L’exil de beauté de Julien Maggiotti

Quoi de plus beau pour un footballeur corse que de commencer sa carrière professionnelle sur la pelouse de Furiani ? Porter le maillot du Sporting Club de Bastia peut-être. Mais même avec le maillot orange frappé Lactel, Julien Maggiotti va vivre un rêve lors de cette première journée de Ligue 2. « C’est exceptionnel. Il faut se dire que j’y étais abonné pendant quinze ans, j’ai envahi le stade quand le Sporting montait du National en Ligue 2 puis en Ligue 1. Et puis, samedi, ce sera comme si j’étais à la maison. Il va y avoir ma famille et les jeunes que j’ai entraînés au Gallia Luciana (N3) », détaille Julien Maggiotti.

Âgé de 26 ans, il se serait bien vu fouler la pelouse d’Armand-Cesari un peu plus tôt. À la sortie du pôle espoir par exemple. Mais les portes se sont refermées devant lui. « Comme tous les joueurs, je pensais intégrer un centre de formation, car on rentrait dans les catégories U16 et U17 nationaux. Mais personne n’est venu me chercher, et je suis retourné à Lucciana. Je n’avais pas fait une croix sur le football professionnel, mais c’était devenu uniquement un plaisir », rembobine le joueur de Charleroi, prêté à Laval pour la saison. Et à 17 ans, son talent impressionnait déjà au sein de l’équipe fanion du club corse. « J’étais avec mon père sur le bord du terrain, se rappelle Jean-Laurent Santini, dirigeant au Gallia Lucciana.Il est parti de sa surface, il a éliminé tous les joueurs et ensuite il a marqué. »

Ferronnerie, five et 103 kilos

Pourtant, Maggiotti le stoppeur ne cherche pas à voir plus haut, il découvre une vie qui lui sied parfaitement. « Se lever le matin pour aller travailler, aller boire un café avec les amis au village, entraîner les enfants, jouer à Lucciana, j’aimais cette vie-là », appuie le Lavallois. Sur le terrain d’ailleurs, il laisse parler son talent, sans se forcer : « Je n’avais pas l’hygiène de vie pour jouer en professionnel alors qu’en amateur, on arrive toujours à compenser. J’avais le rythme de vie d’un travailleur. J’étais employé de mairie, serveur ou bien ferronnier, alors c’était dur d’allier cela avec les entraînements. » Ce qui ne l’empêchait pas d’être le meilleur de l’équipe, quel que soit le poste.

« En demi-finales de Coupe de Corse, notre gardien s’est fait expulser avant la prolongation. Julien est allé dans les buts. Il a arrêté un penalty en prolongation et ensuite un tir au but dans la séance. On est passé et on a gagné la finale face à la réserve de l’AC Ajaccio », raconte Santini. Comme touché par la grâce, Maggiotti réussit tout ce qu’il entreprend. En toute illogique, la suite se passe au poste de numéro dix. Là encore, il performe, malgré un petit hic : tous les meneurs de jeu de National 3 ne pèsent pas 103 kilos. Une anomalie corrigée après un déclic, qui lui ouvrira les portes du football professionnel. « Lors d’un five, j’ai rencontré Pascal Camadini (joueur de Bastia, Lorient et Strasbourg, NDLR)qui m’a dit « Toi, si tu veux jouer un peu plus haut, il suffit que tu perdes un peu de poids et tu joueras. »Quand on connaît la carrière de Pascal, qu’on sait ce qu’il a fait et qu’il vous donne un conseil, il faut l’écouter. »

19 kilos de moins, dix buts et les cojones pour tout quitter

En l’espace de quatre à cinq mois, la machine se met en route. Maggiotti perd 19 kilos : « J’ai fait un sacrifice. Je me suis dit : « C’est maintenant ou jamais. » J’avais 24 ans, et si je ne le faisais pas maintenant, je serais devenu cette personne qui dans dix ans aurait pu dire :« Moi, j’aurais pu jouer en L2, en L1. »En Corse, certains prennent l’excuse de ne pas avoir envie de partir pour expliquer qu’ils n’ont pas joué plus haut. Moi, je ne voulais pas être comme eux. J’ai pris mon courage à deux mains. » S’il doit changer de garde-robe, il récolte rapidement les fruits (et les légumes) de ses efforts : il plante dix fois en quinze matchs à la reprise (avant que la crise sanitaire ne stoppe la saison) et tape dans l’œil de Stéphane Rossi, coach de Cholet, qu’il connaît déjà. « Il m’a appelé et m’a dit: « Prépare-toi, saute dans l’avion, tu t’envoles avec moi à Cholet. »Je n’ai pas eu besoin de réflexion, en deux minutes j’ai dit oui. » À 24 ans, Julien Maggiotti a finalement quitté son île « sans savoir si j’étais prêt » et son club qu’il avait toujours refusé de quitter. Qu’importe, il est déjà une légende du Gallia Lucciana. « Il fait partie de l’histoire », valide Santini. C’est en suivant les traces de son père, d’abord joueur puis éducateur, que le néo-professionnel a forgé sa légende là-bas, dès ses cinq ans. « Julien, c’est un passionné, en tant qu’entraîneur, il véhiculait une certaine image positive. Son implication au club, au-delà du sportif, était exceptionnelle. Il avait une équipe de jeunes à sa charge, mais en réalité, il s’occupait de tout le monde. Maintenant, c’est l’idole du club, presque de la ville même, vous ne pouvez pas réaliser. Si vous allez dans tous les cafés de la région, Julien Maggiotti, c’est Julien Maggiotti », clame le dirigeant.

La Ligue 2 avant la Belgique

L’adaptation à Cholet se passe bien sous la coupe de Stéphane Rossi qui le protège, le Corse s’enhardit et débarque à Laval en début de saison dernière. Un succès pour l’expatrié qui est élu meilleur joueur de la saison par les supporters lavallois. Le Tango semble avoir gardé les mêmes ingrédients qui ont fait son succès sportif et humain en Corse. « Quand je suis parti le voir à Laval, beaucoup de gens lui ont demandé des photos, des autographes. Il fait vivre aux Lavallois ce qu’il nous a fait vivre », souligne Jean-Laurent Santini. Une Maggiotti Mania qui risque de toucher la Belgique, qu’il découvrira sous les couleurs de Charleroi en 2023. Le club de Jupiler Pro League l’a recruté cet été avant de le prêter une saison en Mayenne. Mais c’est pour l’instant en Ligue 2 qu’il va s’aguerrir, tunique orange sur les épaules, avec une première étape prévue à Bastia. Là où le milieu offensif n’exclut pas de revenir avec la tunique bleu marine : « Quand on est supporter n°1 du Sporting, oui on y pense. C’est un club phare sur l’île et on rêve tous d’y jouer un jour. » Mais samedi, soyez sûrs qu’il saura dans quel camp il est. Ce qui n’est pas le cas de certains supporters bastiais, habitant à 20 kilomètres de là, dans le village de Lucciana. Eux pourraient peut-être troquer trois points de leur Sporting fétiche contre un but de leur idole.