- Ligue des champions
- Groupe H
- J1
- Porto/Borisov (6-0)
L’heure de Brahimi a sonné
À Rennes, on disait que sa patience n'était pas sa qualité première. Il faut dire que Yacine Brahimi, 24 ans, peut se montrer aussi têtu que talentueux. Mais ce mercredi soir était son soir. Auteur de son premier triplé en carrière - quel triplé - lors de sa première rencontre en phase de poules de Ligue des champions, l'international algérien a prouvé, si besoin était, que son heure était arrivée. Et au petit jeu du « gros lot », c'est encore le FC Porto qui a gagné.
« Agarra que é craque » , titre le site portugais Maisfutebol.com, après la victoire convaincante du FC Porto sur la modeste équipe du BATE Borisov (6-0). Dans notre chère langue, cela donnerait quelque chose comme « Retenez-le, c’est un crack » . Vous vous demandez si c’était pour Jackson Martínez, Adrián López ou Vincent Aboubakar ? Non. « Lui » , c’est Yacine Brahimi. Auteur de son premier hat-trick pour son dépucelage en Ligue des champions, l’Algérien ne cesse d’éblouir et d’étonner les Portugais. D’autant qu’il n’était pas forcément attendu à ce niveau aussi rapidement. D’une, parce qu’il avait un Mondial dans les pattes, et de deux, car son transfert n’a pas été le plus médiatisé. On peut même presque dire qu’il est arrivé au Dragão en provenance de Grenade sur la pointe des pieds. Son transfert (à hauteur de 6,5 millions d’euros) et la revente quasi instantanée de 80% de ses droits au fonds d’investissement Doyen Sport sont passés quasiment inaperçus à l’ouest de la péninsule. Ses dribbles fous, sa vitesse et sa grinta, elles, ont rapidement tapé dans l’œil d’un public qui lui a déjà réservé deux standing-ovations en un petit mois de compétition. Non, au pays du dribble et de la touche de balle en trop, Yacine Brahimi ne pouvait pas rester anonyme bien longtemps, encore moins du côté de Porto, qui s’est farci des purges et des joueurs désespérants la saison dernière. La légèreté et l’insolence dont il fait preuve match après match démontrent qu’il joue sans pression, comme si on lui avait expliqué que 12 mois auparavant, le pauvre Lica jouait à sa place et que, quoi qu’il arrive, il serait forcément meilleur que lui. Si les hommes de Julen Lopetegui passent les poules en Ligue des champions, Pinto da Costa serait bien avisé de racheter une grande part des droits de sa perle avec l’argent de la qualification. Car on ne sait jamais. Si l’Algérien commence à planter des buts aussi régulièrement, il risque de changer de dimension très rapidement. Et de club aussi. Surtout vu la propension qu’ont les mastodontes européens à sortir le chéquier de leur poche à la moindre perle dénichée. Dire que la Ligue 1 aurait pu le faire revenir si Laurent Blanc n’avait pas attendu désespérément l’arrivée de Di María… Une chose est sûre, on ne le reverra certainement jamais du côté de la route de Lorient. En tout cas pas avec la tunique rennaise.
Rennes : je t’aime, moi non plus
L’histoire de Yacine Brahimi en France s’écrit en deux temps. Avant d’être la moutarde qui est montée au nez de Pierre Dréossi, l’international algérien a été la harissa qui pimentait chacune des rencontres d’une génération rennaise excitante. Vainqueur de la Gambardella en 2008 avec Yann M’Vila et Vincent Pajot, Yacine incarne le futur du club breton et le présent d’un centre de formation qui carbure à plein régime. En 2010/2011, après un prêt encourageant à Clermont, le magicien réalise une première saison encourageante en Ligue 1. 14 titularisations, 22 apparitions au total et quatre buts. Mais le gamin est fragile. Souvent blessé, parfois pressé et toujours animé de cette volonté de jouer, Yacine endosse le costume de futur crack quand il ne chausse pas les bottes de sept lieues chères à IAM et à son Petit Frère qui veut mettre la charrue avant les bœufs. 2012 marque la fin de six ans de « je t’aime moi non plus » avec son club formateur. Lassé par le flou qui règne autour de son statut et de son utilisation au sein du club breton, Yacine se brouille avec Pierre Dréossi, alors directeur sportif. « Je ne veux pas entendre qu’un Brahimi, qui a fait 30 matchs en L1 chez nous, veuille partir. J’ai envie de lui dire : mais qui es-tu toi, pour dire ça ? » balançait-il dans les colonnes de Ouest-France, avant de tempérer : « Sa trace est pratiquement inexistante à Rennes. Il avait tout pour réussir, mais il a manqué de patience. Il faut cependant partager les torts, car ce n’est pas le seul responsable. » Pour le joueur, qui a fait ses valises pour l’Andalousie et Grenade, l’incident est déjà clos. « Je n’ai pas envie d’en parler, je ne veux pas faire d’histoire, Rennes m’a énormément apporté » , admettait-il dans L’Équipe. Ce qui lui a brisé le cœur, c’est le ballon. Tout ce qu’il aime. « J’aime particulièrement le foot. Et dans le style de jeu pratiqué, il y a certaines fois où je ne me suis pas trop retrouvé, où je ne prenais pas trop de plaisir. » Le plaisir, c’est ce qui a toujours guidé ses pas. Il en prend, et il en a donné. Beaucoup.
Le petit prince de Vincennes
La route de la Pyramide. Loin de l’Égypte, loin du Louvre. Juste une interminable avenue en face du Parc floral, où s’aventurent, dans l’ordre, le bus numéro 112, les joueurs de tennis, de rugby, puis de football. Là, derrière des petits buissons, c’est le stade Léo Lagrange. Son gardien ronchon, son « terrain d’honneur » et ses synthétiques, dont l’un est plus neuf que l’autre. Vous êtes à Vincennes, commune fortunée du Sud-Est parisien, voisine de Montreuil, ville natale de Yacine Brahimi, et terre des premiers vrais exploits de l’international algérien. À l’époque où il y évolue, les terrains sont en terre rouge, celle qui tache, Yacine joue en Blaugrana façon Barça et Gérard Bizeul, entraîneur charismatique des poussins, admire ses premiers crochets. La génération 1990 du CO Vincennes est particulièrement bonne. C’est avec ses copains Guillaume, Julien (Billong, qui ira avec lui à Clairefontaine), Lilian, Jean et d’autres que Yacine ramasse un premier titre, le tournoi organisé par le COV aka « le tournoi de la Pentecôte » . Déjà, ses crochets sont ravageurs. Déjà, il prend autant de plaisir qu’il en donne à des parents médusés. Son petit frère, Lyès, admire les exploits du grand et tous les adversaires du Val-de-Marne et d’ailleurs savent à quoi s’attendre au moment de se frotter au frêle meneur de jeu, déjà au-dessus du lot. C’est ce plaisir de jouer au foot, simplement et sereinement, qu’il a retrouvé en Espagne. « Je pense que c’est le championnat qui me correspond le plus. En Espagne, le football est vraiment une passion pour tout le monde, les enfants, les parents, même les grand-mères ! C’est très chaleureux et familial. » Familial comme l’ambiance au sein de la sélection algérienne, pour laquelle il a choisi d’évoluer malgré des capes chez les Espoirs français. Auteur d’une excellente Coupe du monde, il poursuit sur sa lancée au Portugal. Loin de Vincennes, loin de Rennes, mais de plus en plus près des meilleurs. Sa vraie place.
Par William Pereira et Swann Borsellino