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L’Espagne, une arnaque ?
Le plus beau football, les meilleurs joueurs et la meilleure mentalité : l’idéologie espagnole a envahi l’Europe. Sauf que les Rouges gagnent leurs match à l’arrache et sans briller. Analyse.
Avant de jouer contre l’Espagne, il faut s’incliner devant le Saint-Sacrement. Blanc : « J’aime beaucoup le style de jeu de l’Espagne. (…) Ils ont de très bons joueurs, ils jouent bien et les critiques envers eux ne me semblent pas justifiées. » Löw : « Footballistiquement l’Espagne, c’est merveilleux. Ils dominent tout à la perfection, du plus élémentaire au moindre détail. » Certains nuancent. Bilić : « L’Espagne est une grande équipe, ce sont des grands champions et les favoris légitimes de l’Euro. Mais ils ne gagneront pas le tournoi en fumant un cigare. » Mais en reviennent toujours à la même conclusion. Capello : « L’Espagne est l’équipe qui joue le mieux au foot. Même s’il lui manque quelqu’un comme Messi. » Maître Capello a mis le doigt dans la blessure. L’Espagne a beau être la meilleure équipe du monde, elle peine à gagner ses matchs depuis le Mondial. Contre l’Italie, elle disparaît pendant une demi-heure, contre la Croatie, elle passe à deux doigts du fiasco et contre la France, elle frappe deux fois au but. Du coup, après les matchs, il reste comme un arrière-goût d’inachevé. C’était donc ça la meilleure formation de la planète ? L’Espagne est prenable, il suffit d’en être convaincu.
Del Bosque est plus cruyffien que Guardiola. « Dans le football, la seule arme qui existe pour attaquer, c’est le ballon. Si c’est toi qui l’a, personne ne peut t’attaquer. Voilà pourquoi la possession est une arme, mais c’est aussi la meilleure défense » , explique le caudillo hollandais. Lorsqu’il révolutionne le Barça dans les années 90, il lui apprend à gérer l’espace, la circulation et la domination. Il lui apprend surtout à ne plus souffrir et à gérer un match. Plus le ballon traîne, moins l’adversaire a de possibilités. Si l’Espagne de Del Bosque a besoin du ballon dans les pieds, c’est surtout pour ne pas souffrir. Sa virtuosité collective frise l’onanisme, mais remplit entièrement sa fonction : hypnotiser son adversaire. Contre la France (Xabi Alonso) et la Croatie (Navas), le but est arrivé dans une situation de contre et non d’attaque placée. Mais elle l’emporte toujours parce que son secret est ailleurs. L’Espagne ne gagne pas, elle convainc.
La bataille des idées
L’image ultra-offensive et celle d’Eden sportif qui accompagnent les Espagnols sont éloignées de la réalité. Depuis le début de l’Euro, la Selección pose plus de questions qu’elle n’en résout (9 ou pas de 9, double pivot ou simple pivot ?). En outre, les Espagnols sont les champions du monde les moins productifs de l’histoire. Ils n’ont eu besoin que de 8 buts, mais de plus de 60% de possession pour soulever l’or. Jamais une équipe n’a eu besoin de toucher autant le ballon pour se procurer si peu d’occasions. Et c’est bien là le problème. L’Espagne a beau être une libre interprétation du Barça (6 joueurs sur 11 contre la France), le jeu, lui, n’est pas catalan. Là où le Barça s’appuie sur ses ailiers (Tello, Pedro, Cuenca, Alvés, Sánchez), l’Espagne de Del Bosque privilégie la stabilité au milieu. Elle perd donc en mobilité, en profondeur et en créativité. La supériorité espagnole n’est plus technique. Les Croates, les Italiens ou même, en 2010, les Chiliens et (presque) les Hollandais ont su faire peur aux champions. Mais le romantisme de son jeu fascine et ramollit les consciences.
Car admirer, c’est déjà succomber. Mourinho a bien compris que, pour battre le Barça et son idéologie, il faut d’abord cesser de respecter son football : « Si tu joues à la même chose qu’eux, tu tombes dans leur piège. » Le Barça et l’Espagne seraient deux interprétations de la même idée : « Le problème avec eux, maintenant, c’est que les adversaires leur donnent le jeu qu’ils attendent. Tous les matchs sont beaux, gentils, à la fin tout le monde s’embrasse et le monde est parfait. (…) Les rivaux se rendent compte trop tard du piège dans lequel ils sont tombés. » Le foot espagnol est devenu la référence absolue, parce qu’il résout une équation qu’il est le seul à se poser : l’esthétique et l’efficacité. Or, « le Barça, c’est une façon de jouer au foot, il y en a plein d’autres » , enchaîne le Mou, champion d’Espagne. Si le Portugal colle une danse en amical, en 2010, aux Espagnols (4-0), c’est parce qu’il ne renonce pas à ses armes. Sa défense agressive et ses ailiers rapides démolissent le bloc espagnol. Deux ans plus tard, ces deux-là se retrouvent en demi-finale. Et si le Portugal en finissait avec l’Espagne ?
Par Thibaud Leplat, à Madrid