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Lettre ouverte à Mats Hummels
Après huit ans de bons et loyaux services au Borussia Dortmund, Mats Hummels a choisi de retourner à Munich, sa « ville de naissance, où [sa] famille et [ses] nombreux amis vivent », et de renforcer encore un peu plus le Rekordmeister. Une décision qui énerve et qui fait mal.
Cher Mats,
Mardi, le Borussia Dortmund, le club dont tu es actuellement le capitaine, a annoncé la terrible nouvelle : celle de ton retour dans le giron munichois. Après huit années de bons et loyaux services et quelques titres gagnés, tu as décidé de rentrer chez toi. Dans ta ville, celle qui t’a vu grandir. Dans ton club, celui qui t’a formé. Tes parents vivent là-bas. Ton frère aussi. Même ta femme, que tu as épousée l’an dernier dans un bel hôtel munichois, y habite. Il est donc assez logique qu’après près d’une décennie passée loin d’eux, tu décides de les retrouver. Et de troquer le gris de la Ruhr pour la beauté de la Bavière. Ce départ, on aurait dû s’y attendre. Lorsque le Borussia t’a accueilli en 2008, cela ne pouvait pas être pour toujours. Un Bavarois reste un Bavarois. Mais voilà, dans un souci d’honnêteté, on peut te l’avouer, ce retour à Munich, on ne l’a pas vu venir et on a du mal à l’accepter.
Longtemps, tu as été l’incarnation du beau. On t’a vu grandir doucement et sûrement, à grands renforts de tartines de pâte chocolatée. Sur le terrain, tu manipulais le ballon avec un doigté qu’un handballeur n’aurait pas renié. En dehors du pré, tu avais un certain talent pour t’exprimer : toujours poli, souvent mesuré, jamais dans l’excitation et l’énervement. Même si c’est pour enterrer la France en Coupe du monde, même si c’est pour te caguer en Ligue des champions contre le Real, tu savais le faire joliment, comme aucun autre défenseur central. On retiendra surtout tes coups de maître, toujours opérés avec grâce, comme ce coup franc direct que tu repousses de la tête sur ta ligne. On pensait alors t’aimer pour toujours, que tu n’étais pas comme les autres, que tu savais ce que tu voulais et que tu ne changerais pas du jour au lendemain. Dans le pire des scénarios, on t’imaginait partir pour quelque temps à l’étranger, le temps de voir du pays.
Longtemps aussi, il faut dire que tu as eu la dent dure avec ton amour d’enfance. Tu étais impitoyable envers le club qui t’a formé pour te jeter ensuite – et ton père, quelque temps après. « Tout le monde peut gagner avec 25 stars dans son équipe » , as-tu déclaré en 2014 lorsque les journalistes te parlaient de la domination sans partage du Bayern en Bundesliga. « Le Borussia est la meilleure chose qui me soit arrivé » , as-tu dit à de nombreuses reprises. Sans le BvB, tu as toujours eu la lucidité de reconnaître que tu ne serais pas le joueur que tu es aujourd’hui. Le club de la Ruhr a plus fait pour toi que le Rekordmeister, et tu le sais très bien. Du reste, pendant des années, tu as été le symbole du club. Sans forcément être le joueur le plus aimé du public, loin de là, ton arrogance t’ayant souvent fait défaut, tu as toujours été celui sur lequel on pouvait compter. Celui qui incarnait les valeurs d’outsider du club. Après avoir marqué contre le Portugal lors du premier tour de la Coupe du monde, tu t’es rué comme un fou sur le banc de touche pour célébrer avec tes coéquipiers du BvB, tenant dans tes mains la tête d’Erik Durm. En 2012, tu as fait partie de ceux qui ont ouvertement critiqué Joachim Löw car, selon toi, trop peu de joueurs du BvB, pourtant champion d’Allemagne cette année-là, étaient titulaires en équipe d’Allemagne. Bref, tu as souvent défendu corps et âme le Borussia. Trop diront certains.
Longtemps encore, tu as semblé être un homme droit, rigoureux, sûr de ses opinions et respectueux de l’institution qui t’a permis d’en être là. Lorsque l’on te demandait en 2013, si tu comprenais le choix de Mario Götze, tu avais répondu de façon catégorique : « Non, et je lui ai bien fait comprendre. » Mario Götze, en voilà un gars à qui tu aurais peut-être dû téléphoner. Il t’aurait sans doute conseillé de ne pas partir ou tout du moins d’employer la méthode Robert Lewandowski, c’est-à-dire de jouer au football et de se taire. Ces dernières semaines, alors que toute l’Allemagne attendait l’officialisation de ton départ, tu as encore une fois un peu trop parlé. « 300 personnes qui sifflent ne représentent pas les 80 000 autres » , as-tu asséné il y a quelques semaines. Et si ton président est une nouvelle fois venu à ta rescousse en arguant que quelqu’un d’aussi exemplaire ne méritait pas de tels sifflets, personne n’est dupe. Tu n’as jamais été quelqu’un d’exemplaire, ce qui, en soi, n’est pas un problème. Tout le monde a ses torts, ses défauts, mais en manquant de respect aux gens qui t’ont supporté dans les bons comme dans les mauvais moments, tu démontres que tu ne connais ni ton club, ni ton pays, ni ton sport. On sait déjà ce que tu vas dire. Que tu ne mérites pas un tel traitement. Que tu n’es pas Mario Götze. Que tu aimes profondément ce club. Que tu aurais pu partir mille fois déjà, ce que tu n’as pas fait. Que tu es resté alors que le navire sombrait l’an passé. De ça, tu voudras que l’on te remercie. Peut-être le fera-t-on un jour, mais sans doute pas tout de suite. Même si tu resteras beau, il y aura toujours quelque chose d’abîmé en nous, en toi, en ton football. Il ne reste plus qu’un défenseur lambda signant au Bayern, comme tant d’autres avant lui, comme de nombreux le feront ensuite.
Aujourd’hui, le bel homme est mort.
Par la Team BuLi