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L’hommage suédois à Fabrice Muamba
Perdu le long de la frontière norvégienne, au nord de Göteborg, le Muamba FC porte le nom de celui qui mit un terme à sa carrière il y a quatre ans, jour pour jour. La raison ? Une enclave de supporters boltoniens désireux de rendre hommage au héros du club déclaré mort durant 78 minutes lors d'un match de FA Cup.
17 mars 2012, White Hart Lane, quart de finale de FA Cup ; Tottenham-Bolton, quarante-deuxième minute : Fabrice Muamba, international espoir formé à Arsenal, s’effondre à la suite d’un malaise cardiaque. Alors que White Hart Lane scande son nom et qu’un cardiologue descendu des tribunes l’accompagne au London Chest Hospital, Fabrice ne respire plus. 78 minutes de mort clinique, onze électrochocs et pas mal de soins intensifs plus tard, Fabrice se réveille. Le 19 mars, son cœur n’a déjà plus besoin de machine pour battre. Un mois plus tard, il sort de l’hôpital appesanti d’un pacemaker. Sur recommandation de l’équipe médicale, il met un terme à sa carrière le 15 août 2012, via un communiqué sur le site du club : « Le football représente ma vie depuis l’adolescence. Le football m’a offert tant d’opportunités. J’aime le football et j’estime avoir eu beaucoup de chance de pouvoir jouer au plus haut niveau. Bien que la nouvelle soit terrible, je me dois d’être reconnaissant. Je remercie Dieu d’être en vie et tire mon chapeau à l’équipe médicale qui n’a cessé de me soigner. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui m’ont soutenu durant ma carrière ainsi que les supporters de Bolton, qui ont été exceptionnels. » À plus de mille kilomètres de l’ancien Reebok Stadium, de l’autre côté de la mer du Nord, quelques-uns de ces supporters exceptionnels entendent le message.
« On avaient besoin d’un nom pour rassembler les gens et pour démontrer ce qu’on voulait »
Pendant ce temps-là, à Trollhättan, haut lieu de l’industrie automobile suédoise à 80 kilomètres de Göteborg, Jordan Ames et sa famille, Boltoniens résidents depuis une décennie au pays de Zlatan pour travailler chez Saab, viennent de monter leur club. Les pauvres sont supporters des Wanderers. « God help us » , reconnaît Jordan avant de poursuivre : « Quand on a commencé en 2012, on avait besoin d’un nom pour encourager les gens à revenir jouer au foot, on voulait ramener les joueurs« back from the dead ». Je voulais rejouer au foot, du coup on a essayé de faire venir les gens qui, comme moi, avaient arrêté pour les mauvaises raisons : université ou travail. On a donc pensé que l’histoire de Fabrice nous correspondait, parce qu’il a eu un arrêt cardiaque sur le terrain, parce qu’il a été mort durant 78 minutes et parce qu’il est revenu à la vie, c’est juste une superbe histoire : « You have to keep going. » » Du coup, Jordan, ses frères – Fraser, Rowan et Harvey –, ainsi que le père Steve collent le nom de Fabrice à leur club nouveau-né. Comme Muamba, les boys galèrent à faire tenir le club debout du fait du lot classique de tout club amateur qui se respecte : terrain, matériel et joueurs leur imposent un sacré boulot. Et coach Jordan de confirmer : « La moitié du job, c’est de faire en sorte que les joueurs arrivent au bon moment, au bon endroit avec les bons vêtements. »
Aujourd’hui, le club joue en huitième div’ : « J’en suis pas trop sûr en fait, mais bon, on a déjà été promu une fois et on est« top of the league »en ce moment. Du coup, pourvu qu’on foute pas tout en l’air sur les derniers matchs, on devrait obtenir une deuxième montée en cinq ans. » Une incertitude compréhensible au regard de la complexité de l’organisation du football suédois. Car la première et deuxième divisions nationales sont immédiatement suivies d’une régionalisation à outrance des compétitions, avec une base de la pyramide excessivement large générant la confusion au sein même de ses participants. Impératif météorologique : on joue d’avril à octobre un football de boucher. « Ici, c’est comme la old school anglaise, ça joue long et les plus grands et les plus costauds, les Vikings comme ils les appellent ici, sont titulaires. » Le mètre 86 et les 80 kilos de moyenne de l’équipe nationale à l’Euro n’étaient en fait que le reflet de la réalité du football suédois.
Multiculturalisme suédois et jokes à l’anglaise
Réalité suédoise aussi : la difficile acceptation d’un multiculturalisme inhérent à la globalisation du monde. « Ici, en Suède, les gens sont très très sympas, tout est bien organisé. Mais si tu ne rentres pas dans le moule, tu peux être mis de côté, même si tu es bon au foot. Ils font sentir aux gens qu’ils sont exclus s’ils ne sont pas comme eux. Ils essayent d’intégrer les autres, mais ça prend du temps. Nous, justement, on cherchait juste onze lads pour jouer au foot et pas mal d’entre eux avaient été rejetés par d’autres équipes. On avait des joueurs du monde entier, mais ils ne parlaient ni anglais, ni suédois. On avait un Thaïlandais, il était super fort, mais la communication sur et en dehors du terrain était compliquée. Au final, tous ceux qui voulaient jouer étaient les bienvenus. Mais rien n’était prévu pour que les étrangers viennent au club, « it just happened ». » Aujourd’hui, le club compose avec un Serbe, un mec des Tonga, un Irakien et pas mal de Boltoniens.
Ces même Boltoniens qui ramènent de l’Angleterre l’humour embarrassant de Ricky Gervais : « On était à un tournoi l’année dernière, on se fait sortir en quarts, mais on était plutôt contents de nous. Du coup, le soir, on va boire avec les gars et alors qu’il se fait tard, Jacob, notre arrière gauche, appelle sa copine pour qu’elle vienne le chercher. Elle arrive, et avec l’équipe, on décide de tous monter. Parce que la copine de Jacob est plutôt sérieuse, elle ne prend pas très bien les blagues. C’est exactement pour ça qu’on décide de grimper. Mais une fois qu’on est tous dans la voiture, elle commence à rouler. Nous, on rigolait, on ne voulait pas rentrer avec Jacob et sa copine. On sort de la ville et personne n’ose rien dire jusqu’à ce que l’un d’entre nous balance une connerie. À ce moment-là, elle comprend que c’est une blague et freine sec, elle ouvre les portes, nous dégage tous, y compris Jacob, et redémarre. Et voilà, c’est l’histoire de l’équipe abandonnée au milieu de nulle part, au milieu de la nuit par la copine de Jacob. » Le tout pour une vanne en carton. En bon rosbeef, Fabrice likes it.
Par Josselin Juncker