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L’Estrémadure, parent pauvre du football espagnol
Le temps d'une soirée, le modeste club de Villanovense s'apprête à découvrir les strass et les paillettes d'une réception du grand Barcelone. Une rencontre ô combien déséquilibrée qui permet à la région d'Estrémadure d'exister sur l'échiquier du football espagnol.
Les pots de peinture et les pinceaux jonchent encore les abords d’un estadio Romero Cuerda entouré par des tribunes en pré-fabriqué. Peu habituée aux ravalements de façade, l’antre de Villanueva de la Serena se refait une beauté pour la venue du dernier champion d’Espagne, d’Europe et, bientôt, du monde. En soi, la fameuse magie de la coupe revisitée à la sauce espagnole. Pour l’occasion, tout le village d’Estrémadure se donne la main et se serre les coudes pour que le grand FC Barcelone se sente chez lui. Ou presque. « Le club et la ville font tout ce qu’ils peuvent pour que le Barça ne manque de rien » , assure Anxo, l’un des vétérans de l’équipe. Ce goût de l’hospitalité s’accompagne d’un rondelet chèque de 300 000 euros, somme remise par la RFEF au club de Villanovense pour affronter le FCB en seizième de finale aller de Copa del Rey. Une brindille pour les Blaugrana, mais un trésor pour ce pensionnaire de Segunda B – troisième échelon national. À l’instar des autres clubs d’Estrémadure, il vivote tant bien que mal au gré des problèmes économiques, et s’extasie grâce à de rares exploits sportifs en coupe.
Aucun club pro, aucune infrastructure
Pour beaucoup, l’Estrémadure renvoie à la pata negra. Ce jambon star – le meilleur du Royaume – fait même la fierté de ses habitants. Ce qui n’est pas le cas de son football. Car depuis plus de seize ans, cette région coincée entre l’Andalousie et le Portugal ne connaît plus de pensionnaire dans l’élite espagnole. Pis, « cela fait sept, huit ans qu’il n’y a plus de club professionnel » , enfonce le clou Javier, dirigeant de la Federacion Extremeña de Futbol. Pour preuve, le CF Extremadura, fanion mythique de la région, a quitté la Liga en 1999. Depuis, il n’a cessé de dégringoler dans les bas-fonds du ballon rond avant de disparaître définitivement à l’été 2010. Aucun club n’a pris cette relève professionnelle. « Nous avons trois clubs en Segunda B, ce qui correspond au premier niveau semi-professionnel, relance Javier, dont le ton, résigné, ne cache pas une certaine nostalgie. Mais nous ne disposons d’aucune infrastructure professionnelle, même pas d’un centre de formation à Cáceres ou Badajoz. » Pour autant, le vivier de footballeurs en herbe est bien présent, la passion pour le ballon rond également.
La venue du FC Barcelone en terre estrémègne fait donc bouillir les aficionados de football de la région. La fierté et l’attente raisonnent ainsi dans la voix de chaque bénévole du club de Villanovense. Heureusement, puisque l’enceinte locale n’est pas aux normes. Son président, José Maria Tapia, lâche ainsi que « nous sommes des gens altruistes, nous avons tous un travail et nous le quittons beaucoup ces derniers temps pour pouvoir résoudre tous les problèmes qui surgissent à chaque minute. » Entre la rénovation des vestiaires et la pose de 8000 strapontins provisoires – l’enceinte compte 3000 places et accueillera 11 000 spectateurs pour la venue blaugrana -, l’agitation est grande, mais n’empêche un certain sens de la mesure. « Nous voulons seulement que les gens profitent de cet événement » , reprend le président de l’entité qui a mis les petits plats dans les grands pour le repas entre les deux directions : « Il y aura plein de bonnes choses de chez nous à manger. Je veux que la direction barcelonaise garde un grand souvenir gastronomique de sa venue. » Plus que dans le sportif, Villanovense veut faire exister sa région le temps d’une journée.
« Il manque beaucoup d’argent… »
À l’instar de son football, c’est toute l’Estrémadure qui peine à se relever de la crise économique qui a frappé l’Espagne à partir de 2008. Région la plus rurale du pays, elle compte un taux de chômage hallucinant (30% de la population, et jusqu’à 60% chez les jeunes) et une croissance aux abonnés absents (-3% par an)… Des chiffres qui parlent, inquiètent et se retrouvent dans le ballon rond régional. « Il manque beaucoup d’argent… regrette ce même dirigeant de la ligue régionale. Même lorsque nous sortons des bons joueurs, nous ne pouvons pas les retenir quelques années. Ils partent tous très jeunes, plus généralement pour Madrid et Séville. » Car l’engouement pour le football existe bien. De ses 23 000 licenciés sont déjà sortis Fernando Morientes et Óliver Torres, les deux fleurons du ballon estrémègne. Les joueurs qui peuplent les clubs locaux, eux, ne viennent généralement pas du coin. Comme Jorge Pina, ancien de Villanovense aujourd’hui à Arroyo : « Pendant quelques saisons, j’ai été au chômage avant de rebondir ici. La situation est précaire dans toute l’Espagne. Mais ici, c’est encore plus compliqué. » Battre le Barça relèverait presque d’une partie de plaisir.
Par Robin Delorme, à Madrid