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L’exception Joachim Löw
Avant d'affronter une Espagne dont il s'inspire depuis 2008, Joachim Löw fait l'unanimité. Pourtant, on ne sait pas grand chose sur le sélectionneur de la Mannschaft, qui figure une sorte d'exception dans le monde du ballon rond allemand.
Jeudi 19 juin, à Bâle dans la douce chaleur des fins de printemps suisses. L’Allemagne et le Portugal se disputent une place en demi-finale de l’Euro 2008. Joachim Löw, exclu lors du match contre l’Autriche, n’a pas le droit de s’asseoir sur son banc et prend donc place dans une loge. Pantalon noir et chemise blanche retroussée jusqu’aux coudes, le sélectionneur de la Nationalmannschaft enchaine alors cigarette sur cigarette quatre-vingt dix minutes durant. L’Allemagne découvre avec un certain plaisir que l’homme qu’elle croyait parfait ne l’est pas plus que ça, et réalise qu’elle ne sait finalement pas grand chose de cet homme qui, somme toute, fait du bon boulot.
Au départ, il y avait ce choix de Jürgen Klinsmann qui avait surpris tout le monde: nommer Löw comme son adjoint deux ans plus tot pour l’emmener avec lui lors du mondial de 2006 ; Jogi était alors sans emploi. Les deux hommes s’étaient rencontrés en passant leur diplome d’entraineur, et l’ancien buteur était tombé sous le charme: « Je n’avais encore jamais rencontré quelqu’un capable de vous expliquer aussi vite et aussi clairement le système de la chaine de quatre » , avait-il alors confié. C’était là un premier indice, qui allait se confirmer par la suite. Joachim est branché tableau noir. La répartition des rôles était donc clair: à Klinsmann la motivation et la détente à l’américaine (il vivait alors près de Los Angeles), à Löw la réflexion tactique et les orientations de jeu à adopter. Après une belle coupe du monde et une défaite en demi contre l’Italie, Jogi prenait donc tout naturellement les rênes de la sélection. Tout naturellement? Pas tant que ca. Car Joachim Löw ne pèse pas bien lourd face au poids de l’histoire footballistique nationale.
Un piètre footballeur
C’est qu’avant lui, et depuis vingt-deux ans (exception faite de Ribbeck), tous les sélectionneurs de la Mannschaft avaient été champions du monde: Beckenbauer, Vogts, Voller, et Klinsmann. Jogi, lui, n’a rien de tout cela: une piètre carrière de footballeur consommée majoritairement dans les affres de la D2 allemande (252 matchs, 81 buts) et dans des clubs de secondes zones suisses, avec un passage éclair en Bundesliga (sept pions en 52 matchs). Le tout pour zéro cape sous le maillot national (exception faite des quatre sélections avec les moins de 21). Sa carrière d’entraineur n’est pas moins obscure: elle débute avec l’équipe D de Winterthur (Suisse, encore) et se poursuit à Stuttgart, un peu par hasard. Arrivé dans le sud de l’Allemagne en 1995 pour être l’adjoint de Rolf Fringer (qui l’avait entrainé en 1991 et l’avait promu capitaine à Schaffhouse), Löw passe numéro un lorsque Fringer est nommé sélectionneur de la Suisse à quatre jours du début de la saison, sans que le club n’ait le temps de dégoter quelqu’un d’autre.
Après six victoires d’affilée, Löw est confirmé. S’ensuivent des aventures en Turquie, en Allemagne et en Autriche, le tout pour un palmarès maigrichon (une coupe d’Allemagne avec le VfB en 1997, une finale de coupe des coupes perdue contre Chelsea toujours avec Stuttgart l’année suivante, et un titre de champion d’Autriche avec le FC Wacker Tirol en 2002). Aujourd’hui, plus personne ne moque ce parcours atypique; il y a bien deux trois blagues qui reviennent, sans méchanceté aucune et au vrai, on s’amuserait plutot du fait que Jogi ait été un joueur bien plus mauvais que ceux qu’il a désormais sous sa houlette.
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Une clope et un verre de vin toscan
Car Löw sait ce qu’il fait, mais aussi où il va. Lorsqu’il donne une interview, il a le ton d’un homme habitué à diriger sa vie avec exactitude. D’aucuns prétendent qu’il a acquis cette rigueur à Schönau, petit village idyllique de 2550 âmes enfoncé dans la foret noire et situé à quarante kilomètres de Fribourg, où il a grandit. Il était le plus âgé de quatre frères, son père était chauffagiste et installait des cheminées. On le sait profondément attaché à sa terre et aujourd’hui encore, il habite à Fribourg, dans le chic quartier de Saint-George avec sa femme, Daniela, comptable chez un loueur de voitures. On lui connait comme seuls vices (outre la cigarette), les cartes, auxquelles il jouait jadis dès qu’il s’asseyait dans le bus, et l’amour d’un bon verre de vin (toscan) qu’il s’accorderait chaque soir après 23h, lorsqu’il cesse enfin d’imaginer des schémas tactiques.
On le soupçonne de voter pour les verts, et on l’imagine volontiers gentil et doux; on se trompe: on ne devient pas sélectionneur de l’Allemagne sans une once d’autorité. Et, quand Matthäus se perdait en bavardages inutiles, Löw tranche, et agit. Des exemples? Il a chassé Kevin Kuranyi parce que ce dernier avait refusé d’assister à un match amical en tribune; il a écarté Thorsten Frings après un accrochage lors de l’Euro 2008; il a exigé les excuses publiques de Ballack, qui l’avait critiqué et il se serait même réjouit de son forfait pour blessure: Ballack, trop lent, trop vieux, aurait ralenti son équipe qu’il voulait jeune, dynamique, audacieuse; enfin, il a rendu son contrat à la Fédération car il ne correspondait pas à ce qu’on lui avait promis lors d’une simple poignée de mains.
Jusqu’à présent, son parcours lui donne raison. « J’aime le beau jeu. Je fais du football de la manière la plus moderne qui soit, sans avoir la prétention d’avoir inventé quelque chose » , dit-il modestement. On devinait, cependant, qu’au moment de ce plus fervent repentir, c’était avec une prodigieuse jouissance d’orgueil que Joachim Löw savourait son humilité. Faux gentil, faux modeste, on saura ce soir, au moment d’affronter son modèle, si le sélectionneur allemand est un vrai génie.
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