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L’herbe n’est pas plus verte chez le voisin

Par Aymeric Le Gall
9 minutes
L’herbe n’est pas plus verte chez le voisin

Alors que la Ligue 1 touche à sa fin, l'heure des bilans a sonné. Aujourd'hui, focus sur le championnat de France des pelouses. Instauré par la LFP lors de la saison 2012/2013, il avait pour objectif de créer une émulation positive entre les clubs français, souvent à la ramasse en matière de gazon, et de les pousser à tendre vers la perfection à l'approche de l'Euro. Pour quels résultats ? Enquête.

Sans surprise, c’est encore le Paris Saint-Germain qui, cette saison, truste la plus haute marche du podium avec une note de 18,9/20. Oui, la pelouse du Parc est un billard et non, il n’est pas utile de s’y attarder longuement tant le sujet à maintes fois été traité dans les médias. Bichonné d’une main de maître par papa Calderwood, le gazon hybride du Parc des Princes domine le game de la tête et des épaules. Plus gros budget, plus grosse équipe, meilleur tapis, rien de bien surprenant. Ce qui l’est un peu plus en revanche, d’un point de vue financier, c’est de voir que ce sont l’ESTAC et l’EAG qui accompagnent les Parisiens sur le podium. En effet, malgré des budgets modestes, ces deux petites cylindrées ont su tirer leur épingle du jeu et faire de leur pelouse un endroit où il fait bon tâter du ballon.

Mais ce résultat n’est pas tombé du ciel et si, aujourd’hui, Troyens et Guingampais peuvent se targuer d’offrir un billard à leurs poulains, c’est parce qu’ils s’en sont donnés les moyens. Du côté des Côtes d’Armor, la pelouse du Roudourou a souvent été au centre des critiques, notamment en période hivernale, se transformant immédiatement en champ de patates à la moindre averse soutenue. Dernier au classement des pelouses au terme de la saison 2013/2014, 15e la saison dernière, Guingamp a opéré en début d’été une véritable révolution du gazon en s’équipant elle aussi d’une pelouse hybride. Pour s’offrir ce nouveau joujou commercialisé par Desso, le leader européen en la matière, le club costarmoricain n’a pas hésité à lâcher la modique somme de 1,34 millions d’euros. Ainsi, après avoir longtemps été le vilain petit canard du gazon français, les Bretons ont prouvé qu’avec de la volonté, et pas mal d’oseille, rien n’était rédhibitoire.

Troyes, nouvelle vitrine du « Air Fibr »

Avant le Roudourou, le stade de l’Aube de Troyes avait, lui aussi, connu une réfection complète à l’été 2013. La communauté d’agglomération du Grand Troyes, propriétaire de l’enceinte auboise, ayant fait le pari, certes plus coûteux mais surtout plus ambitieux, de s’équiper d’une pelouse hybride au détriment du tapis 100% naturel. Mais, à la différence du PSG et de Guingamp, qui s’équipent chez Desso et sa technologie Grassmaster, les décideurs troyens ont choisi de faire confiance à l’entreprise Natural Grass.

Natural Grass a joué le jeu en disant : « Vous nous donnez notre chance, on réalise avec vous le premier terrain Air Fibr de France, à prix coûtant, mais vous allez devenir notre vitrine aux yeux de l’Europe. »

Nouvelle venue sur le marché, la start-up française a mis sur pied un tout nouveau modèle de pelouse hybride nommé Air Fibr. Et c’est vers l’ESTAC qu’elle s’est tournée pour commencer son implantation dans le monde du foot. Bertand Yot, le chef du service Espaces Paysagers du Grand Troyes, explique le deal : « Natural Grass a joué le jeu en disant : « Vous nous donnez notre chance, on réalise avec vous le premier terrain Air Fibr de France, à prix coûtant, mais vous allez devenir notre vitrine aux yeux de l’Europe. » Nous, ça nous allait bien, ça nous a coûté plus cher qu’une pelouse traditionnelle, mais ça rentrait dans notre budget. »

Bertrand Picard, le PDG de Natural Grass, décortique son choix : « Quand les clubs arrivent en repérage à Troyes où, depuis dix ans la pelouse est catastrophique, le budget est limité et le climat est compliqué, et qu’ils voient l’état actuel du gazon, c’est très parlant. » « Quand des clubs comme le Real Madrid ou Arsenal sont venus, ajoute Yot, je leur ai expliqué : « Ça, c’est ce que ça donne avec les moyens de Troyes, alors imaginez maintenant ce que vous pourriez avoir comme résultats avec les moyens qui sont les vôtres. » »

Il suffit de regarder aujourd’hui la qualité exceptionnelle de la pelouse de l’ESTAC pour se convaincre que ce choix fut le bon. D’ailleurs, les dirigeants de Natural Grass ne se sont pas trompés : depuis 2013, le stade de l’Aube ne cesse de voir défiler des émissaires de clubs venus en repérage de toute l’Europe. Outre les écuries de Ligue 1 et Ligue 2, la vitrine troyenne a aussi droit à des léchouilles venues de l’étranger. Real Madrid et Arsenal en tête.

Bouche à oreille et tache d’huile

Depuis, c’est peu dire que le billard troyen a fait des émules. En France, de nombreux clubs ont décidé de faire appel aux services de Natural Grass pour équiper leurs terrains. Que ce soit Saint-Étienne, Montpellier, Toulouse, Lyon ou Bordeaux, tous se sont laissés séduire par le Air Fibr tricolore. De manière général, s’il y a effectivement un duel entre les deux concurrents que sont Desso et Natural Grass, un constat s’impose : la pelouse hybride semble en passe de gagner la bataille du gazon dans le milieu du foot pro.

Le simple fait de s’équiper d’une pelouse hybride, c’est déjà la garantie d’avoir un beau terrain.

D’ailleurs, le classement des pelouses de Ligue 1 parle de lui-même : sur les dix premiers, neuf sont équipés de ce type de technologie, seul Rennes, 8e, n’a pas encore sauté le pas. Mais plus pour très longtemps car dès la saison prochaine, les Bretons feront eux aussi rouler la boule sur de l’hybride. À l’inverse, sur les neuf derniers (Lorient, avec sa pelouse synthétique, est exclu de fait de ce championnat), six utilisent encore des pelouses naturelles à l’ancienne. « Le simple fait de s’équiper d’une pelouse hybride, c’est déjà la garantie d’avoir un beau terrain » , conclut Bertrand Yot.

D’ailleurs, le FC Lorient, pionnier du synthétique en France, passera lui aussi commande cet été auprès de Natural Grass. Ainsi, après avoir longtemps été mis sur un piédestal, le revêtement synthétique est finalement voué à disparaître dans le milieu du foot professionnel. En plus d’offrir une esthétique impeccable, l’hybride permet de résister aux conditions météorologiques difficiles, d’offrir aux joueurs un ressenti proche de celui qu’ils peuvent connaître avec de la « vraie » pelouse et, enfin, de réduire considérablement les risques de blessure. Une étude récente, reprise par le magazine Sciences et avenir, indique en effet que l’hybride réduirait de 20 à 40% les risques d’entorses et de lésions.

Chez Natural Grass, on a ajouté du liège dans le sol, ce qui permet de maîtriser sa réaction mécanique et de réduire ainsi les risques de blessures.

Un aspect fondamental pour Bertrand Picard : « Notre pari chez Natural Grass, c’est de dire que demain le sujet des pelouses sera intimement lié au sujet de la santé. En arrivant sur le marché, on a simplement voulu essayer d’inventer une nouvelle génération de pelouse hybride. On a donc ajouté du liège dans le sol, ce qui permet de maîtriser sa réaction mécanique et de réduire ainsi les risques de blessures. »

L’OM, l’exception qui confirme la règle

La pelouse hybride serait donc l’avenir du revêtement sportif pour les clubs professionnels. Pourtant, certains clubs ont eu du mal cette saison à faire bonne figure au classement et ce malgré l’installation de cette technologie de pointe. C’est le cas de Marseille notamment. Là-bas, en plus d’un climat méditerranéen peu propice à l’épanouissement du gazon, avec des écarts de température conséquents d’une époque à l’autre, le problème tient avant tout à l’architecture du stade depuis son récent lifting. Avec sa toiture monumentale, la plus haute d’Europe, le nouveau Vélodrome empêche la lumière du soleil de pénétrer à l’intérieur. « Vous avez moins de 20% de surface engazonnée qui reçoit du rayonnement solaire naturel » , précise Yot.

Notre pelouse n’est pas miraculeuse et quand on y fait un concert, le gazon marque inévitablement.

« Ils ont fait du Vélodrome le stade le plus compliqué pour y faire pousser du gazon, surenchérit le patron de Natural Grass, fournisseur de l’OM. Et la deuxième difficulté qu’on a au Vélodrome, c’est que c’est un stade à forte exploitation. Un exemple : trois semaines avant l’Euro, ils accueillent ACDC pour un concert… Notre pelouse n’est pas miraculeuse et quand on y fait un concert, le gazon marque inévitablement. Donc voilà, Marseille c’est vraiment un gros challenge et ce qui est fait aujourd’hui c’est déjà une prouesse. Il n’y aurait pas notre technologie au Vélodrome, couplée à l’excellent travail réalisé par les jardiniers marseillais, ça serait une catastrophe. »

Nice, le cancre des cancres !

En mettant de côté les cas de Reims, d’Angers et du Gazélec, tous équipés de terrains naturels, le cancre de cet opus 2015/2015 se situe à quelques kilomètres de la cité phocéenne, à Nice. La ville, qui s’est nouvellement dotée d’une enceinte ultra-moderne, ne peut que constater les dégâts au classement des pelouses. Alors que l’OGC Nice, principal locataire de l’Allianz Riviera, réalise une saison incroyable sur le plan sportif, sa pelouse en revanche hérite d’une 16e place qui fait tache. Vinci, par l’intermédiaire la filiale Nice Eco Stadium qui gère le stade, n’a pas souhaité équiper son nouvel écrin d’un tapis hybride. Pire, les gestionnaires du stade n’ont pas non plus voulu investir dans des lampes de luminothérapie, condition sine qua non quand, en plus d’avoir une pelouse naturelle, la lumière du soleil est bloquée par une toiture conséquente. Et pour ne rien arranger, l’Allianz Riviera, qui se veut être un stade omnisport, accueille, en plus des matchs de foot, des rencontres de rugby du RCT. Une cohabitation qui s’avère dévastatrice pour le revêtement. Contacté par So Foot, Nice Eco Stadium n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

Pour le technicien que je suis, il est incompatible que le foot et le rugby utilisent le même terrain.

Claude Puel, de son côté, est le premier à pester contre ce partage entre footeux et rugbymen. « Pour le technicien que je suis, il est incompatible que le foot et le rugby utilisent le même terrain » , avait-il lâché à L’Équipe, en février dernier, avant un Nice-Toulouse organisé seulement trois jours après le passage des gentlemen du ballon ovale. Un avis partagé par le spécialiste aubois : « Le rugbyman, il n’y a rien de pire pour une pelouse parce que si vous laissez 30 sangliers sur un terrain pendant 80 minutes, ils vous retournent la pelouse. » Déjà changée à maintes reprises depuis l’inauguration du stade, rien n’y fait. Le cas de Nice est très intéressant puisque, bâtie dans le cadre d’un PPP (partenariat public-privé), l’Allianz Riviera est soumise aux volontés de son propriétaire.

Or, à ce titre, celui-ci est libre de le gérer comme bon lui semble. « Les grosses boîtes qui gèrent ces nouveaux stades, Eiffage, Veolia, tous ces PPP, considèrent qu’ils sont chez eux et que par conséquent le club n’a qu’à fermer sa bouche » , explique Bertrand Yot, tout heureux que le stade de l’Aube ne soit pas soumis à de telles contraintes. Si le point de vue des proprio, à savoir rentabiliser au maximum l’enceinte sportive en diversifiant ses activités, est compréhensible, il faut savoir que cela à un prix. Un prix que Claude Puel aurait aimé ne pas avoir à payer. Cependant, malgré ces quelques points noirs, le niveau général des pelouses françaises a clairement augmenté. Et peut-être qu’un jour, ce seront les clubs anglais qui viendront en France pour recruter les jardiniers tricolores…

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