- Coupe du monde – Groupe F – Bosnie/Iran
Lieutenant Dan !
Si les Iraniens restent toujours en mesure de se qualifier pour les 8es de finale, ils le doivent beaucoup au travail de sape mené par le sélectionneur Carlos Queiroz et son staff très international. Exemple avec l'entraîneur des gardiens, un certain Dan Gaspar, de nationalité… américaine. Pour le symbole, c'est beau, mais le loustic ne veut pas s'arrêter à ça et aimerait que son cas puisse faire évoluer les mentalités, chez ses compatriotes autant que dans son pays d'adoption.
Lieutenant Dan est en mission. L’ennemi à vaincre : les préjugés. Si sa bande et lui ne gagneront certainement pas cette impossible guerre, ils peuvent s’enorgueillir d’être sur le point de remporter une belle bataille. Car depuis le début de la Coupe du monde, de nombreux médias américains s’intéressent tout particulièrement à la sélection iranienne, et non pas sur un ton de défiance, mais plus de curiosité, voire d’admiration. Et ça, c’est un peu grâce à lui. Car le lieutenant Dan Gaspar en question est un Yankee « infiltré » dans la Team Melli iranienne, au sein d’un staff sportif très international. Une bande avec pour chef l’expérimenté Portugais Carlos Queiroz, mais aussi un Australien, un Finlandais, un Mozambicain, un Cap-Verdien… Tous au service de l’équipe nationale d’un des pays les plus énigmatiques de la planète actuelle. Un pays redouté qui nourrit bien des fantasmes et des craintes, situé qui plus est au cœur d’une région sous haute tension depuis des décennies et des décennies. L’Iran, placé en tête de gondole des nations ennemies des USA. Alors quand Dan Gaspar se voit proposer cette offre d’emploi en 2011, forcément il hésite un peu au départ. Sa famille et ses amis tentent de le dissuader d’accepter, il décide de ne pas les écouter. « Professionnellement, c’était une belle opportunité de pouvoir travailler dans cette partie du monde, argumentait-il dans une interview accordée au Times. J’ai toujours été aventureux, à la recherche d’autres footballs et d’autres cultures. »
Avec Queiroz, une collaboration de 20 ans
Dan Gaspar est né dans le Connecticut il y a près de 59 ans. Intéressé par le « soccer » , qu’il pratique étant jeune au niveau universitaire, il débute sa carrière d’entraîneur des gardiens, son poste de prédilection, au Portugal, pays d’où une partie de sa famille est originaire. C’est là, au début des années 90, qu’il fait la rencontre de Carlos Queiroz, qui deviendra son mentor. Gaspar s’occupe de coacher les portiers des U16 et U18 du Portugal quand Queiroz se voit confier la sélection nationale entre 1991 et 1993. Les deux se croisent souvent et décident de nouer une collaboration qui dure encore aujourd’hui. Après le Portugal, le duo va notamment se retrouver au Japon, aux États-Unis et en Afrique du Sud. Et quand Queiroz se retrouve encore à la tête de la sélection portugaise pour préparer la Coupe du monde 2010, c’est tout naturellement Dan Gaspar qu’il appelle pour venir le rejoindre dans cette mission qui se termine peu après la fin de la compétition.
Six mois de chômage plus tard, Queiroz est cette fois approché par la Fédération iranienne, qui a déjà le Mondial brésilien en tête. Il accepte et emmène Gaspar dans ses bagages. Et voici comment a débuté cette aventure pas banale vieille déjà de plus de trois ans et couronnée d’un certain succès : qualification pour le Brésil brillamment acquise et un parcours jusqu’à présent très honnête sur place, avec un nul 0-0 contre le Nigeria et une défaite de justesse 0-1 face à l’Argentine. Si les Iraniens sont contraints de composer avec leurs moyens limités en pratiquant un football frileux pas très joli à voir, ils se rattrapent par une attitude assez classe sur le terrain, ce qui n’étonne en rien Gaspar, qui expliquait aussi ceci ces derniers jours aux médias américains : « En plus de trois années d’activité en Iran, il n’a jamais été fait mention de ma nationalité, jamais elle n’a posé un quelconque problème. » Et encore ceci : « Je reste impressionné par l’hospitalité des Iraniens et leur gentillesse. »
Son combat pour l’entrée des Iraniennes au stade
S’il s’est accommodé de l’omniprésence de la religion dans la société locale ( « La première fois que j’ai entendu l’appel à la prière du matin, je suis sorti du lit pour regarder par la fenêtre ce qu’il se passait. Aujourd’hui, je m’y suis habitué et ça ne m’empêche plus de dormir » ), Dan Gaspar ne peut en revanche pas et ne pourra jamais s’habituer au sort fait aux femmes dans la société en général et dans un stade de football en particulier, où elles sont carrément interdites. Et il ne se prive pas de s’exprimer sur ce sujet sensible. « J’ai déjà demandé la raison de leur absence au stade, on m’a répondu que c’est à cause de certains chants de supporters qui sont inappropriés. Les femmes sont acceptées dans les salles de volley-ball et de basket-ball car, paraît-il, les fans y sont plus polis. » Lorsque Sepp Blatter a effectué le voyage en Iran l’an dernier, Gaspar n’a pas non plus hésité à en parler. C’est pour lui la condition sine qua non pour que l’Iran continue de s’ouvrir au monde et espérer un jour accueillir une grande compétition internationale. Si ça se réalise, le lieutenant Dan sera certainement déjà loin, à accompagner fidèlement Carlos Queiroz dans une autre mission, le Portugais ayant déjà annoncé son départ d’Iran à l’issue du Mondial brésilien. Les deux larrons et toute la bande du staff de la Team Melli vont pouvoir plier les gaules avec le sentiment du devoir accompli : grâce à eux, le regard de bien des gens sur la sélection iranienne a changé. Ne serait-ce qu’un peu. Une mission réussie à inscrire à la suite du match USA/Iran hautement symbolique de la Coupe du monde 1998.
Par Régis Delanoë