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L’éternel hommage rayista à Wilfred Agbonavbare
Fin janvier, l'illustre portier nigérian du Rayo Vallecano lâchait son dernier souffle. Une mort prématurée qui a été suivie d'un vibrant hommage des supporters de Vallecas. Des aficionados qui font tout pour que Wilfred continue de vivre dans les mémoires d'un barrio qu'il représentait si bien.
Des mètres cubes de béton. S’il n’était pas un stade, l’estadio de Vallecas serait un blockhaus. D’apparence repoussante, ou tout du moins froide, l’enceinte du Rayo Vallecano se remplit de ferveur et de chaleur à chaque soir de match. Histoire de trancher face à cette grisaille, certains aficionados n’hésitent pas à s’emparer des murs pour leur offrir une vie colorée qu’ils n’ont jamais eue. Fresques et messages s’y confondent. Entre un « Odio el racismo, ama el Rayo » et un « Resistencia » , un nouveau message se fait la part belle. Coincé entre la boutique officielle du club et la Puerta 1, propriété déguisée des ultras locaux, il se veut un hommage inextinguible à Wilfred Agbonavbare. « Le meilleur d’entre nous » , comme aime à le nommer le peuple rayista, repose et veille sur cette si grande famille du Sud de Madrid. « Nous avons acheté tout le matériel, raconte Fernando, membre actif des Bukaneros. La direction du club n’a pas grand-chose à voir avec cet hommage. Nous souhaiterions qu’elle fasse plus… » Comme par exemple renommer leur tribune du nom du portier historique du seul club de quartier de Liga.
« Une magnifique personne » face au racisme
L’histoire d’amour entre Wilfred Agbonavbare et le Rayo Vallecano prend racine en 1990. Alors en championnat nigérian, il effectue une batterie de tests dans différents clubs espagnols. L’élu se trouve à l’extrême sud de la capitale de Castille. Le Rayo, alors en seconde division, l’attrape entre ses griffes en échange d’une faible indemnité et d’un appartement dans le quartier. Sa seconde expérience européenne – il a auparavant évolué une saison durant au même échelon anglais – sonne comme le début d’une longue idylle amoureuse. D’abord contraint à l’abri de la guérite, il s’impose dans les cages rayistas. De par sa force de caractère et son talent gants aux mains, il s’affirme comme un indéboulonnable. Unique portier de couleur de sa génération en championnat, il subit fréquemment les insultes racistes des aficionados adverses. Aux « Ku Klux Klan » et « Le portier est noir, il faut lui mettre sept buts » , lui répond par un sourire débordant de bonhomie et des parades qui le poussent à occuper les cages des Super Eagles au Mondial américain et à la CAN remportée la même année (1994).
Ce détachement face au racisme le fait entrer dans le cœur de tous les habitants de Vallecas. « En plus d’être un grand gardien, c’était surtout une personne magnifique » , rappelle à qui veut l’entendre chaque supporter du Rayo. Un étendard du multi-culturalisme si cher à ce barrio populaire, bouée de sauvetage de presque tous les immigrants arrivant au sein de la capitale espagnole. Pourtant, Wilfred n’en fait jamais sa publicité. Pis, il ne se gargarise jamais de son statut d’idole locale. « Chaque jour, il faut démontrer à l’entraîneur que tu mérites sa confiance. J’ai l’obligation d’être toujours prêt. Je ne peux pas décevoir le public du Rayo » , affirme-t-il dans les colonnes du Mundo Deportivo en 1992. Rapidement, un surnom lui est trouvé : « L’autre Potro de Vallecas » . À l’instar du célèbre boxeur issu du quartier, le portier nigérian renvoie les coups et symbolise la fierté de Vallecas. Surtout, il s’impose une vie austère, participe au dia dia du quartier. Il n’est ainsi pas rare de le croiser dans les dédales de Vallecas, accompagné de sa femme ou de le voir déambuler dans les supérettes du coin.
Les Bukaneros « aimeraient faire plus »
Une fois sa carrière terminée, en 1997, suite à un passage d’un an à l’Ecija Balompié, Wilfred conserve la location de son appartement de Vallecas. Austérité toujours, il est même contraint de se trouver des petits jobs alimentaires. D’une station service à une agence de voyage, il transporte quotidiennement les bagages de l’aéroport de Barajas. Et ce, pendant le cancer de sa femme, qui y succombe lors de la dernière décennie. Un malheur n’arrivant jamais seul, il lui est également diagnostiqué une tumeur cancéreuse. De son combat, il reste la solidarité des aficionados du Rayo et de ses anciens coéquipiers, qui se mobilisent pour lui payer un traitement aux États-Unis et pour faire revenir en Espagne ses enfants, étudiants au pays. Des enfants qui atterrissent à Madrid le 28 janvier dernier, un jour après sa mort. Aujourd’hui, Wilfred trône fièrement sur le mur de la Puerta 1. « On aimerait faire plus, regrette Fernando, membre des Bukaneros. Le club a officieusement renommé la porte, mais pas encore la tribune. Il faudra attendre cet été… » Carmen, grand-mère relogée grâce à la mobilisation des Rayistas, a, elle, d’ores et déjà légué la moitié de l’aide reçue aux enfants de Wilfred. Grande Rayo !
Par Robin Delorme, à l'Estadio de Vallecas