- Euro 2020
- Équipe de France
Lettre à Jules Koundé
Éclipsée par le tsunami Benzema, la convocation de Jules Koundé pour l'Euro est au moins aussi inattendue que celle du Madrilène. Et largement aussi jouissive.
Avant que Didier Deschamps ne lâche ton nom entre ceux de Presnel Kimpembe et Clément Lenglet, nous n’osions y croire. On espérait secrètement, mais sans doute par superstition, on se refusait de l’évoquer publiquement. On trouvait même des raisons, évidemment factices, de se réjouir de ton absence des 26 élus. Tu serais mieux en taulier des Espoirs, en Hongrie et en Slovénie pour l’Euro, puis au Japon pour les Jeux olympiques, que sur le banc ou en tribunes avec les A, aimait-on répéter sans arriver à vraiment se convaincre nous-mêmes. Nous, ce sont les koundistes. Qu’on te suive depuis tes débuts aux Girondins ou qu’on t’ait découvert à Séville, il nous est tout de suite apparu évident que tu avais un truc en plus que le monde n’allait pas tarder à découvrir. Mais pas tout de suite. Et surtout, pas avec Didier Deschamps.
Mais une fois de plus, le sélectionneur a bluffé son monde en posant sur la table une carte qu’il gardait au chaud depuis quelques semaines. Selon lui, il avait déjà hésité à te convoquer en mars, mais avait justement décidé de te laisser à la disposition des Espoirs pour la première phase de leur Euro. Ce coup-ci, il n’a pu résister. Et tant pis pour la bande à Ripoll, si Deschamps t’a invité comme un featuring surprise au milieu d’un tracklisting de blockbuster. Mais ce qui surprend le plus dans le choix du Basque, c’est qu’il ait été séduit par ton profil, lui qui a toujours eu une appétence pour les gabarits athlétiques en défense centrale. Te préférer Kurt Zouma, également présent dans la liste, ou Dayot Upamecano il y a quelques mois, c’est faire un choix tactique en privilégiant des joueurs moins à l’aise avec le ballon, mais flirtant avec le mètre 90, quand tu plafonnes à peine au-dessus des 180 centimètres. Une limite physique rédhibitoire à ton poste pour certains entraîneurs, dont on pouvait légitimement penser que la Dèche faisait partie. Alors certes, tu bénéficies très certainement de l’ouverture de la liste à 26 joueurs, ta polyvalence – Deschamps considère que tu peux jouer latéral droit – a été décisive, et la logique voudrait que tu débutes la compétition en tribunes. C’est en tout cas ce que les innocents qui te connaissent mal imaginent. Car la logique, t’en as rien à foutre. En janvier 2018, dès ta première titularisation en pro lors d’une défaite en coupe face à Granville, tu en as profité pour placardiser la recrue Paul Baysse et ne plus quitter l’équipe. Chez les Bleus, la marche sera plus haute, mais tu as grandi. Et les matchs amicaux face au pays de Galles et à la Bulgarie seront largement suffisants pour convaincre Deschamps qu’à 26 ans, Kurt Zouma est déjà un joueur du passé à une époque où l’usage est de relancer court. Tu seras la révélation de cette compétition, c’est écrit. Parce que ce championnat d’Europe itinérant aussi bizarre qu’impersonnel, disputé dans des stades tantôt vides, tantôt en jauge réduite, aura besoin de personnages pour l’incarner et l’humaniser. Des personnages du type de ceux qui ne se jettent pas immédiatement sur les réseaux pour réagir à une première sélection chez les grands, préférant laisser flotter une citation extraite du dernier album de J. Cole comme dernier tweet. Parce qu’en plus, tu as du goût. Putain, Jules, tu vas disputer l’Euro. C’est incroyable.
Mathias Edwards