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L’heure du Yorkshire
Le Royaume-Uni a cette particularité de posséder plusieurs nations constitutives, chacune ayant sa propre équipe nationale enregistrée auprès de la FIFA. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il en possède deux autres, membres de la ConIFA, la confédération des équipes indépendantes. Dernier inscrit en date, le Yorkshire, qui s’apprête à jouer un derby viking contre l’île de Man.
Pour beaucoup, le Yorkshire paraît aussi anglais que le thé et le fish and chips. Mais en y regardant de plus près, ce grand comté du Nord-Est de l’Angleterre possède une identité bien à lui, qui se rapproche davantage de l’héritage viking que de celui de Westminster. La preuve avec ses subdivisions appelées ridings, un terme dérivé de l’appellation viking threthingr, qui signifie « le tiers » . Depuis le XIXe siècle, le Yorkshire possède également son hymne, On Ilkla Moor Baht ‘At, chanté en dialecte régional. Dès lors, quoi de plus normal qu’il se dote de sa propre équipe de football ? « C’est un sujet qui alimentait les conversations depuis longtemps, explique Philip Hegarty, président de la Yorkshire IFA (YIFA). Tout ce qu’il manquait, c’était quelqu’un qui se lève et le mette en pratique. » Chose faite en septembre 2017, où le onze de la rose blanche voit le jour dans un relatif anonymat.
Aux origines du football
Leeds, Huddersfield, Middlesbrough, Hull et surtout Sheffield, autant de noms qui parleront aux amateurs de ballon rond britannique et aux passionnés d’histoire. C’est en effet dans le Yorkshire qu’a été fondé en 1857 le Sheffield Football Club, la plus ancienne équipe du monde. Et c’est à quelques encablures de la Steel City qu’a été joué, en 1860, le premier match inter-club de l’histoire, dans le stade de Sandygate Road, toujours debout et considéré à ce titre comme la plus vieille enceinte du monde. Contre Hallam, les joueurs du Sheffield FC jouaient d’ailleurs selon les règles dites « de Sheffield » , qui ont donné par la suite les lois du jeu encore en vigueur aujourd’hui.
« Nous sommes très fiers de ces racines sportives qui constituent une part importante de ce que nous sommes en tant que terre de football, poursuit Philip Hegarty. Néanmoins, il serait plus juste de dire que la YIFA est davantage un hommage à la féroce mentalité indépendante du Yorkshire et à sa fierté, que l’on peut résumer par un entêtement inné qui tolère difficilement les influences extérieures » , résume l’homme originaire de Halifax, la ville où ont été écrites les paroles de l’hymne de sa région, « dont certains coins sont parmi les plus économiquement pauvres de l’Europe du Nord » .
Anglais, mais pas trop
Si les Anglo-Saxons ont définitivement mis fin à la présence viking au Xe siècle, elle a quand même laissé une trace importante dans l’identité régionale, peu connue en dehors des frontières britanniques. « Cela en dit long sur l’influence qu’a la voix de Londres sur le reste du continent. Ici, chacun distingue le Yorkshire de l’Angleterre et des Anglais. Il puise ses racines dans le Royaume danois d’York et dans l’héritage culturel qui en découle. Je ne suis pas sûr qu’une culture doive être forcément celte pour être perçue comme valable » , précise Philip Hegarty, en référence au socle commun partagé par l’Écosse, l’Irlande, le pays de Galles, mais aussi l’île de Man, que son équipe affrontera en match amical ce dimanche.
Et le président de la YIFA de préciser que « lorsque le département de sociologie de l’université d’Huddersfield a posé la question Moreno (qui rend compte des sentiments d’appartenance ethnorégionalistes au sein d’une catégorie spécifique d’État-nations, ndlr) dans les rues du Yorkshire, seuls 7% des interrogés se considéraient pleinement anglais » .
Le Board
Un match déjà historique
Quelques mois après sa fondation, l’équipe du Yorkshire est adoptée à l’unanimité en tant que membre de plein droit par le conseil d’administration de la ConIFA, cette organisation basée en Suède et qui regroupe les sélections non reconnues par la FIFA. Un pas important dans le processus de reconnaissance. « Le Royaume-Uni est très fortement centralisé et mène une politique agressive d’homogénéisation culturelle, déplore Philip Hegarty. Pour avoir une voix et une véritable représentation, il faut contourner Londres, et la ConIFA était un moyen de le faire. » Mais au fond, qu’est-ce qui unit une région comme le Yorkshire avec des peuples aux velléités d’indépendance célèbres, comme le Tibet, l’Abkhazie ou le Québec ? Pour le président de la YIFA, c’est une évidence : « Les membres de la CONIFA sont unis par un sentiment d’appartenance à des entités politiques ou culturelles qui, à des degrés divers, ont des possibilités d’expression réduites. C’est également vrai pour le Yorkshire, où le désir d’indépendance existe, bien qu’il soit peut-être plus pertinent de parler d’une féroce volonté de décentralisation et d’autodétermination. »
« Des routes pluvieuses de Rotherham, aux voies orageuses de Thirsk, en passant par les rues enneigées de Scarborough » , la YIFA a lancé une grande campagne de recrutement pour composer son équipe. Au total, ils ont été des centaines de locaux, amateurs comme semi-professionnels, à tenter leur chance lors des essais organisés sur le terrain du Hemsworth Miners Welfare FC, un club de D9 basé à Fitzwilliam, « au cœur des vieilles installations minières du Yorkshire – installations qui ont terriblement souffert de la dépression économique au cours des dernières décennies et dans lesquelles nous voulons apporter quelque chose » .
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— YIFA (@YorksIFA) 17 janvier 2018
« Nous avons enfin notre propre équipe à soutenir ! »
Pas sûr que le match face à l’île de Man se joue à guichets fermés, mais, en attendant, les organisateurs se disent déjà satisfaits, et le crash de la billetterie en ligne due à une demande trop importante en est la preuve. « En six mois d’existence, la couverture médiatique a été phénoménale, mais nous devons encore nous faire connaître davantage auprès de la population » , résume Philip Hegarty, qui se réjouit du « feedback positif » de supporters « issus de toutes les catégories sociales du Yorkshire » . « Nous avons enfin notre propre équipe à soutenir ! » serait le commentaire qui revient le plus souvent.
Et au diable la missive envoyée par la surpuissante FA aux joueurs retenus pour la rencontre, les mettant en garde de possibles sanctions quant au fait de jouer pour une Fédération non reconnue. « La relation entre la FA et la YIFA oppose le football affilié et non affilié, et à ce titre, il est évident que la FA ne peut pas sanctionner nos matchs. Pas plus qu’elle ne pourrait sanctionner une compétition de darts ou de natation, tout simplement parce que cela ne relève pas de sa juridiction » , résumait la direction dans un communiqué. D’ici à ce que les épines de la rose blanche se plantent dans les coussinets des Three Lions, il n’y a désormais plus qu’un pas.
Par Julien Duez
Propos recueillis par JD.
Photos : YIFA.