- Euro 2016
- Gr. A
- France-Suisse
L’histoire de la chanson Coup de boule
C'était il y a maintenant dix ans. L'histoire d'une blague entre potes qui est devenue un tube planétaire. Au lendemain du coup de tête de Zidane à Berlin, les frères Lipszyc et leur ami Franck enregistraient le titre Coup de boule. Entre Cauet et une tragédie grecque.
Les images défilent, l’histoire avec. Un soir de juillet, à Berlin, la montre court sur les onze heures du soir. Sur la pelouse, une finale de Coupe du monde. Les ongles rongés par l’angoisse, la tension. Et Jean-Michel Larqué prend la parole : « Il y a faute sur Materazzi, il y a quelque chose. » La suite n’est qu’une lente et longue dramaturgie. Gianluigi Buffon parcourt la moitié de terrain italienne. Et c’est au tour de Thierry Gilardi de parler : « Tiens, on voit Zizou. Ouh, ouh, Zinédine. Oh, Zinédine. Pas ça. Pas ça, Zinédine. Pas ça, Zinédine. Oh non, oh non pas ça. Pas aujourd’hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait. Aïe, aïe, aïe, aïe ! » Zinédine Zidane vient de remettre son brassard en place, il crache au sol et, au fond, il sait.
Il sait qu’il vient de changer la dernière partition de sa vie. C’est un peu plus qu’une fausse note. « C’est épouvantable. » Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé, même pas l’arbitre central, Horacio Elizondo. Une voix changera finalement l’histoire, celle de Luis Medina Cantalejo, le quatrième arbitre, qui hurle dans le casque d’Elizondo : « Horacio, Horacio, je l’ai vu ! Un coup de tête vraiment violent de Zidane sur Materazzi, en pleine poitrine ! » La dernière image de Zidane au plus haut niveau sera donc celle-ci : un coup de tête. La France n’a plus les mots. Dans le sud du pays, Emmanuel Lipszyc, dirigeant de La Plage, une firme de réalisation de musiques de films, est à la terrasse d’un café. Il ne comprend pas. Son frère, Sébastien, est ailleurs. Son ami, Franck, est chez lui, devant un écran géant. Et tout à coup, le silence.
« On a balancé les trucs que tout le monde se racontait depuis 24 heures »
C’est la seule réponse : l’absence de réponses. Son ami Franck Lascombes raconte aujourd’hui avec plaisir être à ce moment « hébété » . Il voit ses amis fondre dans la déprime, certains probablement dans la bouteille.
Il est là, seul, arrache un bout de papier et raconte par téléphone : « Je me suis dit que ce n’était pas possible. J’ai commencé à griffonner quelques trucs sur une feuille. Mon rapport au foot est simple : il est lié à mes potes qui sont très fans de foot. Moi, je m’associe à cet enthousiasme collectif. Après, la Coupe du monde, je suis sur le coup, donc j’ai raconté ce que je pensais sur le moment. » L’affaire est lancée. Le lendemain, lundi, Sébastien, Emmanuel et Franck se retrouvent sur Paris, dans leur studio d’enregistrement, la tête ailleurs : « C’était un moment de tension commun, de dépression, raconte Emmanuel. Et entre midi et deux, on s’est mis à écrire. Pour moi, ce qu’il venait de se passer la veille était une tragédie grecque et en même temps, je trouvais ça tellement incroyable comme sortie. J’aime le football esthétique. Zidane, c’est la beauté. Les joueurs techniques ne m’impressionnent pas, Zlatan ne m’impressionne pas, car il n’y a pas de grâce. Zidane, lui, il avait le truc. » Le rendu est finalement assez simple : « Zidane il a tapé, Zidane il a frappé… Coup de boule… Chirac a bien parlé. » Comme à chaque illumination, le trio enregistre et balance la bande mp3 à ses amis par mail.
La journée reprend, la bande doit rendre une prod’ le soir même. Le temps passe et le téléphone de Franck sonne : « Là, un ami m’a appelé pour me dire que la chanson venait de passer sur Skyrock. »
Dans le mail commun envoyé quelques heures plus tôt se trouvait en réalité l’un des programmateurs de la station. La mèche se consume. Emmanuel : « On a balancé les trucs que tout le monde se racontait depuis 24 heures. Quand il y a un vrai sujet, on ne pense pas qu’il va y avoir une chanson et dix minutes après, elle est terminée. Le délire entre potes, c’est notre fonctionnement, notre quotidien, pas uniquement pour cette chanson. Nous, on fait de la musique de films depuis 15 ans pour les génériques, le cinéma, là, c’était un peu la récré. On voulait ensuite passer à autre chose. La même nuit, je me souviens qu’un jeu vidéo avait été fait où il fallait mettre des coups de tête avec Zidane avec les touches du clavier. Les gens avaient besoin de sortir une espèce de frustration. »
Le délire vient de dépasser la blague et devient un tube national. La presse s’en empare et lors des entretiens, le triangle balance des conneries, évoque un montant astronomique pour signer chez une maison de disques et se retrouve rapidement devant la porte de chez Warner. « On disait n’importe quoi dans la presse. Cette somme absurde a été reprise en boucle par des journaux sérieux et c’est la somme qu’on nous a proposée ! On ne l’a jamais touché, mais le dimanche suivant, on a tourné le clip et le lendemain, une semaine après le match, c’était dans les bacs » , détaille Franck.
Cauet, le mot à Zidane et la BBC
Avec du recul, les deux hommes désignent aujourd’hui l’épisode comme l’un des tout premiers phénomènes viraux de l’internet français. Le clip est tourné au stade Charléty, Franck est à la chanson : « Personne ne m’a choisi, je chante juste de temps en temps ! Mais rien n’a été organisé pour faire un tube, on a vraiment vu un succès se construire devant nous sans aucune possibilité d’intervenir. C’est une aventure de copains. On le voit sur le clip, on n’a pas du tout pris des pin-up, mais plutôt des femmes bien en chair, c’était plus drôle. Après, on nous a proposé une tournée dans le pays, les boîtes de nuit, mais on a refusé. Je ne voulais pas courir après ce succès. »
Reste que le titre est désormais en tête des charts, disque de platine en France et disque d’or en Belgique. Avec près de 500 000 ventes physiques, le délire devient un phénomène planétaire et Cauet – dont nous attendons toujours la réponse à notre demande d’interview – qui avait sorti Zidane il va marquer avant la Coupe du monde 2006, se sent insulté. Franck : « Je l’avais rencontré sur le plateau deHit Machineavec Yannick Noah. Il avait alors pensé qu’on marchait sur ses plates-bandes, il n’avait pas été sympa du tout. C’était assez drôle. » Dans l’aventure, coup du destin, le bonhomme rencontre également sa femme, alors en poste chez Warner. Il décide de partir dans la foulée au Brésil pour prendre des vacances et là-bas, surprise, la chanson s’est également fait un chemin : « Je me suis retrouvé à faire une interview avec la BBC ! » Suivront les versions espagnole, italienne, japonaise…
Autre problème : Zidane lui-même.
Amoureux de l’homme, Emmanuel Lipszyc tient à s’expliquer avec son idole, qui aurait prétendument mal pris la partition : « On lui a alors écrit un petit mot. Je connaissais quelqu’un qui le connaissait. Je sais qu’il l’a eu. On a commencé par lui dire toute notre admiration, qu’on espérait qu’il allait le prendre bien, qu’il n’y avait absolument aucune méchanceté. Il a réagi sur le plateau de Denisot et avait dit qu’il trouvait ça drôle. Bon, je sais pas s’il a vraiment trouvé ça drôle ! » Le succès est là pour la firme des deux frères, qui composent aujourd’hui les musiques de la Ligue 1, de la Ligue 2 et de la Coupe de France. « Moi, le foot, j’ai toujours aimé ça. Mon fils a 15 ans aujourd’hui et c’est un élément qui nous rassemble. Je suis devenu dingue à partir de 98. Zidane nous a donné l’amour du foot et notre plus grand succès » , explique Emmanuel. Et un certain boulet aussi : « On aimerait bien mettre ça derrière nous, c’est arrivé une fois et ça n’arrivera plus. On a fait plus de 1000 génériques et ça, ça nous a pris deux heures de nos vies. Les gens se souviennent de nous pour ça, par exemple nos amis nous présentent à travers ça. Ce truc va nous coller à la peau pour toujours. » Comme Zidane finalement : pour l’éternité.
Par Maxime Brigand et Théo Denmat