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  • 2 mai 1982
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L’histoire du premier et seul France-Palestine

Par Nicolas Kssis-Martov
L’histoire du premier et seul France-Palestine

L'équipe nationale palestinienne participe pour la première fois à la Coupe d'Asie. Or cette reconnaissance symbolique dans l'arène du foot n'a pour l'instant donné lieu à aucune rencontre avec les Bleus, même en amical. Sauf à se souvenir qu'en 1982, dans un contexte tout autre, alors que pas grand monde ne se préoccupait de ce qui se passait là-bas, le stade municipal d'une petit ville de banlieue lointaine, Vigneux, accueillit un exceptionnel et toujours inédit France-Palestine… mais organisé par la FSGT.

Le contexte a son importance. La gauche vient enfin d’arriver au pouvoir. L’alternance laisse encore éclore quelques espoirs parmi ceux qui, dans la société française, croient aux promesses du programme commun. La Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), héritière du sport ouvrier et que le Figaro classe encore « d’obédience communiste » , est en tout cas en pleine effervescence (on y cause même « autogestion » ). Elle mène depuis de nombreuses années un combat assez solitaire contre le sport « racial » de l’Apartheid – et, victoire, le nouveau gouvernement impose à la FFR de suspendre ses relations avec les Springboks. Elle décide, à la même période, de se lancer dans la lutte pour la reconnaissance du sport palestinien. L’affaire ne va pas de soi, y compris en interne. La « fédé » entretient d’importantes et anciennes relations avec son homologue israélien Hapoël (ses gymnastes et volleyeurs participeront par exemple aux championnats de la CSIT accueillis en Israël du 1er au 7 août 1983, nldr), lié au puissant syndicalisme travailliste de l’État hébreux. En outre, la Palestine est encore fortement, voire exclusivement, associée à la question du terrorisme, surtout dans le sport (nous sommes dix ans après les JO de Munich).

Un choix officiellement assumé

Toutefois, le 22 octobre 1981, la FSGT et le Conseil supérieur de la jeunesse palestinienne de l’OLP annoncent l’établissement de « relations sportives d’amitiés » . Du côté français, on marche cependant sur des œufs en expliquant qu’il s’agit juste de reconnaître l’existence du peuple palestinien et de « son sport » , « sans prendre position au niveau des solutions politiques au conflit israëlo-palestinien. » Surtout, c’est au nom des valeurs de l’olympisme, notamment le refus des discriminations, que ce choix est officiellement assumé. L’une des conséquences immédiates sera, pour en revenir à ce qui nous intéresse directement, la décision d’inviter « l’équipe nationale de football palestinienne à effectuer un séjour en France la première semaine de mai 1982 » . Le déplacement des footballeurs palestiniens intervient dans une situation très tendue. L’attentat de la rue Marbœuf est encore dans toutes les mémoires, avec Carlos en superstar sanglante qui réchauffe une guerre froide assoupie.

Pour Anwar Abu Eisheh, qui occupe à l’époque le poste de président de l’association des étudiants palestiniens en France (aujourd’hui professeur à l’université d’Al Quds, à Jérusalem-Est, il sera le premier porte-drapeau d’une délégation olympique palestinienne à Atlanta en 1996) : « Pour nous, c’était l’occasion de faire connaître la situation des sportifs palestiniens, de faire connaître la cause palestinienne à travers une lutte non violente. La venue de l’équipe palestinienne avec la FSGT fut aussi l’occasion de voir pour la première fois levé le drapeau palestinien officiellement dans quelques stades en France » , raconte-t-il. Les « capés » ne viennent pas alors directement des territoires occupés, mais de la diaspora qui s’est répandue dans tout le Moyen-Orient au fil des défaites et des exodes. « L’équipe nationale a été constituée pour venir en France en regroupant les meilleurs joueurs de la branche syrienne et libanaise de l’union de football palestinienne » lit-on dans Sport et Plein Air en mai 1982. Il existe notamment vingt-trois clubs et à Beyrouth et au Sud-Liban, et neuf à Tripoli. La saignée sera terrible quand, en juin, Israël déclenchera l’opération « paix en Galilée » pour détruire l’OLP.

De Dammarie-les-Lys à Vigneux

« C’était très dur, se rappelle Pascal Mesnil, à ce moment responsable du secteur international de la FSGT et donc en charge de la tournée. On se demandait parfois dans quel pays nous vivions. Il y avait des policiers et des CRS partout, dès que l’équipe se déplaçait et évidemment autour du lieu d’hébergement, un centre Snecma à Dammarie-les-Lys en Seine-et-Marne. Des tireurs d’élite sur les toits et tout le tremblement. Juste pour une équipe de foot ! » Et malgré l’arrivée de la gauche au pouvoir, la Palestine continue de sentir le soufre. « Nous avions participé avec eux au défilé du 1er mai, poursuit Pascal Mesnil. Il était prévu, cela avait été arrangé, qu’on puisse déposer une gerbe au pied de l’Arc de Triomphe pour le 8 mai. Finalement, cela nous a été refusé. On a remplacé cela par une cérémonie à Ivry devant une stèle en hommage au groupe Manouchian, avec en forme de clin d’œil le texte« de terroristes à d’autres terroristes » » .

De fait, pas de Parc des Princes ni d’enceintes prestigieuses. Les rencontres se tiennent dans les modestes installations de proximité des mairies « amies » , avec le soutien des clubs locaux. Et « l’inauguration » se déroule à Vigneux, alors fief du PCF en Essonne. Le 2 mai, ce match « historique » s’effectue ainsi devant à peine… 200 personnes – pourtant l’entrée est gratuite. Le premier édile, Lucien Lagrange, donnera le coup d’envoi, après qu’en lever de rideau, les minimes du cru se sont inclinés 3-2 face à ceux du Red Star Club de Champigny.

« Je ne mesurais pas trop ce que je vivais »

Quand les deux hymnes nationaux retentissent – c’est une sélection nationale FSGT qui évolue en face, au Havre – et à Arceuil il s’agira de « teams » régionales – Sport et Plein Air y décèle un « moment d’émotion, tout le monde prend vraiment conscience de vivre un instant exclusif, extraordinaire, exceptionnel, historique » . Pas pour tout le monde, cependant. « J’étais une gamine de l’équipe féminine de l’AS Drancy, et je me souviens avoir porté le drapeau olympique devant les deux équipes qui entraient sur le terrain. Je ne mesurais pas trop ce que je vivais, se remémore Lydia Martins-Viana, devenue aujourd’hui co-présidente de la FSGT. Cela dit, y compris pour les militants de la très engagée Fédération du « sport populaire » , c’est surtout l’occasion de découvrir un nouveau visage de la Palestine. « En pénétrant dans la salle Ferry, je suis surpris : des jeunes en costume trois-pièces marron, cravate assortie et chemise jaune discutent dans une chaude ambiance, raconte Alain Boucheron, vice-président de l’US Vigneux et policier de profession. Voilà donc les Palestiniens. Je les imaginais « style Arafat » » .

Cette tournée ne fait pas que mobiliser les effectifs de police. Elle suscite malgré tout un petit intérêt médiatique. Antenne 2 et FR3 relatent l’événement, avec beaucoup de circonvolutions et ellipses sportives. Mais nous sommes encore à la grande époque du clivage droite/gauche, et le Figaro ne pouvait laisser passer une telle opportunité de s’offrir une Schumacher anticipée dans la face des « rouges » : « Niant le geste politique, la FSGT ne retient que l’objectif final : c’est-à-dire la reconnaissance de l’État palestinien. (…) L’équipe de football de Yasser Arafat a préféré les locaux du comité d’entreprise d’usine (la SNECMA en l’occurrence ) à un hôtel parisien. Rencontres sans recettes, tout juste la vente de cartes de solidarité, nous dit le président de la FSGT. Difficile de croire pourtant, qu’entre les envoyés de Y. Arafat et les communistes locaux, il n’y ait qu’un seul dénominateur commun : « la mise en valeur des idées olympiques » » .

Du 27 juin au 7 juillet 1985, ce sera cette fois la première tournée d’une équipe de football FSGT dans la bande de Gaza, à Naplouse, Jéricho, Jérusalem et à Bethléem. Certains clubs développent des relations privilégiées sur place, à l’instar du Cosm Arcueil avec le club du collège De la Salle (Jérusalem) ou de l’Art et Sports (Drancy) avec le club du camp de réfugiés d’Askar (Cisjordanie). Jusqu’à nos jours. Il faudra cependant attendre la balade du Variété club, en 1993, une fois les accords d’Oslo signés, pour que d’un coup, tout le foot « officiel » ne découvre les crampons palestiniens et les « difficultés » de leur situation.

La vidéo INA de l’époque :

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