ACTU MERCATO
L’été où Julien Escudé aurait pu rejoindre Manchester United
International espoir en équipe de France et défenseur polyvalent du Stade rennais, Julien Escudé soulève à l'été 2002 un vif intérêt de la part de Manchester United. Mais le mariage n'aura finalement jamais lieu. La faute aux dirigeants bretons qui en demandaient plus de leurs homologues anglais. Mais, surtout, à une promenade anodine avec son chien qui va tout faire foirer.
Au cours d’un règne de vingt-six ans sans partage, c’est un fait manifeste qui n’a pu échapper à personne. Sir Alex Ferguson est un amoureux de la France. D’abord de ses vins, « les meilleurs du monde » selon ses propres dires. Puis certains de ses joueurs. Sous l’ère glorieuse de la figure tutélaire écossaise, dix Français se sont succédé avec plus ou moins de réussite (Cantona, Prunier, Silvestre, Blanc, Barthez, Bellion, Saha, Évra, Obertan et Pogba). À cette colonie de Frenchies en quête de reconnaissance outre-Manche aurait pu s’ajouter Julien Escudé. Il y a douze ans, le désormais retraité au CV pourtant flatteur (Ajax Amsterdam et Séville notamment) a bien failli entrer dans une tout autre dimension en ralliant les Red Devils. Le dossier suivait son cours, avançait pas à pas, non sans les tractations et intrigues qui peuvent, parfois, escorter un hypothétique transfert. Mais le mariage entre Escudé et United n’aura jamais lieu. La faute aux vicissitudes de l’existence. À une saleté de scoumoune, aussi, presque risible.
« Une chance incroyable pour moi »
À l’aube de l’exercice 2002/2003 qui s’apprête à s’ouvrir, Alex Ferguson a de la suite dans les idées. Et, surtout, soif de revanche après avoir laissé choir sa couronne de champion au rival Arsenal la saison dernière. L’Écossais a déjà pointé la principale faiblesse de son effectif : la défense. Après le départ précipité de Stam à l’été 2001 et celui programmé de Denis Irwin, Fergie amorce la refonte de l’arrière-garde avec les arrivées simultanées de John O’Shea et du chevronné Laurent Blanc. Mais Fergie veut injecter encore davantage de sang neuf. Nouvelle promesse de Premier League, Rio Ferdinand débarque en grande pompe pour quarante millions de livres au mercato estival 2002 (record du championnat anglais et défenseur le plus cher de l’histoire à l’époque). Deux noms sont ensuite cochés en priorité : le Rennais Julien Escudé et Nicolás Burdisso, alors à Boca Juniors.
Le nom du défenseur français (capable d’évoluer en tant qu’arrière central et latéral) n’est pas cité par hasard par le board mancunien. Arrivé au Stade rennais en 1999, le frère cadet de Nicolas progresse chaque année un peu plus, au point de devenir un membre récurrent de l’équipe de France espoirs. Et c’est justement lors du championnat d’Europe, qui se déroule en Suisse en mai 2002 et où les Bleus de Domenech se hissent jusqu’en finale, que le Breton tape dans l’œil de United. « À l’époque, l’agent de Julien, Bruno Satin, était très proche de Ferguson. Il travaillait un peu pour lui en France et il avait facilité l’intérêt de Manchester United pour Julien. Il l’a même un peu poussé » , se remémore Pierre Dréossi, manager général du club rennais à l’époque. Les premiers contacts se nouent dans la foulée de l’Euro et l’intérêt du club anglais se fait de plus en plus pressant début août. Grandement séduit à l’idée de rejoindre Manchester, Escudé ne cache pas sa joie dans la presse : « C’est une chance incroyable pour moi. »
Vie de chien
Bruno Satin, alors agent du défenseur de vingt-trois ans, se souvient d’un dossier traité comme parmi tant d’autres : « Les discussions se déroulaient bien avec David Gill, le chief executive de Manchester United. Il y avait déjà eu deux réunions avec les responsables de Manchester United et le dossier avançait gentiment. » Pierre Dréossi, lui, affirme que les négociations étaient plus ardues que cela, notamment en raison de l’offre insuffisante transmise par les Red Devils. « J’avais rencontré monsieur Ferguson à l’aéroport, à Paris, et on avait mangé ensemble, mais l’offre était loin de ce qu’on pouvait en attendre d’un club comme Manchester, explique-t-il. À l’époque, je n’ai pas senti un intérêt vraiment poussé de la part de Manchester United pour Julien. Si l’offre avait été conséquente… Au départ, ils étaient seulement prêts à mettre deux millions, deux millions et demi d’euros. Même si les transferts n’étaient pas astronomiques dans le passé, on ne pouvait pas donner notre accord sur un tel tarif. » United montera jusqu’à quatre millions d’euros. En vain. Toutes les sphères du club breton, de l’entraîneur Philippe Bergeroo au président Emmanuel Cueff, s’opposent fermement au départ de leur joueur. Ce qui pousse ce dernier à aller au bras de fer en séchant l’entraînement courant août. « Je suis quelqu’un de correct. Je leur ai expliqué que je n’étais pas très bien, que j’avais la tête ailleurs, se justifiait en toute honnêteté le natif de Chartres. Et, d’ailleurs, Philippe Bergeroo nous a dit en début de saison qu’il préférait voir à l’entraînement des mecs à 100%. Ce n’est pas mon cas. Je suis fatigué, je ne pense qu’à ça. Je suis déterminé, je veux aller à Manchester United. Il faut désormais que les trois parties s’entendent. Je suis confiant. »
Si Escudé ne s’inquiète pas outre mesure, c’est que la posture du club breton est connue : faire mine de se montrer inflexible en espérant faire monter les enchères. « Rennes n’était pas forcément vendeur. Mais bon, vous savez comment ça se passe… Quand vous voulez obtenir de meilleures conditions, vous n’êtes jamais vendeur, témoigne Satin. Vous dites toujours que non, quand vous avez besoin d’un joueur. Ça fait partie de la tactique de cette période-là. » Mais le doux rêve caressé par l’Espoir va s’écrouler à cause d’un coup du sort. D’une promenade anodine avec son chien dans la rue, le 18 août, pour être plus précis. « J’ai trébuché sur mon chien, regrettait, amer, le Français. Mon genou gauche est touché, et j’ai un petit problème au ligament interne. C’est vraiment rageant. Je n’avais vraiment pas besoin de ça. » Diagnostic : dissension du ligament interne du genou, attelle, béquilles et trois semaines d’arrêt. Le tournant de l’affaire. « À partir de là, le dossier s’est éteint de lui-même… » , souffle Satin. Julien Escudé aura beau rester en contact direct avec Ferguson et toujours croire en un présumé transfert, Manchester United – qui devait pourtant composer avec les blessures de Ferdinand, Wes Brown et Gary Neville au début de saison – ne transmettra aucune nouvelle offre à Rennes avant le 25 août, deadline fixée par le club français. Un regret immense pour Escudé. « Naturellement, il a été frustré. C’était un coup sur la tête pour lui. Mais quand il s’agit de blessure, on ne choisit jamais le moment, jamais l’endroit. C’est souvent en fonction du timing que les choses peuvent se faire et, là, ça n’a pas été le cas… » , conclut Satin. Au cours de la saison 2002/2003, les scouts mancuniens continueront de superviser à plusieurs reprises le Rennais. Sans pour autant qu’une offre ne soit transmise. C’est pourquoi il ne restera pas insensible aux avances de l’Ajax Amsterdam, en juillet 2003, qui fera de lui le premier Français dans l’histoire du club. Prévenu des aléas de l’existence, Escudé ne s’était, cette fois, pas aventuré à aller promener son chien avant que le transfert ne soit finalisé.
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Par Romain Duchâteau
Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Julien Escudé, extraits de L'Équipe.