens et Marseille en quelques jours. Pour le storytelling, il serait bon de raconter que Digard a toujours eu l’âme d’un technicien, même quand il avait des crampons aux pieds, mais chacun connaît son propre cheminement. « Je suis sincère, je ne m’attendais pas à le voir devenir entraîneur un jour, admet Thierry Uvenard, l’un de ses premiers coachs chez les professionnels au Havre. Je ne sais pas si on peut être surpris de ses résultats, mais quand on voit ses dernières victoires contre de très belles équipes, c’est qu’il a un truc. » 

Didier, c’est un fou. Il n’était pas comme nous, il a eu un gosse à 16 ans, il était plus mature. Il m’a beaucoup aidé, il a toujours été là.

Kévin Anin

Papa cool 

Une chose est sûre, Digard a toujours été en avance sur les autres, dès ses années passées au centre de formation du HAC, où Uvenard se souvient d’un garçon « très protecteur avec les plus jeunes et les plus fragiles ». Personne d’autre que Kévin Anin ne peut mieux raconter ce trait de la personnalité du nouveau patron du Gym. À l’époque, les deux jeunes ont le même âge (génération 1986), mais Digard se comporte comme un père de famille avec son pote, dont il est toujours resté proche. « Didier me réveillait à 6 heures du matin, on allait à la douche avant tout le monde, on se lavait, on s’habillait et on retournait au lit. On se réveillait juste à l’heure. On avait quoi, 13-14 ans, racontait Anin à SO FOOT un an après son accident. Didier, c’est un fou. Il n’était pas comme nous, il a eu un gosse à 16 ans, il était plus mature. Il m’a beaucoup aidé, il a toujours été là. C’est lui qui m’a permis de signer à Nice, c’est lui qui venait me voir quand je n’allais pas bien, c’est lui encore qui est venu me rendre visite deux fois cet été. Didier, c’est un frère. » 

Thierry Uvenard le décrit comme quelqu’un de « très gentil », qui n’avait pas hésité à les inviter, lui et son épouse, à venir manger chez lui dix ans après leur aventure commune au Havre, alors qu’il était en vacances à Séville, où Digard a passé quelques mois. En rembobinant un peu plus loin, le technicien se souvient d’un jeune homme « un peu plus mûr que les autres », « très ouvert » et « patron du vestiaire malgré son âge ». Il ne cache pas non plus que le caractère du bonhomme pouvait faire des étincelles : « Il faut être carré avec lui et quand il n’était pas d’accord, il le disait et ça pouvait donner des discussions un peu chaudes. J’ai en tête un entraînement en fin de saison où il ne suivait pas une consigne sur un travail devant le but, on avait commencé à se chauffer gentiment. Bon après, on passait vite à autre chose, mais c’était des échanges acharnés, et chacun campait sur sa position. » Papa de cinq enfants, Digard a été un leader au HAC en Ligue 2 à 18 ans seulement, avant de faire une pige au Paris Saint-Germain (2007-2008) et de découvrir la Premier League avec Middlesbrough (2008-2010). En tant que joueur, il a retrouvé de la stabilité à Nice (2010-2015), là où le néoretraité a lancé sa nouvelle quête dès 2019. 

Bancs de l’école, Quique Setién et influences

Thierry Uvenard prévient : « Ce n’est pas parce qu’on est un meneur comme joueur que l’on devient entraîneur. » Selon les différents témoignages, Digard n’a jamais voulu se contenter de son CV de milieu de terrain travailleur et de son nom pour se considérer comme un coach accompli. « Il a toujours eu l’humilité de se dire que le métier d’entraîneur s’apprend, au même titre que celui de joueur quand on est en centre de formation, pose Vincent Madelaine, son copain de promo au brevet d’entraîneur de football (BEF). Il était très attentif à tous les conseils et aux avis de ceux qui avaient plus d’expérience que lui dans cette fonction. » Digard a donc fait son retour sur les bancs de l’école en enchaînant coup sur coup le BEF et le diplôme d’État supérieur (DES), indispensables pour gravir les échelons au sein d’un centre de formation d’un club professionnel. Il a cumulé six semaines au Rousset en 2020-2021 pour le premier, à une dizaine de kilomètres d’Aix-en-Provence, ce qui lui permettait de rendre visite à son ami Steve Mandanda ; quand le second s’est déroulé sur sept semaines à Clairefontaine. Des journées longues, entre la théorie et la pratique, et un programme chargé en parallèle de ses activités niçoises. « On se retrouvait parfois en dehors des semaines de stage pour travailler sur des dossiers ensemble, explique Alexandre Licata, qui faisait partie de la vingtaine de stagiaires cette année-là, à l’instar de Julien Faubert ou Djamel Bakar pour les plus connus. Il prenait très souvent la parole dans la salle, il n’avait pas peur de donner son avis. »

Il me disait qu’il voulait exposer un projet de jeu qui ressemblait beaucoup à celui de Setién. Il avait cette phrase : “C’est moi qui décide comment l’adversaire va me mettre en difficulté.”

Vincent Madelaine, copain de promo au BEF

Chez ses collègues de promo, les compliments fusent. Vincent Madelaine parle même d’« un homme avec des valeurs hors normes dans ce milieu », alors que Nicolas Dubois, l’un de ses formateurs, assure qu’il n’hésitait pas à « recadrer le groupe » quand il y avait un manque d’investissement ou de concentration. « Le plus compliqué pour lui, ça a été de formaliser ses idées. Les mettre en place sur un terrain, c’est une chose, mais ça prend plus de temps de les formaliser, poursuit ce dernier. Il a des principes forts dans son modèle de jeu et il les a défendus avec intérêt devant le jury. C’était des présentations de qualité. » Très influencé par ses expériences à l’étranger, entre la « notion d’intensité dans les séances en Angleterre » et le « modèle de jeu basé sur la possession en Espagne », Digard a également été marqué par sa rencontre avec Quique Setién au Betis. « Il me disait qu’il voulait exposer un projet de jeu qui ressemblait beaucoup au sien, témoigne Vincent Madelaine, aujourd’hui coach des U18 du FC Mougins. Il avait cette phrase : “C’est moi qui décide comment l’adversaire va me mettre en difficulté.” Il voulait imposer son jeu pour anticiper ses failles et les problématiques posées par l’adversaire et ça venait de Setién. » Ce que l’on a pu observer ces dernières semaines à l’OGCN avec une équipe agressive dans le bon sens du terme, et capable de s’adapter, comme en témoigne le passage à cinq derrière à Lens.

Même si c’est allé vite, il a pris le temps de s’imprégner de la méthodologie avec les jeunes, de tester des choses, des concepts d’entraînement. C’est comme une exploration.

Nicolas Dubois, l’un de ses formateurs au BEF

À Nice comme à la maison

Chez les Aiglons, Digard s’est fait la main chez les jeunes, enchaînant les postes d’adjoint des U17, mais aussi d’Adrian Ursea ou Lucien Favre, de coach de l’équipe réserve, tout en jouant un rôle dans l’accompagnement des joueurs, avec la confiance de Manuel Pires, le directeur du centre de formation. « Même si c’est allé vite, il a pris le temps de s’imprégner de la méthodologie avec les jeunes, de tester des choses, des concepts d’entraînement. C’est comme une exploration, éclaire Nicolas Dubois. Il ne l’a peut-être pas dit dès les tests d’entrée au BEF, mais il avait l’ambition de rejoindre le milieu professionnel. » C’est fait moins de deux ans après l’obtention du diplôme, alors qu’il ne dispose pas encore du BEPF, le précieux sésame permettant d’exercer en Ligue 1, ce qui va obliger Nice à payer une amende de 25 000 euros par match après la période de carence d’un mois qui va prendre fin après la rencontre face à Ajaccio, ce vendredi soir. Les dirigeants ne comptent pour l’instant pas bouger, même si rien ne dit qu’ils n’iront pas chercher un entraîneur plus expérimenté l’été prochain. Digard, lui, ne se prend pas encore la tête avec son avenir. Il profite d’être chez lui, dans un club qu’il connaît par cœur. « Je suis en stage à Nice en ce moment, je l’ai encore vu discuter avec des formateurs ce matin, ça montre un réel lien, explique Nicolas Dubois. Il a une aura particulière ici, ça lui permet d’avoir de la crédibilité. Son passé d’ancien joueur compte aussi, il a les codes du vestiaire et du haut niveau, c’est important dans le management. » Un grand écart avec Favre, qui semblait déconnecté de la nouvelle génération du haut de ses 65 ans. 

Digard est le premier de sa promo du BEF à endosser le costume suprême, ce qui lui a valu une série de messages de félicitations dans leur groupe WhatsApp. Un vent d’air frais supplémentaire sur le championnat de France, après Régis Le Bris (Lorient), Will Still (Reims) et, dans une moindre mesure, Mathieu Le Scornet (Strasbourg), même si l’ancien milieu ne travaille pas seul. Le triumvirat avec Frédéric Gioria et Julien Sablé fonctionne à merveille et la mise en place d’un véritable pôle performance, avec notamment l’arrivée de Laurent Bessière, permet au coach niçois de s’appuyer sur des personnes compétentes dans leur domaine. « C’est une forme d’intelligence de savoir s’entourer, rappelle Alexandre Licata, qui dirige les U14 de l’US Cap d’Ail. C’est allé super vite pour lui, ça démontre aussi que rien n’est impossible et qu’on peut donner leur chance à des jeunes entraîneurs en France. » Il y a quatre ans, Digard venait tout juste d’être nommé adjoint des U17 de Nice, et dans un entretien donné à Monaco Matin, il parlait forcément de Quique Setién : « Il était prêt à mourir avec ses idées, il n’aurait jamais changé de philosophie de jeu à cause des résultats. Personnellement, je préfère ne pas mourir, mais quitte à mourir, autant que ce soit avec tes idées. » Pour l’instant, Didier Digard l’entraîneur est bien vivant.

Dans cet article :
Franck Haise : « Il valait mieux entraîner il y a vingt ans  »
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Par Clément Gavard

Tous propos recueillis par CG sauf mentions.

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