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L’État doit-il racheter les droits télés du foot français?
La situation du foot français est exceptionnelle. Totalement dépendant des droits télé, encore davantage tant que les stades sonnent toujours creux, le voilà pour le moment sans diffuseur. Et si l’État, qui a tant donné au foot pro ces derniers temps, en profitait pour les racheter, en les préemptant en quelque sorte, pour en assurer la diffusion auprès du plus grand nombre sur le service public audiovisuel ? L’idée semble folle, voire incongrue ? Comme toutes les révolutions...
Il faut savoir se saisir des circonstances hors normes. La Covid-19 a rendu le football encore plus – ou de nouveau – dépendant de l’aide de l’État. La crise ouverte par le fiasco de Mediapro a révélé non seulement la faiblesse du modèle de développement économique du foot français, mais aussi l’incompétence de ses dirigeants, y compris en raisonnant en termes purement capitalistes. Enfin et surtout, le foot tricolore, Ligue 1 et Ligue 2, est menacé d’invisibilité. Car rien en fait n’oblige Canal+ à cracher au bassinet, surtout qu’il a déjà ramené la Premier League, puis la Ligue des champions dans son escarcelle. Qui regardera encore le foot quand il n’y aura plus qu’un écran noir ? Cette menace de black-out peut sembler improbable. Mais qui aurait cru que nous en serions là en décembre ?
Le foot à la télé, un droit ?
Alors pourquoi est-ce que l’État, la République, ne récupérerait-il pas, comme ce fut le cas en Argentine, certes sous l’ère péroniste, les droits télé pour assurer la diffusions en « clair » de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ? Bien sûr en préemptant au quart du prix du tarot actuel, comme semble apparemment déjà le proposer Canal. Les sommes déboursées par Bercy – dispositif sur le chômage partiel, fonds de soutien, etc. – pour maintenir nos clubs pros la tête hors de l’eau peuvent largement être considérées comme des avances. Ce serait aussi l’occasion de relever la taxe Buffet pour venir un peu plus en aide au foot amateur. Naturellement, de nombreux obstacles existent. Le droit déjà : est-ce simplement possible, aux conditions énoncées ? Mais après, des lois se sont bien votées dans l’urgence, ce texte risque moins de provoquer de manifestations que les atteintes liberticides qu’enveloppe la loi relative à la « sécurité globale » . Ensuite, de belles âmes argueront sûrement que l’État n’a pas dépensé l’argent public et des contribuables dans un pareil usage, forme déguisée de subvention, que pourrait retoquer la Commission européenne comme une entrave à la concurrence.
On rétorquera fort aisément que l’on soutient largement, notamment par exemple dans le cinéma ou le théâtre, ministère ou collectivité, nombre de créations ou de boîtes de prod’ qui, après tout, elles aussi, ne sont pas franchement des associations à but non lucratif. Enfin, d’un point de vue social, finalement, cela ne constituerait-il pas une certaine économie pour nombre de nos concitoyens qui ne seraient plus obligés de surpayer leur droit de regarder un Lens-Nîmes (12,5 euros pour l’année en ne tenant compte que des foyers imposables, contre 45 par mois pour avoir accès à tous les matchs) ? Enfin, le transfert au service public permettrait un accès à ce spectacle aux personnes les plus démunies, cette « pauvreté » qui ne dit jamais son nom chez nous, et qui dans le contexte actuel, avec la crise qui se dessine en 2021 en outre, aurait légitimement bien le droit à ce petit plaisir. Pour conclure, dans le même temps, une telle décision du gouvernement réglerait la question du streaming illégal.
Sauver le foot du black-out ?
Car voilà bien le dernier enjeu. Le foot est devenu non seulement cher, mais surtout inaccessible dans un cadre « légal » . L’épisode Téléfoot en est juste une illustration extrême. Si la passion peut se vivre par procuration sur les réseaux sociaux, le nombre de personnes qui peuvent effectivement le regarder diminue. Sans compter que pour le moment, et nous ignorons ce que l’avenir nous réserve, il demeure impossible d’aller au stade. Des matchs de Ligue 1 et Ligue 2 en libre accès, c’est aussi une manière de garantir son assise populaire autrement que par le pari sportif et FIFA 21. C’est en faire un bien commun. La LFP pleurera comme toujours. Mais, quitte à recevoir autant d’argent de nos poches, il serait temps que nous récupérions, nous quidams devant notre feuille d’impôts, un petit retour sur investissement.
Par Nicolas Kssis-Martov