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Lève-toi et cours, Messi !

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili
Lève-toi et cours, Messi !

Difficile de juger la Copa América de Leo Messi, voire même sa carrière sous le maillot de l'Albiceleste. Dans l'ombre de Diego Maradona, sous ce numéro 10 qui pèse tant, la capricieuse Argentine ne lui pardonne rien. Mais le football offre toujours des revanches. Si Messi a déjà 28 ans, le niveau de gloire de son passage dans les traces de Maradona sera déterminé par ses prochaines réussites. Ou ses futurs échecs.

Assis au milieu de la pelouse de l’Estadio Nacional sous son lourd numéro 10, Messi a arrêté de courir après deux heures d’efforts et un tir au but marqué pour son pays. La bête est calme, elle a l’air abattue, dépitée. Deux gamins chiliens plutôt curieux s’approchent alors. Le premier ne semble pas comprendre l’état de frustration du meilleur joueur au monde. Il regarde ses crampons comme s’ils étaient deux lingots d’or, le prend en photo et, dans un état d’euphorie logique, pense à ce que diront ses amis quand ils sauront. Le second, lui, porte un regard inquiet. Il observe son héros d’un air sceptique, et semble se demander comment Messi peut-il être triste. Rien ne peut être grave pour Messi, se dit-il. Pourquoi ne se lève-t-il pas pour jouer ou retrouver les autres ? Le petit, qui a dû observer Messi des centaines de fois à la télévision et dans ses magazines préférés, ne reconnaît pas l’homme qu’il voit. Comment un héros peut-il être malheureux ? Ce n’est pas « un » match qui va tout changer, si ? Là, le petit se souvient furtivement du coup de genou de Medel et se fait une raison : si Messi le super héros est triste, c’est parce qu’il doit avoir mal au ventre.

Après avoir perdu une finale il y a quelques années, Messi aurait peut-être enfilé son air le plus innocent, filé aux vestiaires et fait une sieste. Mais le 10 a vieilli. « Messi est celui qui ressent le plus de frustration » , a admis Lavezzi. On grandit dans les échecs, dit-on. Pendant sa carrière, Messi en a connu peu. Mais après une deuxième finale perdue en deux ans, la dose a suffi. À 28 ans, Messi est touché. Il voit bien qu’il a déçu tout le monde. Il est bien conscient qu’il ne pourra éviter les débordements des débats entre les pro-Messi et les anti-Messi. Et il sait bien que de toute façon, on ne maîtrise rien dans la défaite. Surtout lui, dont le nom a été approprié par la planète entière. Quelques minutes plus tard, Messi se relève, va chercher sa médaille sans même enfiler son survêtement officiel, puis rentre chez lui. Et ensuite ?

Messi a-t-il un rendement vraiment différent entre le Barça et la Selección ?

Le tableau présenté dans toutes les cafétérias de Buenos Aires est noir et blanc. Messi a marqué 10 buts pour le Barça en C1 et n’a pas réussi à marquer un seul but dans le jeu pour son pays lors de la Copa América. Un penalty, contre le Paraguay, en poule, et c’est tout. À côté de ça, il est dit que Messi dribblerait moins, tirerait moins, jouerait moins. Heureusement, ça ne suffit pas pour construire une analyse décente. Comparons ses statistiques au Chili avec ses productions dans la dernière Ligue des champions. Tirs par match : 4,3 en C1 contre 4,5 en Copa América. Dribbles réussis par match : 7,1 en C1 contre 7,2 en Copa. Passes-clés par match : 2,5 en C1 contre 2,3 en Copa. Messi n’aurait pas couru en finale ? Il a récupéré 5 ballons d’après Olé. Et puis, il a créé les deux seules occasions de l’Argentine, marqué son tir au but et provoqué les cartons jaunes de Diaz et Medel. De l’autre côté des Andes, Jorge Valdivia a été acclamé par les Chiliens : dans tout le tournoi, le numéro 10 a créé 15 occasions et réussi 147 passes dans le dernier tiers. Messi, lui, n’a réussi à créer « que » 14 occasions et a réussi « seulement » 143 passes dans le camp adverse. Dans les deux catégories, il est classé deuxième de la compétition. Dans celle des dribbles réussis, il est largement leader avec 43 pirouettes réussies. La suite de l’analyse des statistiques classiques peut se poursuivre sans discerner la moindre différence cruciale, à part sur une ligne.

Là, au milieu des gestes individuels et de l’influence collective, un élément jauge la réaction adverse : le nombre de fautes subies par match. Messi a subi 2,5 fautes par match en C1, contre 4,7 en Copa América. Cela va du simple au double. D’où une différence fondamentale, qui concerne l’ambiance, le climat, la tension, l’intensité. En Copa América, Messi a joué à un football sud-américain qu’il ne connaît pas si bien. La finale en a été le meilleur exemple : le 10 a subi 9 fautes, si bien que chacune de ses tentatives intéressantes a été arrêtée par une faute tactique préméditée. Compte-t-il sur trop peu de vécu en Argentine pour s’habituer ? Messi est-il trop faible pour surpasser cette adversité, ou la défense chilienne a-t-elle tout simplement été trop bien pensée ? Agüero a joué trois ans pour Independiente, et il ne s’est pas montré au même niveau qu’avec City pour autant. Pour conclure cette analyse des faits, il faut les mots d’un grand amoureux des idées, à savoir César Luis Menotti : « Mettons les choses au clair une bonne fois pour toutes : une symphonie ne se fait pas toute seule avec un piano génial. Il faut des violons et des instruments à vent. Il faut tout un orchestre. L’Argentine n’a pas fait une bonne finale. Et Messi non plus. Néanmoins, quelques jours avant, contre la Colombie et le Paraguay, on a bien joué. Et Messi aussi. C’est pour ça qu’il ne faut pas dramatiser. »

Quand les idées populaires écrasent les faits confidentiels

Il y a les faits d’un côté, et les idées de l’autre. Et malheureusement pour l’honnêteté intellectuelle de certains, les deux comptent autant aujourd’hui. Parce que dans un an, les faits auront probablement laissé leur place aux idées les plus puissantes, ou du moins les plus convenues. Le lendemain de la défaite, certains journalistes argentins n’ont pas eu peur de courir dans le sens du vent. S’ils avaient regardé derrière eux, ils se seraient rendu compte qu’ils étaient poussés par une frustration rageante. Leo Farinella, directeur du quotidien Olé, a été le plus rapide dans sa chronique : « Soyons une équipe qui ressemble plus à Mascherano. Le capitanat a visiblement été mal choisi. Le meilleur joueur du monde n’est pas capable de nous représenter dans les grands moments. Hier, sa prestation a été scandaleuse. On peut parfois rater des matchs, mais on ne peut jamais se permettre de marcher et d’être absent alors que les coéquipiers mouillent le maillot. Être le meilleur ne donne pas seulement des droits. Il exige aussi des devoirs. (…) Il nous a manqué quelque chose devant. Il nous a manqué Messi. » Quand la frustration domine, la solution la plus évidente est parfois de pointer du doigt la différence.

Or, par rapport à tous ses coéquipiers, des populaires Mascherano, Lavezzi et Tévez aux plus discrets Zabaleta, Biglia et Garay, Messi est différent. Il vient d’une autre planète, a grandi sur un autre continent, et joue à un niveau supérieur. Alors, tout comme la police de Gotham City a longtemps désigné Batman coupable de tous les maux de la ville, Olé a choisi de montrer Messi du doigt pour éviter de se poser les bonnes questions. Celles d’un football argentin qui ne marche pas droit, celles d’une sélection qui a pris le bon chemin, mais qui continue à perdre. Heureusement, toute l’Argentine n’a pas réagi de la même façon. D’une part, l’ensemble du monde du football a soutenu la Pulga. Cvitanich lui a écrit une lettre ouverte : « Tu as mis la barre si haut que parfois on oublie que tu viens de cette planète. » Matias Almeyda s’est exprimé : « C’est le meilleur joueur au monde et il n’a pas le traitement qu’il mérite. Un jour, il ne va plus revenir pour jouer avec la Selección. » Veron, qui avait été victime d’un traitement similaire en 2002, a averti : « Ce n’est pas pareil de critiquer et de dénigrer. » Et Menotti s’est inquiété : « Qu’ils prennent soin de Messi, sinon on ne jouera pas le prochain Mondial » , tout comme son rival idéologique Bilardo : « Qu’est-ce qui l’oblige à rester ? » D’autre part, une partie du peuple argentin qui se sent concernée s’est manifestée sur les réseaux sociaux et a soutenu son 10, avec notamment le hashtag #SinMessi. À Buenos Aires, si Messi enflamme les cafétérias, les petits qui marchent devant continuent à porter le 10 du joueur du Barça.

Mythologie et Maradona

Messi, lui, va continuer à courir avec le ballon (et marcher sans). Il est difficile de se cacher du vent, parce qu’il n’est pas guidé par la raison. Alors, Messi va devoir courir beaucoup et vite. Mais un œil froid, dans le futur, pourrait aussi voir toute cette agitation comme de la bêtise légère, si l’Argentine venait à remporter la Copa América 2016 et/ou le Mondial 2018. On dirait alors que Messi était en train de progresser graduellement. Après tout, il avait été contesté en Europe et avait fini par humilier aussi les défenses anglaises et italiennes. Il est aujourd’hui contesté avec l’Argentine, et il finirait par dominer le reste du monde ? Comment ne pas croire à son talent ? Du fait de cette foi, rien n’a été dit jusqu’à la finale. Avant le 4 juillet, Messi pouvait encore réaliser un tournoi international maradonesque. Il aurait suffi d’un but. Il aurait même suffi que Lavezzi transforme la passe du 10 en passe décisive. Il aurait suffi qu’Agüero marque de la tête sur son coup franc. On aurait alors transformé le récit, et la compétition de Messi aurait été digne des douze travaux d’Hercule. Les choses auraient été mises à leur place. Mais aujourd’hui, elles flottent encore dans l’air, et personne ne sait comment en attraper les raisons. Peut-être que Messi, au contraire de Maradona, n’est pas habitué à évoluer avec une équipe normale à ses côtés. Mais il compte plus de 100 sélections, déjà plus que Diego. Peut-être que Messi reçoit un traitement trop dur de la part de ses adversaires, comme en finale. Mais qu’en est-il du traitement que recevait Maradona ?

Revoir les images de Maradona en 1986 est riche d’enseignements. Et si Burruchaga n’avait pas marqué sur la passe de Diego à la 84e minute ? Maradona avait joué une finale anonyme, comme Messi. Le rythme des touches de balle, le positionnement, la fréquence des apparitions : tout renvoie à Leo Messi. La différence est aussi infime qu’immense : Maradona n’a pas joué beaucoup mieux, mais il a réussi beaucoup plus. Parce que ça ne se joue à rien. Il suffit d’un but, d’une passe. De quoi remettre en perspective la mythologie, au-delà des différences de caractère des deux héros. Ces derniers jours, une rumeur a enflammé l’Argentine. Messi serait en pleine réflexion sur son futur en sélection. Le natif de Rosario pourrait s’accorder une pause, ou diminuer la fréquence de ses apparitions en ciel et blanc (en amical). Maradona, lui, jouait pour son pays avec « la cheville gonflée comme un ballon » . Alors, que veut Messi ? Souhaite-t-il dribbler deux fois plus de défenses pour leur montrer à tous qu’il est le numéro un ? Veut-il simplement faire gagner son pays pour obtenir la paix ? Cette Copa América n’a pas aidé pour répondre à ces questions. Les réponses, seul lui les connaît. Au moment où il était assis entre les deux petits Chiliens, le numéro 10 s’est-il fait manger par la frustration et a-t-il décidé de prendre du recul ? Ou a-t-il ressenti une faim suffisante pour aller chercher la prochaine coupe, comme un champion ? Le vent finit toujours par tourner. Lève-toi et cours, Messi !

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili

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Le site Faute Tactique

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