- Euro 2016
L’Euro sur les jantes de Griezmann
Il y a un an jour pour jour, l'équipe de France et son meilleur joueur s'inclinaient en finale de l'Euro. Une compétition où avait brillé Antoine Griezmann, qui avait dû serrer les dents pour devenir le leader que le pays attendait. Avec brio, mais sans récompense.
Il tient dans les mains le Soulier d’or. Six buts, le double de Cristiano Ronaldo, mais Antoine Griezmann fait la gueule devant le parterre de journalistes réunis dans la salle de presse du Stade de France. Même pour la photo, il ne fait pas semblant. Quelques minutes plus tôt, il a échoué en finale de l’Euro, et livré ses émotions en direct sur beIn Sports : « Je serai peut-être fier plus tard, mais pour l’instant, tout le collectif est déçu. Je suis très déçu par rapport à mes coéquipiers. J’avais à cœur de leur donner ce trophée, mais je n’ai pas pu marquer donc je suis déçu. C’est cruel, mais magnifique aussi. » Puisqu’un malheur n’arrive jamais seul, Diego Maradona lui-même tape sur le glorieux perdant, sous-entendant qu’il n’est pas encore un top player : « Alors que Ronaldo est reparti avec un autre trophée après la Ligue des champions glanée en mai dernier, Griezmann a échoué dans ses deux dernières finales. Il a raté deux têtes et la deuxième aurait dû être cadrée. » Des propos sévères, mais prémonitoires quant au futur délibéré du Ballon d’or, attribué à la star portugaise. Des propos qui tendent aussi à minimiser la performance du numéro 7 des Bleus pendant le Championnat d’Europe.
« Il a joué avec ses limites »
Flashback. Début juin 2016, la compétition n’a pas encore débuté que les premières craintes autour de l’attaquant se font entendre. Il vient d’achever une saison exténuante avec l’Atlético de Madrid de Diego Simeone (63 rencontres en 2015-2016 ; plus de 142 kilomètres avalés en C1) et sa condition physique fait débat. Sans parler du moral. « Physiquement, il était épuisé, c’est logique, mais c’est aussi mentalement que c’était compliqué, confirme Alain, le papa. Après la finale de C1 perdue, il fallait remettre le couvert. Dans l’avion du retour avec l’Atlético, personne ne parlait. Psychologiquement, c’était une grosse claque… » Les larmes séchées, Antoine n’a pas le temps de cogiter : il rejoint le groupe France où ses partenaires et tout un peuple attendent ses miracles. « On a récupéré Antoine à la toute fin de la préparation, se souvient Eric Bédouet, préparateur physique de la sélection, qui a alors du pain sur la planche. Autant sur une préparation d’avant-saison, on a le temps de faire monter les joueurs, autant pour Antoine, on n’avait pas le temps pour grand-chose, seulement le régénérer au maximum. »
C’est donc dans le rouge et en serrant les dents que Griezmann entame son tournoi. Et forcément, cela se voit en ouverture contre les Roumains, malgré un tir sur le poteau qui ne masque pas ses difficultés. Un constat s’impose : Grizou est carbo, lessivé, vidé… À tel point que France Football parle de Ballon dort. Bédouet : « Les gens ne s’en rendent pas compte, il a joué avec ses limites. Je me souviens du premier match où il est dans le rouge, mais tient au mental. À la pause, dans le vestiaire, son visage était déformé par la fatigue. » Paul Pogba et lui deviennent alors les cibles faciles des critiques de l’opinion publique. En réponse, le collectif bleu, qui compte plus que jamais sur son leader, fait bloc. Olivier Giroud assure n’être « pas du tout inquiet pour lui. Il va monter en puissance. » Même son de cloche chez Moussa Sissoko, visionnaire, – « Je suis sûr qu’on verra un grand Antoine durant le reste de la compétition » – ou Patrice Évra, protecteur – « Il ne faut pas condamner Griezmann tout de suite, la compétition est longue. C’est un peu de votre faute, à vous les médias.(…)Il va falloir vous calmer. »
L’Albanie, le tournant
Bien conscient du manque de jus de son poulain, Didier Deschamps fait alors un choix fort : le banc. « Il ne s’est jamais plaint, n’a jamais demandé le moindre traitement de faveur. Mais forcément, avec lui, on avait très peu de temps, alors on a focalisé sur un travail de régénération. Il fallait faire en sorte qu’il récupère au maximum » , note Dédouet. Sauf que les médias étrangers voient une sanction plus qu’une protection. « Personne ne sait ce qu’il s’est passé dans la tête du sélectionneur français » , dénonce El Observador ; La Repubblica reproche à DD d’avoir « abandonné Griezmann » quand Der Spiegel compare la situation à un Joachim Löw qui se priverait de Thomas Müller. Entré à la pause, Griezmann débloque la situation et donne raison à son boss. « C’est une revanche sur le match que j’avais fait contre la Roumanie » , réagit le protagoniste. « C’est peut-être bien ce but qui a conditionné le reste du tournoi » , ose quant à lui Eric Bédouet. Dans le reportage Au cœur des Bleus diffusé sur TMC en décembre, Adil Rami, centreur décisif sur l’action, se pare de l’habit du catalyseur : « Cette passe, on pense que c’est une passe décisive anodine qui paye pas de mine. Mais tu sais que cette passe, elle est très très importante… ? Tu sais pourquoi ? Parce que cette passe, elle met notre meilleur joueur français en confiance. » Vrai, selon Bédouet : « Ce but à l’arrachée contre l’Albanie nous a facilité le travail, il a débloqué des énergies positives. Cela l’a aidé, car il s’est senti aimé par le groupe et investi d’une responsabilité. Il a exprimé beaucoup de rage après son but. Il s’agit de la rage propre aux joueurs de très haut niveau, qui ont besoin de se mettre dans le rouge mentalement pour avancer. On ne s’en rend pas compte, car c’est quelqu’un de très poli, toujours adorable dans la vie du groupe, mais il a la rage de gagner. »
La suite, tout le monde la connaît : un doublé contre l’Irlande, un but contre l’Islande, et un nouveau doublé contre l’Allemagne en demi-finale, qui restera le pic de performance de Griezmann à l’Euro. « C’est sur ce match qu’ils ont perdu le tournoi, ils ont tout donné et ils étaient carbonisés en finale » , estime Griezmann Senior, fier de son fils malgré tout. « S’il pouvait échanger ses six buts contre le simple fait de gagner l’Euro avec ses potes, il le ferait. » Manque de bol, on ne rejoue pas une finale européenne. Mais contrairement à Diego Armando Maradona, Eric Bédouet estime que l’attaquant de l’Atlético est devenu un grand joueur, l’Euro l’a prouvé. « Il a une force de caractère exceptionnel. Derrière ce visage de jeunot, il y a quelqu’un de très costaud. C’est le propre des joueurs de très haut niveau. Je l’ai vu évoluer entre le Mondial 2014 et l’Euro 2016 et il a franchi un cap dans la capacité à se transcender. Surtout, arriver au niveau qui a été le sien avec aussi peu de temps pour se préparer, c’est très fort. Aujourd’hui en France, on ne se rend pas forcément bien compte de l’ampleur qu’il a prise simplement parce qu’il coexiste avec deux monstres, Messi et Ronaldo. » Et aussi parce que son palmarès n’a toujours pas grossi.
Par Florian Cadu et Nicolas Jucha
Propos d'Alain Griezmann et Eric Bédouet recueillis par NJ