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L’évangile selon Ronnie
À la retraite depuis janvier dernier, Ronaldinho a annoncé la semaine dernière rejoindre les rangs du Parti républicain brésilien, la branche politique de l’Église universelle du royaume de Dieu. Un mouvement évangélique aux contours sectaires, dont le blase est à peu près aussi fou que l'influence que l'organisation a prise au sein de certains pans de la société brésilienne.
Décidément, il ne lui a pas fallu longtemps pour rebondir. Mi-janvier, Ronaldinho y allait à son tour de sa petite mort en annonçant sa retraite sportive. Le monde entier s’attendait alors à voir Ronnie couler des jours heureux, en donnant définitivement son corps, son sourire et son déhanché à la nuit brésilienne. Mais l’ex-numéro 10 de la Seleção a décidé de claquer une virgule qui a pris tout le monde à contre-pied. Le voilà qui annonce s’engager auprès du Parti républicain brésilien (PRB). Notamment pour participer « à contribuer aux projets et propositions du parti aux niveaux local et fédéral » , à en croire le maire de Rio et cadre du mouvement, Marcelo Crivella, bien que, « pour le moment, il n’a pas été décidé s’il se présenterait à une élection » . Voilà qui met fin aux rumeurs qui rapprochaient le joueur de la formation d’extrême droite Patriota. Même si, en rejoignant le PRB, Ronnie alimente d’autres polémiques.
L’apôtre Macedo
Tout simplement parce que ce parti n’est rien d’autre que la branche politique de la très controversée Église universelle du royaume de Dieu. Une structure religieuse dont le nom est connu de tous en terre brésilienne. Retour en 1911. Dans un Brésil encore très pauvre, une frange importante de la population est en quête d’absolu. De nombreux Brésiliens dirigent alors leur foi vers l’Assemblée de Dieu, un regroupement d’Églises chrétiennes évangéliques qui constitue encore aujourd’hui l’organisation la plus importante du genre au Brésil. Leur spécificité ? Prôner une théologie simplifiée, inspirée du mouvement pentecôtiste, qui valorise avant tout le partage d’expériences et d’émotions avec les fidèles et s’appuie sur des récits de miracles, guérisons et des prophéties en tous genres.
Près de soixante ans plus tard, en 1977, Edir Macedo Bezerra, ancien employé de la loterie nationale, observe que la quête du Divin des Brésiliens laisse de la place à la création d’autres églises évangélistes. Le bonhomme n’y va alors pas par quatre chemins : il crée l’Église universelle du royaume de Dieu (EURD), dont il devient l’évêque auto-proclamé. Pour financer sa petite entreprise religieuse, il met notamment en place un système de dîme : « Il a simplement exploité à son avantage les écrits de l’Évangile, qui mentionnent que 10% des revenus du croyant doivent être reversés au culte religieux auquel il appartient » , explique le sociologue André Corten, auteur des Nouveaux conquérants de la foi, un ouvrage consacré au fonctionnement et à l’histoire de l’Église universelle du royaume de Dieu. Des revenus exploités jusqu’au moindre centime. Pour se soustraire aux ponctions du fisc, Macedo aurait trouvé une formule magique imparable : les dons de ses ouailles seraient envoyés vers les comptes de sociétés fictives basées dans des paradis fiscaux. De là, l’argent reviendrait, blanchi, au Brésil, en prêts accordés à des amis du grand manitou de l’église évangélique. « Macedo a été accusé d’association de malfaiteurs et de blanchiment d’argent en 2009, mais rien n’a été définitivement prouvé » , explique André Corten.
TV Jésus
La planche à billets tourne, mais pour passer à un niveau supérieur, le lider maximo ne va pas tarder à faire usage de sa carte maîtresse : les médias. En 1990, l’Église universelle achète la chaîne de télévision Record, depuis devenue une des trois plus grandes chaînes nationales du Brésil. Avant de dérouler dans les années suivantes, en multipliant les acquisitions dans le secteur de l’information et de la culture : aujourd’hui, l’EURD détient pas moins de 24 chaînes de TV, 42 stations de radio, deux quotidiens et deux maisons d’édition. De quoi permettre à l’Église universelle du royaume de Dieu d’étendre son influence dans les foyers brésiliens. « Les médias appartenant à l’Église universelle diffusent toute sorte de programmes et de récits religieux la nuit, qui sont plus susceptibles de toucher les populations marginalisées et en situation de souffrance » , pose André Corten. Au début des années 2000, l’EURD s’offre même une percée dans l’industrie du divertissement, notamment grâce à Marcelo Crivella, l’actuel maire de Rio et figure emblématique du parti, qui se fait connaître à la fin des années 1990 en signant plusieurs disques de musique brésilienne évangélique. Au top du hip-hop pastoral, Crivella est notamment l’auteur de morceaux dont les titres parlent d’eux-mêmes, comme Filho de Deus ou Cura Jesus.
2005 voit enfin la naissance du PRB, la branche politique de l’Église universelle, qu’a intégrée Ronaldinho. Une formation sans surprise conservatrice. « Le parti a été créé par José Alencar Gomes da Silva, un ancien vice-président de Lula, poursuit André Corten. Il est très conservateur sur les questions de société, mais il serait abusif de le classer à l’extrême droite du champ politique brésilien. » Avec déjà treize millions de fidèles, l’Église universelle compte bien utiliser le PRB pour continuer de grandir : « Cela permet à l’organisation de cultiver son influence, cette fois-ci par le biais politique. » L’inclusion de Ronaldinho devrait, elle, permettre au parti de populariser et de polir son image. À moins que Ronnie ne se décide à faire subitement machine arrière. En se rendant compte que toute cette machinerie religieuse ne fait finalement pas très catholique.
Par Adrien Candau
Propos d'André Corten recueillis par AC