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L’Euro dans la jungle de Calais

Par Nicolas Jucha, dans la jungle de Calais
L’Euro dans la jungle de Calais

Ils ont quitté leur pays le plus souvent pour fuir un gouvernement hostile. Et n'ont trouvé qu'une jungle et la misère matérielle pour les accueillir. Mais dans ce quotidien austère et désœuvré, les migrants ont fait comme la plupart des Européens, ils ont suivi le Championnat d'Europe avec passion. Parce que le foot est un moyen comme un autre de tenir.

Jeudi 16 juin, début d’après-midi à Lens. Deux sacs en plastique remplis de courses, un jeune homme d’une vingtaine d’années bat le pavé. « Je ne suis pas d’ici, je viens juste de m’installer. » Il s’appelle Sylvain, il vient de Calais. « Je n’en peux plus, les migrants sont partout, ils sont violents, ils agressent pour un oui ou pour un non. Si tu n’as pas une clope pour eux, cela peut partir en vrille. » 100 km plus au nord, pas grand monde à la gare de Calais Ville. Entre le centre de vie qu’est la rue Royale et la jungle, il faut bien compter 45 minutes de marche le long de la gare portuaire puis d’une voie ferrée à faible activité. En espérant, pour les réfugiés, ne pas être « interceptés » par une des patrouilles de CRS déployée sur le chemin. Barbara Jurkiewicz, de l’association La Vie Active, qui gère le centre Jules Ferry, admet que malgré tout, certains passent entre les mailles « et se retrouvent dans les rues de Calais Nord, pour une sortie, ou pour, en ce moment, pouvoir voir un match de l’Euro » .

Le football, une composante de la jungle comme en attestent les nombreux vêtements aux couleurs d’écuries du Vieux Continent ou un terrain en sable à l’entrée du campement.

Le football, ils adorent ça, donc c’est plus facile pour leur apprendre des choses.

Dans de petits baraquements à proximité, l’association Jungle Book donne des cours d’anglais et de français gratuitement. Morgane, une Parisienne installée ici depuis trois semaines, s’appuie sur la presse sportive : « Le football, ils adorent ça, donc c’est plus facile pour leur apprendre des choses. » En face d’elle, trois Soudanais : Jado, originaire de Malaka, Mohamed, de Tinee, réservé et timide, et Mudather, sourire facile mais regard triste. Ils sont là depuis respectivement 4, 3 et 2 mois. L’Euro, ils n’ont pas forcément vu les matchs, mais ils ont leurs favoris : « Je supporte les Bleus, car je suis en France, alors je dois supporter mon pays d’accueil » , précise Mohamed dans un demi-sourire. « Et moi, l’Angleterre, parce que c’est là-bas que je veux vivre » , ajoute Tinee.

Fucking journalist

L’échange est interrompu par Tony, un membre de l’association Darfur School.

Je ne suis pas amer, ni jaloux, ni envieux. Un jour, je serai au milieu de ces gens, je ferai la fête avec eux, on chantera et on boira ensemble.

« Je suis là depuis huit putains d’années, et j’ai vu passer des tas de journalistes. Vous venez, vous faites copain/copain avec les jeunes réfugiés, ils vous font confiance, vous racontent leur histoire… Et puis le lendemain, ces jeunes gens sont dépeints comme des violeurs, des tueurs ou au mieux des voleurs. » Retour au calme, Mudather évoque la fête sportive en France, alors que lui galère : « Je ne suis pas amer, ni jaloux, ni envieux. Un jour, je serai au milieu de ces gens, je ferai la fête avec eux, on chantera et on boira ensemble. » Il s’interdit tout fatalisme, car il a déjà vécu le pire : « J’ai des amis qui sont morts dans la traversée, moi, je suis vivant, j’ai un futur à construire. » Dans ce projet, le football est un vrai sas de décompression que l’association La Vie Active, gérante du centre Jules Ferry, a décidé d’exploiter.

Pour s’y rendre, il faut traverser le terrain en sable, passer devant une petite mosquée improvisée en bâches bleues, puis longer le chemin des dunes, ses tentes de fortune, le CAP (centre d’accueil provisoire) avec ses containers en guise d’appartements, et les « shops » qui fleurissent dans les « rues principales » du campement. À l’entrée, Guillaume Sénéchal accueille et fait la visite guidée. Repas, douches, lessives, infos administratives, l’association subvient gratuitement aux besoins les plus pressants et, pendant l’Euro, a inclus la retransmission des matchs dans son offre de services. « On a eu énormément de demandes, donc on a réquisitionné l’écran servant à communiquer les informations pratiques et installé une parabole sur décision du directeur du centre, Stéphane Duval. » Lequel arrive quelques minutes plus tard au volant d’une imposante voiture blanche. Grosse carrure, crâne dégarni, lunettes au nez et poigne de fer, il embraye direct : « Je crois qu’on va se payer l’abonnement à beIn, vu qu’ils ont tous les matchs. »

Le football, cela peut paraître trivial, mais cela permet aussi ça : le rassemblement entre les gens.

Pas un problème de budget, même si le patron des lieux affirme qu’il a des financements pour la nourriture, l’hygiène mais « pas pour ça, donc on improvise » en pointant l’attroupement qui se forme autour d’une rencontre de la phase de poules. « Ils savent qui joue, qui a joué la veille et quels scores » , assure Guillaume. Rapidement, ils sont une grosse centaine autour du téléviseur. « Le football, cela peut paraître trivial, mais cela permet aussi ça » , explique fièrement Stéphane Duval en pointant les réfugiés de différentes nationalités en train de sourire, de s’appuyer sur les épaules des autres, ou de faire un concours de jongles. Le centre Jules Ferry n’est pas seul sur le ballon rond. Un petit restaurant éthiopien dans la rue principale de la jungle réussit le tour de force technique de retransmettre les affiches footballistiques dans des conditions optimales.

beIN en HD, entrées à un euro et querelles soudano-afghanes

Façade en bâches bleues, porte en bois et générateur électrique qui tourne à plein régime permettent d’identifier le lieu.

Pour la finale de la Ligue des champions, il y avait foule même à l’extérieur, des gens étaient sur la pointe des pieds pour essayer de suivre.

À l’intérieur, quelques sièges plastique blancs font face à un écran large accroché à un mur en bois composite. À l’écran, beIN Sport en anglais et très haute définition. L’endroit est fait d’une structure en bois, de bâches solidement accrochées, et l’on y sert un excellent café – avec arrière goût de cannelle – à un euro la tasse. Comme le prix d’entrée un soir de match, « très cher » , assure Kalil, un grand black du Sud-Soudan au regard souriant mais fatigué. L’endroit a trouvé sa clientèle, assure Mayeul, de l’association Enfance Majuscule. « Cela ne fait pas si longtemps que le restaurant montre les matchs, mais ils ont compris que c’était un bon business, car pour la finale de la Ligue des champions, il y avait foule même à l’extérieur, des gens étaient sur la pointe des pieds pour essayer de suivre. »

Et vu que les Afghans, qui ont la main sur la majorité des business, se contentent de diffuser principalement du « Bollywood » , le monopole éthiopien est solide. Ici, le sport et le football en particulier, c’est « une soupape, une évasion du quotidien difficile, voire simplement une occupation dans des journées assez vides pour des gens qui ont vécu des choses horribles. » Alors les migrants peuvent bien s’exciter, gueuler sur un arbitre qui a pris la mauvaise décision, ou applaudir un but comme si rien d’autre n’existait pendant 90 minutes. « Surtout que le football, c’est quelque chose qui incarne parfaitement leur vision de l’idéal européen » , assure Guillaume Sénéchal, de la Vie Active.

« Rien ne fonctionne mieux que le football »

Alors pour répondre aux risques de violences entre communautés -Soudanais et Afghans se sont violemment affrontés fin mai- plusieurs associations dont Care 4 Calais et le Youth Refugee Service ont misé sur le ballon rond.

C’est dur entre les Soudanais et les Afghans par exemple, mais nous, grâce au foot, on arrive à réunir des Afghans, des Soudanais, des Syriens, des Pakistanais, des Éthiopiens, des Erythréens… et les Européens

En co-finançant la mise en place du terrain en sable et ses cages sans filet, mais également en y organisant des tournois. Alors que la seconde période d’un match de l’Euro se dispute, une dizaine de migrants est en train de taper dans le ballon avec deux Britanniques. Un jeune Afghan de 14 ans claque un but. Soudanais, Éthiopiens, Érythréens… Tout le monde le félicite. « On essaie de faire un match 4 fois par semaine, mais avec l’été, on a réduit à 2 ou 3 pour faire aussi du cricket, le sport des Afghans Pachtounes » , explique Ben, un Londonien supporter de Tottenham et adorateur d’Hugo Lloris. « Le foot, c’est un outil formidable pour nous. Cela permet de faire sauter des barrières raciales » , dit-il dans un sourire franc. Les violences qui ont meurtri la jungle sont au cœur de ses préoccupations. « C’est dur entre les Soudanais et les Afghans par exemple, mais nous, grâce au foot, on arrive à réunir des Afghans, des Soudanais, des Syriens, des Pakistanais, des Éthiopiens, des Érythréens… et les Européens. »

Le foot n’est pas qu’un simple jeu, « on n’a rien qui fonctionne mieux que le sport et surtout le football pour les rassembler et les rendre solidaires. »

Les gosses peuvent faire bouger les choses, et le football nous permet de les aider à aller dans ce sens.

Alors qu’il refoule un jeune adolescent syrien qui tente de s’installer au volant de sa vieille Ford Fiesta, il précise que tous les espoirs reposent sur les plus jeunes : « On se concentre sur les U18, car ce sont les plus ouverts, ils ont moins de préjugés. » Il y a quelques jours, il raconte qu’un ado afghan jouait avec ses potes soudanais au chemin des dunes. « Des plus grands sont venus et on dit : « Il fout quoi là, l’Afghan ? » Les gosses ne se sont pas démontés et ont défendu leur ami :« Bah, il joue au foot avec nous, vous êtes aveugles ? C’est quoi le problème ? Il a fait du tort à quelqu’un ? Pas à nous. » Ce sont les plus jeunes qui vont changer les choses, abattre les arrières, faire prendre conscience à tout le monde que la seule différence entre eux, c’est leur lieu de naissance, mais qu’au-delà, ils sont tous humains. Notre plus grande joie, c’est quand on voit des gamins de deux pays différents, de communautés a priori opposées et incompatibles, qui passent du temps ensemble, qui sont devenus amis, tout simplement. Les gosses peuvent faire bouger les choses, et le football nous permet de les aider à aller dans ce sens. »

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