- NASL
- MLS
- Histoire
L’histoire des shootouts, l’ancêtre des tirs au but en MLS
Il y a plus de quarante ans, un championnat de football s’appropriait ce sport à sa manière. Aux États-Unis, le soccer, c’était des stars, de l’entertainment donc, et pas de matchs nuls. Pour décider du sort d’une rencontre terminant à égalité, la North American Soccer League (NASL) imposait de drôles de tirs au but. Régulièrement exhumés sur les réseaux sociaux, d’aucuns voudraient les voir revenir quand d’autres critiquent cette étrangeté indigne du vrai foot. Ceux qui en ont marqué, raté, arrêté durant ces quelques années racontent leurs souvenirs de shootouts, comme on dit là-bas.
Les vieux livres d’histoire racontent que la pratique aurait été inspirée par les duels entre cowboys. Il était une fois dans l’Ouest, une époque où les tirs au but étaient bottés différemment. En 1977, neuf ans après sa création, la NASL introduisait une nouvelle manière de décider du vainqueur d’un match nul. Après une prolongation, si le but en or n’avait toujours pas été marqué, les joueurs s’affrontaient au shootout. La chose consistait à partir balle au pied des 35 yards (32 mètres) afin d’aller défier le gardien en un contre un. Le tout en cinq secondes maximum. En cas de choc entre portier et tireur, l’arbitre pouvait siffler un penalty. Avant ça, le soccer s’était déjà démarqué du reste de la planète football en introduisant le but en or (encore utilisé en NCAA, le championnat universitaire américain) à la fin des matchs nuls. « Face aux autres sports US, le shootout était un moyen d’attirer les fans vers le soccer. Ce système demandait beaucoup de capacités, la conduite de balle, la frappe, le sang-froid, indique Jeff Carlisle, journaliste pour ESPN. Et les gardiens pensaient que c’était plus juste que les tirs au but pour eux. Mais les puristes n’aimaient pas ça, ils voulaient voir le même football que celui joué dans le reste du monde. »
Contrairement à la croyance répandue, le soccer est le premier sport à adopter cette manière de départager deux équipes. En 1992, la Fédération internationale de hockey sur glace adopte un exercice similaire, la NHL (ligue nord-américaine de hockey sur glace) fera de même en 1994. L’apparition du shootout coïncide avec l’arrivée des stars du football mondial aux States. Pelé débarqua un peu avant, en 1975, bientôt suivi de Franz Beckenbauer, Carlos Alberto, George Best, Gordon Banks, Gerd Müller ou Johan Cruyff. L’idée qui règne est d’immerger le soccer dans l’identité américaine. Pour cela, d’autres idées extravagantes sont soufflées aux oreilles des dirigeants de la NASL. Notamment celle de donner plus de points à une équipe qui marquerait des buts de loin. La ligue adopte finalement un chrono qui compte à rebours et qui s’arrête durant les temps morts. Et la ligne de hors-jeu n’est qu’à 35 yards du camp adverse. Pour Jeff Carlisle, qui a grandi en regardant la NASL, c’était le temps nécessaire pour l’apprentissage du beautiful game. « Avec ces règles adaptées, les dirigeants apprendront que pour séduire les fans, il fallait augmenter la qualité globale du jeu plutôt que de changer les règles. Je n’ai aucun souci avec le shootout par exemple, mais au bout d’un moment, certaines équipes forçaient le match nul, pour tenter de remporter les trois points grâce au shootout plutôt que par le jeu. Réservé seulement aux playoffs, le shootout aurait été plus intéressant », affirme le journaliste.
Shootout stars
En effet, les shootouts ont fait suer plus d’un front en playoffs. Par une nuit d’août 1978, dans le stade des Giants, le Cosmos tente de rester en vie face aux Minnesota Kicks. En demi-finales de conférence, les New-Yorkais, tenants du titre, sont au bord de l’élimination à la suite de shootouts calamiteux. Après quatre tête-à-tête ratés par ses coéquipiers, Carlos Alberto s’élance des 35 yards. S’il rate, le Cosmos et sa pléiade de stars rentreront tête basse à la maison. Face à un gardien en feu, dans un stade en feu, le capitaine des champions du monde 1970 se lève le ballon, va défier Tino Lettieri en jonglant jusqu’à lui, avant de faire passer la balle au-dessus de la tête du gardien canadien. Le stade rempli de plus de 60 000 âmes est en délire. Derrière, après un arrêt du gardien new-yorkais, Franz Beckenbauer propulse le Cosmos en finale de conférence. Le club remportera le titre onze jours plus tard.
Fraîchement débarqué d’Angleterre, Ray Hudson, aujourd’hui consultant pour beIN Sport USA, garde en mémoire l’audace du défenseur brésilien. « Avec l’enjeu, la pression de l’élimination, je pense que c’est le plus beau shootout de tous les temps. Carlos Alberto était le Picasso du shootout, personne n’avait jamais fait ce qu’il a tenté et réussi ce jour-là. Il apportait aussi la preuve qu’on pouvait mettre de l’inventivité dans cet exercice que je découvrais », explique l’ancien milieu de Newcastle. Au début des années 1980, après être arrivé d’Angleterre, Brian Quinn a opté pour le travail face à un exercice qu’il maîtrisait mal. « Lors de mon premier match avec les Los Angeles Aztecs, j’y ai eu droit. Arrivé lancé face à un gardien n’est pas chose facile, c’est beaucoup plus dur que les tirs au but, et c’est d’autant plus dur que c’est décisif, alors j’ai travaillé ça à l’entraînement pour que mon geste devienne plus naturel. En tout cas, c’était un formidable challenge », se souvient le milieu d’origine nord-irlandaise devenu plus tard international américain.
« Je n’ai jamais raté un shootout ! », clame fièrement Ray Hudson. Sous les palmiers floridiens, à Fort Lauderdale, l’Anglais a pu observer de près l’amour plus ou moins mesuré de quelques stars de l’époque pour le shootout. « Quand tu arrives d’ailleurs, ou ça marche tout de suite, ou tu galères et tu essaies de t’améliorer à l’entraînement, ce truc mettait en valeur les qualités et les défauts de chacun, raconte-t-il. Gordon Banks détestait le shootout, il pensait que les tirs au but le mettaient davantage en valeur parce que c’était un monstre sur sa ligne et moins pour sortir. Gerd Müller, c’était un renard des surfaces, mais pour le dribble, la conduite de balle, c’était plus dur de se présenter dans de bonnes conditions face au gardien. Alors que George Best glissait sur la pelouse, et finissait souvent en piquant la balle au-dessus du gardien. » Avec ses stars qui s’en vont pour la plupart au début des années 1980, la NASL commence à perdre de l’allure. La ligue s’arrête en 1984. Le Cosmos de Pelé & co, et quelques autres franchises qui s’en sont inspirées, ont montré que le football revisité aux USA pouvait attirer les foules. Mais les ingrédients principaux (ses stars) qui en faisaient sa substance indiquaient une vision à court terme. Quelques années plus tard, une nouvelle ligue professionnelle est promise à la FIFA par les dirigeants de l’US Soccer après l’obtention du Mondial 1994. Le shootout reviendra.
MLS, ligue mondiale
Bien avant de ferrailler avec Hugo Lloris à White Hart Lane, Brad Friedel a participé aux deux premières saisons de la MLS dès 1996 et 1997. Sous les couleurs du Colombus Crew, le gardien américain a fait face au shootout, une tentative de promo plus qu’autre chose à ses yeux. « Shootout ou tirs au but ? Il aurait mieux valu une séance de tirs au but normale, mais la ligue était nouvelle, les dirigeants essayaient de raviver les souvenirs glorieux de la NASL des fans qui aimaient cette époque-là. Alors que la plupart des joueurs auraient préféré que les matchs nuls se terminent normalement », assure l’ancien international américain (82 sélections).
« Pourquoi vous faites ça ? » Ayant fait toute sa carrière en Colombie, Óscar Pareja a souvent posé la question à ses partenaires quand il a rejoint le championnat américain. Avec le New England Revolution puis le FC Dallas, le milieu de terrain paisa n’a jamais pu intégrer cette façon de décider du sort d’un match. « Lors de mon premier match en playoffs avec Dallas, les gars ne voulaient pas que j’en prenne un : « Non, non, non, non, non Óscar, oublie, tu sais pas comment dribbler un gardien » » , rembobine l’actuel entraîneur d’Orlando City qui s’étonnait que d’autres travaillent l’exercice à longueur de séance. Devenu coach des San José Clash, Brian Quinn a rapidement compris que ce système lui permettrait de gagner plus de matchs que son équipe l’aurait mérité dans le jeu. « C’était une véritable opportunité, je me suis dit que si on le travaillait sérieusement, on pourrait gagner beaucoup de matchs, explique le coach de l’université de San Diego. Avec un gardien comme Joe Cannon très mobile d’un côté, et des joueurs qui bossent cette première touche de balle pour arriver sereinement au seize mètres de l’autre, on avait une bonne stratégie pour progresser. »
Vu de sa cage, le shootout n’avait pas besoin d’être travaillé, ce n’était qu’une série de situations qui ont naturellement lieu au cours d’un match. « Je n’ai jamais fait de spécifique shootout. Je m’adaptais sur l’instant par rapport à la conduite de balle. Le shootout est plus facile pour un gardien par rapport à des tirs au but où tu dois rester les pieds collés à ta ligne, le tireur a une marge d’erreur plus grande, juge Brad Friedel. Dans le face-à-face, tu peux réduire plus facilement l’angle du joueur. Ton déplacement peut influencer celui du joueur qui te fait face, ça doit même être l’objectif. Quand le mec poussait le ballon trop loin, je sortais, si la balle lui collait au pied, je restais plus près de ma ligne. Ce n’était que des face-à-face supplémentaires, ça ne m’a pas apporté un truc en plus pour la suite de ma carrière en Angleterre. » En 1999, avec l’arrivée d’un nouveau commissaire en la personne de Don Garber, la ligue s’aligne sur le reste du monde. Les matchs nuls seront autorisés, et le shootout disparaît dès l’année suivante. « Les joueurs se plaignaient de plus en plus. Moi, ça a presque mis fin à ma carrière, les chocs quand t’es lancé face à un gardien qui te fonce dessus pouvaient être dangereux », maugrée l’ancien international US Eric Wynalda. Don Graber exposait, déjà, sa vision actuelle. Faire de la MLS un championnat à portée internationale.
Bientôt, un comeback ?
1982, par une nuit d’hiver, Johan Cruyff importait un mini shootout en Europe. L’attaquant de l’Ajax avait l’idée de tirer un penalty à deux, épaulé par Jesper Olsen qui le décalait, le triple Ballon d’or n’avait plus qu’à finir dans le but vide. Une telle bizarrerie était peut-être un souvenir ramené de ses saisons américaines avec les Los Angeles Aztecs, puis les Washington Diplomats. Quoi qu’il en soit, le Batave était un fan du shootout qu’il avait connu en NASL. « Le reste du monde devrait suivre l’exemple de la NASL, et remplacer les tirs au but par le shootout », s’enthousiasmait le Hollandais volant à son arrivée aux États-Unis. Il confirmait cette idée dans le documentaire sur le Cosmos, Once in a Lifetime, sorti en 2006.
Malgré les mots du numéro 14, les particularités qui faisaient le charme du soccer de cette époque sont loin. La MLS a globalisé son identité. Désormais collés au nom des villes : United, FC, ou Inter ont supplanté Impact, Burn ou Wiz. « L’évolution de notre sport a basculé, et c’est bien, estime Peter Vermes, coach du Sporting Kansas City. Notre jeu doit ressembler à ce qui se fait ailleurs, nos joueurs, quand ils vont disputer des compétitions internationales, doivent jouer selon les mêmes règles. Et les fans veulent voir ici ce qu’ils observent en Amérique du Sud ou en Europe. » Brad Friedel va dans le même sens : « Cette exercice ne devrait jamais revenir. » Pourtant les vidéos vintages des séances de shootouts qui circulent sur les réseaux sociaux excitent certains fans, dont Marco van Basten. Alors chef du développement technique de la FIFA, il disait à propos du shootout en 2017 dans une présentation autour de l’apport de nouvelles règles : « C’est spectaculaire pour les fans, et intéressant pour le joueur. Avec le shootout, le joueur a plus de possibilité, il peut dribbler, tirer, attendre, et le gardien peut lui répondre, c’est une vraie situation de jeu. » La Coupe du monde 2026 coorganisée par le Mexique, le Canada et les USA serait peut-être l’occasion de l’essayer en mondovision. Reste à convaincre Gianni Infantino.
Par Romuald Gadegbeku