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L’évolution de Gareth Bale racontée par ceux qui l’ont côtoyé
Si le pays de Galles s’apprête d’ores et déjà à disputer un quart de finale d’Euro historique face à la Belgique, c’est en grande partie grâce à un Gareth Bale qui ne cesse de marcher sur l’eau. Un homme façonné à Southampton, révélé à Tottenham et qui contemple désormais les étoiles au Real Madrid. Formateurs, coéquipiers et adversaires racontent celui qui est devenu le porte-étendard de toute une nation à la fierté retrouvée.
Southampton (1999-2007)
Rod Ruddick, recruteur des Saints depuis 1985 :
« La première fois que j’ai vu Gareth Bale jouer, il devait avoir quelque chose comme huit ans. Je l’ai vu lors d’un tournoi de six contre six, au mois d’août, à Newport, dans la banlieue de Cardiff. Ce genre de tournoi, je peux y aller cent fois et ne rien trouver. Mais là, je vois ce garçon, rapide et gaucher. Gareth m’a comme sauté aux yeux. Il a toujours été bon techniquement, rapide. C’était un jeune homme très réservé. Je n’ai pas été surpris quand il a été élu meilleur joueur de Premier League en 2011. J’étais très heureux pour lui. À mon sens, il avait tout pour devenir un grand joueur au très haut niveau. »
Georges Prost, son formateur et ancien responsable des U18 chez les Saints (2002-2006)
« La première fois que je l’ai vu, il était en U13. Il évoluait en tant que latéral gauche, mais se comportait comme un arrière-ailier. Ce qui m’a frappé à l’époque, c’était son activité débordante. Elle était très intéressante, notamment sur le plan du volume. Il avait deux qualités principales : l’endurance et la vitesse. Il avait déjà ce don au départ qu’il a travaillé et amélioré. Puis il avait également cette patte gauche. On dit souvent que les gauchers sont toujours un peu plus adroits que les droitiers plus jeunes, c’était le cas avec lui. Dès qu’il a eu quinze ans, j’ai demandé à ce qu’on me l’amène pour que je le fasse travailler. Pour moi, c’était un sujet intéressant. Techniquement, il était déjà doué. À l’entraînement, il avait cette envie de travailler, de progresser sans cesse. C’était un gamin enthousiaste, toujours avec le sourire. Je pense que mes séances d’entraînement, qui étaient basées sur la technique et la tactique, lui ont été bénéfiques et lui ont servi.
Parce que quand je suis arrivé à Southampton, c’était essentiellement du kick and rush et j’ai stoppé ça. Avec des gamins aussi généreux que Gareth, ça donnait une bonne mayonnaise et j’ai eu des bons résultats, car j’avais leur adhésion(championnat d’Angleterre des U19 et U18 en 2004 et 2006, finaliste de la Youth Cup en 2005). C’était le bon moment pour eux d’acquérir ces bases. Il était assez petit à treize ans. De quatorze à seize, dix-sept ans, il a connu pas mal de pépins physiques, à cause d’une soudaine poussée de croissance qui a débouché sur des problèmes au dos. Des gens ont commencé à douter au club, l’histoire du garçon fragile… En fait, il devait juste s’adapter à son corps. Mais, chaque année, il a pris du volume, du muscle, de la puissance. Je le faisais beaucoup travailler sur son pied faible, tous mes exercices étaient doublés à l’époque. Il faisait partie de cette génération avec Theo Walcott, Nathan Dyer et Adam Lallana. Ces gamins-là, on sentait qu’ils allaient faire quelque chose. Mais de là à prédire qu’ils allaient atteindre le très haut niveau, c’est toujours compliqué. Ils avaient tous les éléments pour en tout cas. »
Léandre Griffit, milieu offensif passé chez les Saints (2003-2006)
« Il était avec les moins de seize ans et moi avec les pros, mais souvent en Angleterre, les jeunes et les professionnels s’entraînent au même endroit. Et ça nous arrivait de faire des matchs contre eux. C’était un joueur qui était arrière gauche à l’origine. Il faisait partie de la génération Theo Walcott, ils étaient d’ailleurs toujours ensemble et dans la même chambre au centre de formation. Ils ont dû faire une porte en or pour cette chambre désormais(rires). Gareth Bale était un gars vraiment très timide. Il ne parlait pas beaucoup. Je me souviens, une fois, avoir parlé de lui à Georges Prost et lui avoir dit :« C’est bizarre, c’est la première fois que je vois un jeune Britannique qui a les qualités d’un Français. »
Parce que dans les centres de formation français, on avait pour habitude de faire de beaux plats du pied. Alors que les Anglais, eux, balancent de longs ballons sur les côtés. Lui avait déjà ce côté posé. Tactiquement et techniquement, il était au-dessus, mais comme il n’évoluait pas au poste de numéro dix, tu ne le remarquais pas forcément. Il me faisait penser au style de Sagnol, un latéral propre et qui perd rarement la balle. Il n’allait pas que vite, il avait une vraie patte gauche. Je le trouvais très intelligent, très précis dans ses passes en plus d’avoir les qualités typiques des Britanniques : la répétition des efforts et la hargne. Là où on a pris conscience de ça, c’est quand il a commencé à mettre des coups francs. À dix-sept ans, quand tu mets des coups francs en Championship, alors que tu es latéral gauche, ce n’est pas rien. Physiquement, il a depuis énormément bossé, notamment en ce qui concerne la musculation. Car il était assez maigre et assez petit. À l’époque, ce n’est pas sa puissance qui revenait, mais plutôt sa technique. »
Lilian Nalis, milieu de terrain retraité et passé par Plymouth Argyle (2006-2008)
« Je l’ai affronté à deux reprises en Championship(0-1, septembre 2006 ; 1-1, janvier 2007). Moi qui n’étais pas joueur réputé pour mes qualités de vitesse, je m’en souviens parce qu’il était un peu renommé pour sa puissance et sa vitesse à l’époque. Même en conduite de balle, il était capable de pousser et d’aller très fort. Pour moi, c’était typiquement le joueur britannique. Pas une superbe technique, mais qui savait utiliser au maximum son potentiel. Il était aussi très individualiste. Il cherchait à faire la différence seul. Comme il évoluait en tant que latéral gauche, il partait de plus bas et participait au jeu depuis son couloir.
C’était une mobylette, capable de répéter les efforts. Pour effectuer les contre-efforts, il n’était pas dans le dur et n’avait aucun mal à se replacer. De toute manière, il était déjà considéré comme une pépite. Lorsque tu allais jouer contre Southampton, on te disait que le petit Gareth Bale, ça allait être quelque chose. Quand je le vois jouer maintenant, je retrouve un peu le jeune joueur que j’ai connu. Toujours très généreux, quelqu’un qui passe en force, en puissance. Mais attention hein, plus jeune, il était capable de sortir des choses intéressantes techniquement. Il n’avait pas les pieds carrés. Il n’a jamais donné cette impression de fluidité, mais toujours cette impression de grosse puissance. »
Tottenham (2007-2013)
William Gallas, défenseur retraité et son coéquipier durant trois saisons (2010-2013)
« Quand j’étais à Arsenal, j’avais déjà eu l’occasion de jouer contre lui. À l’époque, il ne brillait pas autant que durant ses dernières années à Tottenham. Il était un peu jeune. Mais lorsque je suis arrivé chez lesSpurs, ce n’était plus le même joueur. Physiquement déjà, il avait pris davantage de volume. Il était devenu plus puissant et on sentait qu’Harry Redknapp lui faisait plus confiance. Ça l’a libéré et il a pu montrer de quoi il était capable. Pour moi, les qualités qu’il montrait à Tottenham étaient plus grandioses que celles qu’il montre actuellement au Real Madrid. Pourquoi ? Parce que Gareth a besoin de sentir qu’on lui fait beaucoup confiance et qu’il est le maître à jouer de son équipe. Je me souviens qu’on lui donnait tous les ballons, on essayait toujours de le trouver. C’était le cas lors de sa dernière année où il a marché sur l’eau. Il sentait qu’il avait énormément de responsabilités. Il le prenait à cœur et parvenait à faire la différence grâce à sa vitesse, sa force de percussion. On sentait qu’il était dans son élément.
Ce n’est pas un joueur qui va vous faire des passements de jambe à la Ronaldo ou Ronaldinho, c’est plus un joueur direct. Il voit l’espace où il peut plonger et à partir de là, c’est compliqué de le rattraper balle au pied. C’est là où il est vraiment fort, c’est un garçon intelligent. En tant qu’ancien défenseur, je peux vous dire que c’est un joueur très difficile à marquer. Si on lui donne le ballon et qu’il arrive à se retourner, il prend de la vitesse. Mais si vous le serrez de trop près et qu’il demande le ballon dans l’espace, c’est tout aussi compliqué. Il est bon balle au pied, mais aussi dans les airs, car il a un bon timing. Ça en fait un joueur complet qui continue de progresser au Real. Même si, personnellement, je trouve qu’il n’a pas le même rendement qu’à Tottenham. À Madrid, tous les ballons passent par Ronaldo. On peut le voir quand Gareth fait la différence, il le cherche toujours ensuite. Le seul domaine où je dirais qu’il peut encore se perfectionner, ce sont ses mouvements sur le côté droit qui ne sont pas aussi tranchants que sur le côté gauche. Si vous regardez Cristiano Ronaldo aujourd’hui, vous ne savez pas de quel côté il va aller. À vingt mètres du but, on ne sait jamais s’il va aller à droite ou à gauche. S’il va à gauche, il peut frapper, car il a une grosse frappe du gauche. Gareth, c’est différent. Son pied droit est moins fort. Si je devais donner un conseil à un défenseur qui l’affronterait, ce serait de l’emmener sur son pied droit. C’est là où il doit encore progresser pour mettre plus en difficulté ses adversaires. »
Mohamed Diamé (Hull City), milieu de terrain passé par Wigan (2009-2012) et West Ham (2012-2014)
« Quand je repense à lui, je pense avant tout à un joueur capable de faire la différence. Je l’ai découvert quand je suis arrivé à Wigan. Mais là où il m’a vraiment marqué, c’est lors de sa dernière année chez lesSpurs. J’étais à West Ham et il avait fait une saison de feu(21 buts et 9 assists en 33 apparitions de Premier League). J’ai notamment en tête le match à Upton Park où, à la dernière minute, il nous met une frappe en pleine lucarne(2-3, février 2013). C’est un joueur exceptionnel. Je l’ai vu évoluer parce qu’il commençait arrière gauche lorsque je suis venu en Angleterre. Je pense que le déclic s’est fait lors de son match de Ligue des champions contre l’Inter Milan(4-3, octobre 2010). C’est là qu’il a pris une autre dimension et qu’il a engrangé beaucoup de confiance, lui permettant d’avancer. Il a énormément travaillé. En commençant comme latéral gauche, je ne le connaissais pas et il ne m’avait pas plus marqué que ça à l’époque. À partir du match de Ligue des champions, il a vraiment commencé à me surprendre.
Une fois qu’il évoluait un cran plus haut avec Benoît Assou-Ekotto derrière lui, il a pris les choses en main et Tottenham sur ses épaules. On a senti une vraie prise de responsabilités de sa part. Hormis la vitesse, il avait de très bons appuis et était puissant, même s’il ne payait pas de mine au départ. Il a pris en masse musculaire au fur et à mesure. Quand tu le vois en face de toi, tu ne devines pas que ses démarrages sont aussi puissants. Il a également une très bonne qualité de frappe. Il y a eu des jugements qui ont été faits parce qu’on a tendance à critiquer les joueurs avec un même profil, mais quand tu vois sa dernière saison à Tottenham, tu savais qu’il pouvait te faire basculer une rencontre à lui tout seul. »
Louis Saha, attaquant retraité et son coéquipier durant six mois chez les Spurs (janvier-août 2012)
« Je n’ai joué avec lui que six mois et c’est un phénomène. Il a autant de qualités que Cristiano, notamment physiques. S’il a envie de progresser et de travailler autant que lui, il va faire des dégâts. L’espritkillerdevant le but, il ne l’a pas encore et il va lui falloir du temps. Je n’ai pas essayé de faire un cent mètres avec lui, car il a une vitesse incroyable(rires). J’ai rarement vu ça. En tant qu’attaquant de pointe, sur une contre-attaque, j’arrivais trois secondes après Gareth Bale, alors que le mec avait démarré loin derrière moi. Je me disais : « Oula, mais tu vas un peu trop vite toi, là quand même. »Je ne pense pas être le joueur le plus lent, sauf que lui, c’était vraiment n’importe quoi. » (citation en date de 2014)
Real Madrid (2013-aujourd’hui)
Dimitri Foulquier, latéral droit à Grenade depuis 2013
« C’est un attaquant très rapide, très puissant. Malgré les critiques dont il a pu être victime, il a toujours répondu présent dans les grands moments et a été décisif. Les médias ont voulu nous faire croire que ça n’a pas été simple pour lui au début. Mais, pour sa première année, il a tout de même remporté la Ligue des champions avec le Real. Il n’y était pas étranger. Je trouve qu’il a toujours été bon, toujours performant. Il peut déposer un adversaire sans vraiment donner l’impression qu’il est à son maximum. Puis il a toujours cette envie d’aller vers l’avant, de marquer des buts, de donner des passes décisives.
Il veut vraiment toujours être décisif. Sa qualité première est la vitesse, donc si vous lui laissez de l’espace, vous ne pouvez pas le rattraper. Vous aurez beau faire tout ce que vous voulez, il va pousser la balle devant lui et vous lâcher. En théorie, il faut le serrer de près. Mais, sur un terrain, c’est très compliqué à faire. On sait que Cristiano Ronaldo reste l’arme première du Real, mais Benzema et Bale sont tout aussi importants. On a vu d’ailleurs que quand Ronaldo et Benzema n’étaient pas là, c’est Bale qui essayait de faire la différence seul. Son influence est très importante dans le jeu madrilène. »
Timothée Kolodziejczak, défenseur central à Séville depuis 2014
« Il va à dix mille à l’heure, vraiment. Sincèrement, c’est un joueur de classe mondiale. Il n’y a rien à dire là-dessus. Il figure dans le top 5 mondial. C’est un joueur complet, il a tout. Surtout, avec son démarrage sur les premiers mètres, c’est réellement très compliqué de le suivre. Techniquement, je ne l’ai jamais senti en dessous des autres. Même quand je le voyais à l’époque de Tottenham. Il a fait évoluer son jeu, est devenu plus complet. Mais, pour moi, c’était déjà un joueur hors norme quand il est arrivé en Espagne. Avec Ronaldo et Karim devant, ils prennent beaucoup de place dans l’animation offensive du Real. Bale est parvenu à s’intégrer, à trouver sa place et c’est désormais un titulaire indiscutable. »
Par Romain Duchâteau
Tous propos recueillis par Romain Duchâteau, sauf ceux de Rod Ruddick extraits de So Foot n°105