- Euro 2024
Willkommen Qatar !
Après avoir retourné le Mondial 2022 avec de multiples et louables protestations, l’Allemagne accueille désormais l’Europe du football avec une myriade de publicités pour Qatar Airways et Visit Qatar. Explications d’un grand retournement de veste en mondovision.
C’était il y a bientôt deux ans, dans des stades qataris climatisés. À l’époque, la Mannschaft endosseait le costume de chevalier blanc du Mondial pour protester contre la notion toute relative des droits de l’homme du pays hôte. Après s’être fait interdire le port du fameux brassard arc-en-ciel « One Love » par la FIFA, les joueurs allemands décident de se mettre la main devant la bouche lors de la photo d’avant-match contre le Japon. « Il ne s’agit pas d’un message politique, jure alors un communiqué de presse de la DFB. Les droits de l’homme ne sont pas négociables. […] Nous interdire le bandeau, c’est comme nous bâillonner. Nous maintenons notre position. » Le début de la fin pour la bande de Hansi Flick, piteusement éliminée dès le premier tour. À l’époque, malgré le fiasco sportif, la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser tient tout de même à féliciter sa délégation « d’avoir conservé intacts ses idéaux ». Entre-temps le Bayern Munich a mis fin à son partenariat commercial avec Qatar Airways, et la même Nancy Faeser a fait une intervention remarquée lors d’un congrès de l’UEFA pour expliquer que son Euro allait permettre de redessiner « les standards de l’organisation d’une compétition sportive ».
Des pubs pour le Qatar partout dans les stades
Dans les faits, c’est le cas : pour accueillir l’Europe du football, le gouvernement allemand a dépensé plus de 27 millions d’euros pour que son Euro soit le plus « green » et vertueux possible. Le dépliant fourni par le comité d’organisation de la compétition jure même que le nombre de vols des équipes a été réduit de 75% par rapport à l’Euro 2016. Un chiffre qui fait sourire Peter Crisp, porte-parole de Free Fossil Football, organisation qui pointe régulièrement du doigt le green washing de l’UEFA : « C’est une organisation qui se targue d’être en phase avec la notion de développement durable alors que l’un des partenaires officiels de la compétition est Qatar Airways, a-t-il pointé récemment dans The Mirror. C’est de l’hypocrisie. » Ou plutôt un vrai point noir pour l’instance du football européen, qui s’est bien gardé de communiquer sur la prolongation du contrat avec le Qatar (le contrat date en fait de 2020 et devrait concerner également la prochaine édition de l’Euro, NDLR), grand argentier du football mondial.
Dans les stades allemands, les pubs pour Qatar Airways et l’office de tourisme local, Visit Qatar, sont présentes partout : dans les sièges à baquets des bancs de touche, à la sortie du tunnel des joueurs, dans les fans zones, à la télévision, et probablement lors de la future remise du trophée au vainqueur. Un camouflet pour les autorités allemandes, mais aussi pour la DBF, dont les critiques à l’encontre du pays de Nasser al-Khelaïfi ont bizarrement été mises en mode silencieux par ce coup du boomerang piloté par l’UEFA. Un retournement de situation qui fait la joie des Qataris sur les réseaux sociaux, mais qui pose aussi question en ces temps de dissertation philosophique : est-il encore possible de respecter ses idéaux à l’ère de ce putain de football business ? Petit indice : c’est compliqué.
Par Ramon Jabugo