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L’homme noir au visage blanc
S'il a marqué l'histoire du football anglais de son empreinte de géant, Stanley Matthews a également laissé une trace indélébile en Afrique du Sud, où il a lutté, ballon rond entre les pieds, contre l'apartheid.
Quand Pelé disait de Stanley Matthews qu’il était celui « qui nous a montré la manière dont le football devrait être joué » , il ne pensait certainement pas si bien dire. Sur les terrains, le roi du dribble laissait sans voix adversaires, spectateurs et coéquipiers. Son talent n’avait d’égal que sa popularité mondiale, d’autant plus impressionnante qu’à l’époque, les médias de masse n’étaient pas encore utilisés pour illustrer le génie de cet homme. Les plus grands disaient de lui qu’il était le plus grand, et lui faisait tout pour le rester. En Angleterre, son image d’homme irréprochable et de joueur exemplaire lui collait à la peau et aux crampons. Ce caractère quasi mythologique qu’il arborait l’a même suivi des années après la fin de sa carrière de joueur, bien loin des frontières insulaires du Royaume-Uni et de son Staffordshire natal. Après une expérience d’entraîneur ratée du côté de Port Vale, c’est en Afrique noire et en Afrique du Sud que The Wizzard choisit d’aller jeter quelques sorts. Un pour le football, bien évidemment, un pour les rêves des gamins de Soweto et un contre l’apartheid. Aujourd’hui, personne n’a oublié l’homme noir au visage blanc.
Voyager pour oublier
Alors qu’il est encore joueur – il le sera jusqu’à un âge canonique pour un footballeur –, Stanley Matthews visite régulièrement l’Afrique. En 1955, il est invité par un homme d’affaires à visiter Soweto, banlieue extrêmement pauvre de Johannesburg. Il l’ignore alors, mais c’est dans ce township qu’il vivra de nouveau des moments inoubliables. Plus les années passent, plus l’ailier commence à apprécier ses séjours sur le continent africain. En plus d’y affiner ses compétences d’entraîneur, il peut y vivre loin des tumultes de la perfide Albion. En 1967, le magicien vit une saison plus que dramatique sur le banc de Port Vale. Il rencontre en Tchécoslovaquie Mila, une femme avec au moins autant de mariages à son actif que lui de buts en sélection, doublée d’une espionne tchèque au nom de code de Greta. La presse s’agite, d’autant plus que Stanley Matthews doit divorcer de sa première femme, Betty, avec qui il était marié depuis plus de trente ans. À Malte et en Afrique, le nouveau couple trouve un peu du calme oublié en Angleterre.
À la tête de plusieurs équipes au Nigeria, au Ghana, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie, le Britannique s’épanouit comme rarement il avait eu la chance de le faire. « Je n’allais pas là-bas pour l’argent. Je le faisais pour rendre un peu de ce que le football m’avait donné. J’avais l’impression d’être endetté vis-à-vis du football, et en entraînant ces enfants des quartiers défavorisés du Tiers-Monde, j’avais l’impression de remboursé en partie la chance qu’on m’avait donnée. J’avais des dizaines d’offres pour entraîner aux États-Unis, en Australie, en Allemagne de l’Ouest, au Brésil, mais ce que je ressentais en entraînant en Afrique valait plus que tout l’argent qu’on aurait pu me proposer » , explique-t-il lui-même dans une de ses cinq autobiographies, The way it was. En 1975, sa vie d’entraîneur itinérant le pousse à poser à nouveau ses bagages en Afrique du Sud, à Soweto. S’il lui a été quelques fois reproché de ne pas avoir pris position contre l’apartheid en place, c’est parce qu’il a toujours préféré l’action à la parole. « J’ai rendu floues les frontières mises en place par l’apartheid » , se félicite-t-il.
Le Jésus de notre monde
À l’équipe qu’il a lui-même créée, les Stan’s men, il transmet ses valeurs de courage, de détermination et d’abnégation. Il transmet avant tout l’amour du football qui peut suffire à unifier sous la même bannière des peuples qui s’affrontent depuis des années. Avec ces gamins défavorisés, il met sur pied une équipe compétitive et lui promet même l’impensable. Quand il leur demande quel est leur joueur préféré, la majorité de ses joueurs répondent qu’il s’agit du roi Pelé. Ni une ni deux, sir Matthews fait sponsoriser un voyage par Coca-Cola et le Johannesburg Sunday Times. Malgré bien des soucis – le gouvernement ne voulant pas laisser un groupe de jeunes noirs sortir du pays et la FIFA ayant banni la Fédération nationale à cause de l’apartheid – l’Anglais parvient à emmener ses jeunes joueurs au Brésil. Là-bas, ils s’entraînent avec la Seleção de Ziko et se prennent fessée sur fessée contre les équipes qu’ils rencontrent. Mais qu’importe, ils rencontrent Pelé et rentrent au pays des étoiles plein les yeux.
Beaucoup des Stan’s men sont aujourd’hui devenus des figures importantes dans le monde du football sud africain. Depuis la mort du magicien, ils sont nombreux à témoigner régulièrement de son apport démesuré contre l’apartheid. Paradise Moeketsi expliquait à la BBC que « cet homme était le Jésus de notre monde. » Pour Archbishop Desmond, « son travail dans les townships avaient des ramifications dans beaucoup de secteurs, et notamment dans la politique, dans le sens où il a redonné aux gens de l’espoir et une vision optimiste du futur. » Tous s’accordaient à dire que Stanley Matthews était un homme noir au visage blanc. Il était tout simplement un magicien, que ce soit sur le terrain ou depuis le banc de touche. Finalement, il a certainement réussi à accomplir son objectif premier : rendre un peu de ce que la vie lui avait donné à ceux qui en avaient besoin. Et effacer un temps de sa mémoire un souvenir bien plus sombre qui l’aura hanté jusqu’à la fin.
Par Gabriel Cnudde