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Lettre du football à ses amoureux

Par Swann Borsellino
4 minutes
Lettre du football à ses amoureux

Actuellement exilé en Biélorussie, le football a décidé de rompre le silence avec ses fans. Une prise de parole engagée où le ballon rond exprime son malaise récent sur fond d’histoire d’amour. Touchant.

« Pleines d’histoire, mais vides de sens. Les rues de Minsk ont de faux airs des rues de ma vie. Ici, rien n’est grave. On terrasse le Covid-19 au HVB – « hockey, vodka et sauna » – et on considère le sport comme « le meilleur des anti-virus ». Chez vous, je m’appelle football. Ici, je m’appelle Norton.

Norton avait autant envie de se crever le ballon que de vous écrire. Mettez-vous à ma place. J’étais tranquille, dans un pays où personne n’a envie de mettre les pieds et où on s’envoie des Neman Grodno-FC Gorodeya le week-end et il a fallu que vous veniez me faire chier. Je vais vous dire ce que vous êtes. Vous êtes des junkies égoïstes, incapables de comprendre que j’avais besoin de souffler. Des Casanova, plus Alain que Giacomo, qui ont eu besoin que je me tire pour comprendre à quel point vous m’aimiez. Vous m’avez tellement foutu les boules que j’avais envie de vous laisser avec la LIDL Starligue de handball pour vous occuper lors de la prochaine décennie. Mais vous êtes devenu fous. Et je vous aime depuis bien trop longtemps pour ne pas vous donner quelques nouvelles.

Est-ce que vous vous rendez compte ? Vous trouvez ça normal de parier sur des matchs biélorusses ? Vous trouvez ça normal de manger la peau de la banane aussi, du coup, non ? Ça ne fait même pas un mois que je suis parti et regardez ce que vous avez fait de notre histoire :

Vous avez regardé toutes les rediffusions possibles des matchs de l’équipe de France jusqu’à en devenir une nouvelle fois champion du monde et à casser trois nouvelles dents au pauvre Patrick Battiston. Vous avez revu suffisamment de matchs de votre équipe préférée pour vous rappeler que la Ligue 1, c’était peut-être mieux à l’époque où l’OM et l’OL faisaient des 5-5. Vous avez partagé vos « onze de rêve » sur les réseaux sociaux en vous assurant de bien mettre au moins un joueur que vous ne connaissiez pas trop pour vous donner un style, comme si l’amour sincère que vous me portez avait besoin d’être travesti. Vous avez plus joué à Football Manager que pris de nouvelles des collègues qui composent votre vraie équipe. Vous avez râlé pour l’annulation de l’Euro et vivez l’incertitude qui entoure la suite des grands championnats et des Coupes d’Europe avec une anxiété qui devrait suffire à comprendre la raison de mon exil.

Je suis comme vous. Je suis vous. Faillible et fatigué. Alors je profite de ce repos quasi total pour me ressourcer, pleurer la perte de ceux qui me sont chers – Pape, merci pour tout ce que tu as fait – et imaginer la meilleure suite à donner à notre aventure commune. Pour ce faire, j’ai pris la fuite. Peut-être lâchement. Mais vous me rendiez malade. « Football ceci, football cela » tous les jours, presque toute l’année. Tantôt sur une chaîne, tantôt sur une autre, jamais sur la bonne et tout le temps sur les réseaux sociaux. Vous imaginez, vous, si les gens passaient leur vie à donner leurs avis sur vous, sur votre coupe de cheveux ou sur votre salaire ? Vous pensez que vous l’auriez bien vécu ? Et avoir la FIFA comme papa et l’UEFA comme maman, Françoise Dolto a dit que c’était ok ? Deux parents, pas un pour rattraper l’autre, avec pour seule obsession l’augmentation du rythme de ponte de la poule aux œufs d’or. Ça ne vous aurait pas mis une petite pression, peut-être ? Vous n’auriez pas été tenté de changer de nom et de partir donner des cours de yoga en Australie ?

Alors oui, j’en ai plein les poches, mais j’en ai plein ailleurs. À cause de vous, notamment. Vous dites que vous m’aimez, mais avoir les yeux posés sur quelqu’un ne veut pas dire qu’on le regarde. Vous dites que vous aimez le jeu, mais vous n’y jouez plus. Vous dites que je suis votre passion, mais passez plus de temps à me critiquer, moi et votre équipe, qu’à crier, chanter et frissonner. Pour nous comme pour beaucoup d’autres avant nous, l’amour à distance ne fonctionnera pas. Il suffit juste de l’accepter. Pour nous comme pour beaucoup d’autres avant nous, si vous vous forcez à penser à moi, c’est que vous avez déjà arrêté de penser à moi.

Aujourd’hui, maman dort, mais elle n’est pas morte. Elle va bientôt décider de la date de nos retrouvailles. Elles viendront bien assez vite. Pas la peine, donc, de me pleurer sur YouTube ou ailleurs. Notre amour brûle depuis assez longtemps pour que l’on n’ait pas à souffler sur ses braises. Pensez juste à vous maintenir en forme, histoire qu’on se susurre à nouveau à l’oreille nos petits mots coquins : lucarne, petit filet et toile d’araignée.

Je vous aime comme un petit pont de Juan Roman Riquelme,

Football. »

Dans cet article :
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Par Swann Borsellino

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