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« L’Euro 2000 a été un tournant dans l’histoire du hooliganisme »
À côté du spectacle sur le terrain, l’Euro 2000 a aussi fait parler de lui en raison des incidents liés aux hooligans de tout le Vieux Continent. Des incidents et non pas une guerre, comme on aurait pu le prévoir. Selon le sociologue belge Bertrand Fincœur, spécialiste du mouvement casual d’outre-Quiévrain, l’explication se trouve en partie dans les politiques mises en place par les deux pays organisateurs avant le premier championnat d’Europe du XXIe siècle.
En l’an 2000, le souvenir du drame du Heysel, qui a eu lieu seulement quinze ans auparavant, devait encore être très présent dans les esprits. Où se situent les principales innovations réalisées depuis ?Sans aucun doute au niveau de la politique de sécurité dans les stades. La Belgique n’a pas botté en touche en avançant le fait que ce sont des supporters anglais et italiens qui sont venus foutre la merde à l’occasion d’un événement sportif organisé sur son sol. Il y a eu une commission d’enquête parlementaire, des universitaires se sont penchés sur la question, sans oublier la naissance du fan coaching et la promulgation de la Loi football en 1999. Tout cela ne serait pas arrivé sans le Heysel. La Belgique s’est positionnée comme une locomotive européenne pour traiter le mal à la racine et est en quelque sorte devenue le bon élève de la classe après en avoir été le pire exemple.
Revenons sur deux éléments que vous avez évoqué. La Loi football tout d’abord. En quoi consiste-t-elle ?Sa principale spécificité est de désengorger le circuit pénal et de réguler le supportérisme, d’une part, en interdisant de stade les supporters qui posent problème, et d’autre part, à travers des sanctions financières. C’est un outil conçu pour être très réactif : la personne se voit désormais sanctionnée en deux-trois mois. Mais la Loi football amène également le développement d’une co-gestion public-privé : la police et le club ont chacun leur rôle à jouer. Le second se voit confier des prérogatives en matière de sécurité et c’est là que l’on voit apparaître les stadiers par exemple, que la police ne vient épauler qu’à titre subsidiaire.
A-t-elle été élaborée en prévision de l’Euro 2000 ou en réponse aux problèmes de hooliganisme ?Les deux. En Belgique, comme dans d’autres pays, la décennie 1980 et la première moitié des années 1990 ont été marquées par le classique jeu du chat et de la souris entre police et supporters. La Loi football est donc une réponse à cette problématique, mais aussi une manière de dire qu’on sera prêts pour gérer ce grand événement à venir qu’est l’Euro 2000. Je pense que c’est elle qui a eu la plus grosse influence sur l’évolution de la sécurité dans les stades, mais on ne peut pas non plus oublier d’autres paramètres comme la vidéosurveillance, la ségrégation des supporters, le balisage du trajet des visiteurs jusqu’au stade…
Vous avez également mentionné le concept de fan coaching. De quoi s’agit-il ?Il faut savoir qu’en réponse aux problèmes liés à la violence, la plupart des pays choisissent souvent de répondre par la répression. Et si la Belgique ne fait pas exception, elle a innové en se basant sur les travaux de Lode Walgrave, un professeur de l’université catholique néerlandophone de Louvain, qui a développé le concept de vulnérabilité sociétale. Selon lui, les jeunes qui se battent dans les stades sont en situation d’échec dans leurs rapports avec l’institution scolaire, professionnelle, familiale, policière… et il faut donc agir auprès d’eux. C’est comme ça que sont nés ces fans coachings, qui mènent des actions socio-préventives à destination des supporters de football.
Par qui ces actions sont-elles menées ?Elles sont financées par le ministère de l’Intérieur et sont parfois intégrées aux polices locales, aux municipalités… mais pas aux clubs eux-mêmes, contrairement à des pays comme la Suisse ou l’Allemagne, dans lesquels le fan coaching résiste encore aujourd’hui, tandis qu’en Belgique, il ne représente plus grand-chose.
Quid de la situation aux Pays-Bas ?À ma connaissance, le fan coaching y est à peu près inexistant. En revanche, les Néerlandais ont été les leaders européens de l’approche policière de gestion des foules, qu’on appelle aussi le crowd management et qui se caractérise par une meilleure analyse du risque, des interventions ciblées et à un meilleur accueil du public.
Deux ans après le mondial 1998, entaché par les incidents de Marseille et l’agression du gendarme Nivel, la menace hooligan reste bien réelle. D’autant plus que les deux pays organisateurs de l’Euro 2000 abritent des groupes qui comptent parmi les plus violents d’Europe et attendent de pied ferme leurs homologues anglais et allemands, pour ne citer qu’eux.Tout à fait, et ils se disaient justement que ce serait l’occasion pour eux de se mesurer au gratin du hooliganisme. Mais au travers des entretiens que j’ai menés par la suite, il en résulte que c’est le contraire qui s’est produit : l’Euro 2000 a cassé une dynamique. Ce devait être une apogée du hooliganisme, il en a résulté une déception.
Pourquoi cette apogée du hooliganisme a-t-elle été contrariée justement ?Probablement parce qu’ils s’attendaient à ce que les policiers soient moins bien préparés. Probablement aussi à cause du vieillissement du mouvement casual qui, au tournant des années 2000, a commencé à être progressivement remplacé par les ultras. Mais cela n’a pas empêché certains incidents de se produire, notamment à Charleroi, entre les Anglais et les Allemands. C’est bien la preuve que la Loi football n’a pas réussi à résoudre tous les problèmes.
Si ce fameux Angleterre-Allemagne avait eu lieu sur le sol néerlandais, la situation aurait-elle pu être différente ?Tout n’est pas dicté par l’accueil policier. Quand on organise Allemagne-Angleterre à Charleroi, on prend plus de risques qu’avec un Espagne-Norvège à Rotterdam. De plus, le stade de Charleroi est en centre-ville, ce qui rend le maintien de l’ordre plus difficile qu’avec un stade situé en périphérie. Il est donc difficile d’établir des liens de causalité. Trop de facteurs entrent en jeu pour réécrire l’histoire vingt ans après, ce serait trop facile.
Plus généralement, l’Euro 2000 marque-t-il le début du déclin du hooliganisme en Europe ?Je dirais plutôt que c’est une grosse étincelle qui n’a pas pris. Ce Grand Soir que les hooligans espéraient tant a été ajourné. Et à force d’être ajourné, il n’a finalement jamais vraiment eu lieu. Cependant, le hooliganisme n’a pas complètement disparu pour autant. On assiste aujourd’hui à sa résurgence, mais sous une forme décontextualisée à la fois spatialement et temporellement du match de football. On peut l’observer à travers les fights organisées en forêt par exemple.
Dit autrement, c’est le modèle né en Europe de l’Est qui prédomine et non plus celui dit « à l’ancienne » .Oui, car si on regarde l’évolution des faits sur une période de dix-huit ans, les incidents n’ont rien de comparable. En soi, l’Euro 2000 a marqué un tournant dans l’histoire du hooliganisme. Lors du mondial 1998, à Marseille, les incidents en marge du match Tunisie-Angleterre ont duré plusieurs jours et impliqué des populations locales, et on a d’ailleurs retrouvé des faits similaires à Bruxelles deux ans plus tard. En 2016, toujours à Marseille, on a assisté à un après-midi de guérilla entre hooligans russes et anglais, point.
Que doit-on finalement retenir de cet Euro en matière d’organisation ?Je formule une hypothèse, mais il me semble qu’il a permis de montrer qu’il était possible pour deux pays de travailler ensemble et d’exporter un modèle à l’étranger en matière de sécurité. Le crowd management néerlandais a finalement ruisselé en Belgique, tandis que le fan coaching à la belge a essaimé dans plusieurs autres pays européens.
C’est donc un élément à verser au dossier de l’européanisation du football.Oui, et il est d’autant plus important de souligner qu’en matière d’européanisation justement, la plupart des initiatives émergent des membres du Big Five. Mais en ce qui concerne les thématiques sécuritaires, ce sont surtout des petits pays comme la Belgique et les Pays-Bas qui ont joué un rôle moteur et prouvé qu’il est possible d’organiser un grand événement en duo et que cela se passe plus ou moins bien. On a, certes, continué de recenser des incidents à chaque édition qui a suivi, mais jamais à l’échelle que l’on prévoyait. C’est selon moi le principal enseignement qu’il faut en tirer.
Propos recueillis par Julien Duez