- Euro 2020
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- Espagne-Suède (0-0)
L’Espagne, la passe aveugle
Face à la Suède pour son entrée en lice à l’Euro 2020, l’Espagne a eu la balle dans ses pieds pendant 86% du temps, a réalisé 756 passes de plus que son adversaire. Mais les hommes de Luis Enrique n’ont pas pu faire mieux que match nul. Et il n’y a pas grand-chose à redire.
Il est toujours bon de trouver un coupable pour expliquer une mauvaise performance. Et en Espagne, tous les regards vont se porter sur Álvaro Morata, accusé d’avoir vendangé quelques occasions. À moins que ce soit de la faute du portier suédois Robin Olsen qui a enfilé le costume de Manuel Neuer le temps d’une soirée. Ou tout simplement de la faute à pas de chance. C’est en tout cas ce que vont se dire les Espagnols qui vont s’appuyer sur leurs chiffres pour dérouler leur argumentaire. Il faut dire que ceux-ci jouent en leur faveur. Que ce soit la possession de balle (86% pour la Roja), leurs 419 passes réussies en première période – un record à l’Euro -, ou encore les 89 passes complétées par la Suède – la première équipe à en réussir moins de 100 à l’Euro -, soit moins qu’Aymeric Laporte, Jordi Alba, Pau Torres, Koke, Pedri et Marcos Llorente. Pour autant, Luis Enrique peut-il lâcher le classique « si on rejoue ce match 100 fois on le gagne 99 fois » ? Eh bien non. Car faire des passes dans le rond central entre ses quatre défenseurs et ses trois milieux de terrain n’a jamais fait gagner un match. Et l’Espagne devrait désormais le savoir.
Souviens-toi l’été 2018
Le 4 juin dernier, à l’occasion du premier match de préparation à cet Euro de l’Espagne face au Portugal, la Roja avait déjà monopolisé le ballon pour se faire des passes latérales. Et le score avait déjà été de 0-0. Cela fait donc deux matchs sur les trois derniers disputés par l’Espagne que cette dernière n’a pas marqué, ce qui ne lui était arrivé que deux fois sur ses 51 rencontres précédentes. Et si les coéquipiers de Cristiano Ronaldo avaient légèrement plus joué au foot que les potes d’Alexander Isak, le bilan et le résultat étaient similaires. Et là encore, c’est Álvaro Morata qui avait été désigné coupable après avoir mangé la feuille. Pourtant, l’attaquant prêté à la Juventus n’était pas du voyage en Russie pour la Coupe du monde 2018. Il n’a donc pas participé à l’élimination de son pays en huitièmes de finale contre la Russie (1-1, 4-3 tab) au terme d’une rencontre où l’Espagne avait réalisé 1029 passes. Un record, là aussi. Et si les Russes avaient eu la gentillesse de marquer contre leur camp, ce n’est pas le cas des Suédois cinq ans plus tard, la bande d’Olsen pouvant même regretter d’avoir manqué le hold-up sur un loupé de Marcus Berg, trop emprunté pour transformer l’offrande du brillant Isak à l’heure de jeu.
Luis Enrique, au bon souvenir du Barça
Finalement, les sélectionneurs se succèdent – Vicente del Bosque en 2016, Fernando Hierro en 2018, Luis Enrique en 2021 – et le problème reste toujours le même pour l’Espagne qui reste enfermée dans son schéma de jeu. Un plan qui peut se montrer sublime lorsque toutes les étoiles sont alignées ET que l’équipe adverse joue le jeu, à l’image de cette démonstration contre l’Allemagne en Ligue des nations en novembre 2020 (6-0). Une rencontre lors de laquelle Álvaro Morata avait d’ailleurs ouvert le score, pour ceux qui pensent encore qu’il est la cause des maux de cette Espagne. Problème, 99% du temps, la Roja rencontre une équipe qui passe son temps à défendre et ne laisse ainsi pas d’espaces derrière. Et face à ce bloc, l’Espagne semble perdue et use de ses passes latérales à 45 mètres du but adverse, attendant les arrêts de jeu pour enfin daigner envoyer des centres dans la boîte.
Il ne paraît alors pas difficile de contrarier les plans des potes de Jordi Alba : il suffit juste de respecter son poste et d’envoyer des pralines devant dès que le cuir passe trop près de votre surface. Preuve en est avec les derniers résultats de l’Espagne, qui a dû attendre la 92e minute pour s’imposer contre la Géorgie en qualification à la Coupe du monde 2022, et qui a partagé les points avec la Grèce (1-1, but de… Morata). En arrivant au Barça en 2014, Luis Enrique avait su redonner un second souffle à des Catalans qui s’étaient, eux aussi, perdu dans un jeu de passes stérile. Comment ? Avec un jeu plus direct et des contres joués à toute vitesse grâce à sa MSN (Messi, Suárez, Neymar) alors au sommet de son art. Il n’a plus qu’à tenter de reproduire ce schéma avec sa MST (Morata, Sarabia, Torres). À moins que ce plan de jeu plus direct ne soit pas transposable à l’Espagne.
Par Steven Oliveira