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Les yeux dans l’Euro

Par Aymeric Le Gall
7 minutes
Les yeux dans l’Euro

Instaurée par l'UEFA lors de l'Euro 2012 en Ukraine et en Pologne, ainsi que dans de nombreux championnats européens, l'audio-description a fait ses premiers pas dans les stades de l'Hexagone début juin. Pour le plus grand bonheur des supporters de foot aveugles ou malvoyants et des jeunes commentateurs bénévoles qui apprennent le métier sur le tas.

« Il y a deux choses qui ont changé ma vie depuis que je suis malvoyant, c’est le cécifoot et l’audiodescription. » Kévin Vanderborght, 32 ans, est un supporter des Diables rouges comblé. Pas tant grâce au parcours moyen de la sélection belge, salement sortie de l’Euro par le Pays de Galles, en quarts de finale, mais plutôt grâce au système d’audio-description, mis en place par l’UEFA dans les stades français durant la compétition. Comme son nom l’indique, l’audio-description permet à des personnes aveugles ou malvoyantes de pouvoir se rendre dans les stades et de suivre les rencontres comme tout bon supporter, grâce à des commentateurs un peu spéciaux qui leur soufflent dans l’oreillette ce que leurs yeux ne peuvent pas voir. « En tout, j’ai dû voir une dizaine de matchs, notamment tous ceux des Diables rouges, raconte Kévin. Je dois dire que s’il n’y avait pas eu l’audio-description je n’y serais pas allé. »

Partenaire de l’UEFA, l’association CAFE (Centre pour l’Accès des stades de Football en Europe), en collaboration avec la fédérations des Aveugles de France, a été chargée de mettre en place un système d’audio-description qui a déjà fait ses preuves en d’autres lieux par le passé. « On a développé ça en Belgique, pas uniquement pour le football, mais aussi pour le basket et l’athlétisme, explique Jean-Marc Streel, journaliste belge à la RTBF qui est impliqué depuis de nombreuses années dans l’accessibilité du sport aux personnes déficientes visuelles. Après ça, on a aussi eu l’occasion de partir au Brésil lors de la Coupe du monde 2014 afin d’essayer ce système lors d’une grande compétition. Du coup, quand on a appris que l’UEFA avait lancé une demande à ce sujet, on a immédiatement répondu à un appel d’offre et notre dossier a été retenu. »

« Le basique ne suffit pas »

Voilà comment Julien Ronca, 21 ans, étudiant en Licence de journalisme à l’IEJ de Marseille, s’est retrouvé à jouer les apprentis commentateurs, lors de 6 matchs de l’Euro 2016. « Notre école a reçu une invitation de la part de CAFE et je n’ai pas hésité un seul instant à postuler. J’ai direct envoyé mon CV pour être sûr de ne pas me faire piquer la place ! Mon rêve de gosse c’est d’être journaliste sportif, plus particulièrement à la radio et pourquoi pas en tant que commentateur. Du coup, je vis ça comme une première expérience, ça me permet de toucher du doigt un milieu qui me passionne. » « Pour ces étudiants, c’est une expérience assez fantastique puisque c’est l’occasion pour eux de faire leurs premiers pas dans le monde du commentaire, embraye Jean-Marc Streel. En plus ils sont tous très motivés, ils ont un vrai potentiel. Le simple fait de faire la démarche, c’est déjà quelque chose d’important et de significatif. »

En tout, ce ne sont pas moins de 40 potentiels futurs Eugène Saccomano (garçons et filles) à avoir été retenus, en tant que bénévoles, pour mener à bien cette expérience unique en France. Après deux jours de formation à Paris, suivi d’un exercice pratique lors d’un match de fin de saison en Ligue 1 (pour Julien, un OM-Reims au stade Vélodrome), les étudiants étaient fin prêts pour se jeter dans le grand bain. Non sans une dose de stress, bien légitime : « J’ai ressenti un peu la pression lors de mon premier match à l’Euro, avoue Julien. On se demande si on va être à la hauteur, c’est normal. L’exercice n’est pas simple, c’est différent du commentaire classique de radio. On ne peut pas vraiment avoir de blanc à l’antenne, il faut faire vivre le match en permanence. Bon, l’avantage c’est qu’on bosse en binôme, ce qui facilite un peu la tâche. Et puis les gens qui nous écoutent sont de grands connaisseurs de foot, certains pratiquent le cécifoot et on se doit donc d’être très exigeants dans nos commentaires, le basique ne suffit pas. »

Les cheveux de Pogba, les chaussures de Chiellini et Canal + en crypté

Si ce système n’avait jusqu’ici jamais été testé dans les enceintes françaises, cela fait déjà un moment que la Belgique a sauté le pas. Une initiative qui ravit Kévin Vanderborght : « Je suis supporter de Charleroi et, là-bas, je bénéficie de ça depuis un moment, ce qui me permet de voir, enfin… voir, c’est un bien grand mot, mais disons de percevoir les matchs de mon équipe comme Monsieur Tout le monde. Il suffit d’avoir sa petite radio, se connecter à son portable sur la bande FM prévue à cet effet ou demander un casque à un bénévole. C’est 1000 fois mieux que de suivre un match à la radio. Là on nous quadrille le terrain par zone (A, B, C, D) et c’est super important, car ça nous permet de suivre à la seconde le jeu et son évolution. Et puis parfois à la radio les commentateurs s’emballent et ne sont pas tout à fait honnêtes. Ils peuvent dire qu’un ballon est passé à ras du piquet, alors qu’en réalité il était à 50 mètres des buts. En plus du match, les commentateurs nous décrivent toute l’ambiance dans les moindres détails, on va nous parler de la coupe de cheveux de Pogba, de ce qu’il y a écrit sur les banderoles des supporters, leur gestuelle, on nous dit aussi que Chiellini porte des chaussures de couleurs différentes. C’est très pointu. L’audio-description remplace vraiment notre handicap visuel. »

Ce Belge de 32 ans a commencé à souffrir d’un problème de vision à l’âge de 6 ou 7 ans, mais ce n’est qu’à l’adolescence qu’il a véritablement pris conscience de l’ampleur du phénomène. « Je souffre d’une forte rétinite pigmentaire prononcée. En gros, pour résumer, je dis souvent que je vois comme quand on regarde Canal + en crypté ! Comme je suis un fan de foot depuis que je suis tout petit, ce handicap a été assez dur à vivre et à accepter. Vers 15-16 ans, quand ça s’est aggravé, ça a finalement été un handicap plus mental que visuel, dans le sens où je refusais la réalité. Jusque-là je jouais au foot, j’allais au stade supporter mon équipe, et quand j’ai dû arrêter tout ça, ça a été la fin du monde… Le foot c’est toute ma vie et à ce moment-là, en exagérant à peine, je suis tombé dans une petite dépression, je ne sortais plus de chez moi. »

Mention Très Bien pour les commentateurs

Après une période critique durant laquelle il a pris beaucoup de poids, ce membre de la BAC, la Brigade Acharnée de Charleroi, a finalement su trouver les ressources nécessaires pour surmonter ce handicap visuel : « On m’avait proposé un jour d’intégrer une équipe de cécifoot, mais j’avais décliné l’offre parce je ne voulais pas faire partie d’une équipe dite  » handicapée ». Mais un jour, j’ai regardé la finale de cécifoot aux JO paralympiques de 2012 entre la France et le Brésil et j’ai été impressionné par la qualité du jeu, le niveau technique. J’ai même fini par oublier que c’était du cécifoot. Après ça, j’ai sauté le pas et je me suis inscrit. » Bien lui en a pris puisque Kévin est aujourd’hui l’attaquant de l’équipe de cécifoot de Charleroi ainsi que le buteur attitré de la sélection des Diables rouges.

Mais si la pratique du foot est une chose, le goût du stade et de ses ambiances en est une autre. Ainsi, grâce à l’ADC installée dans certains stades belges, Kévin a pu de nouveau vivre l’expérience du foot depuis les gradins. Dès lors, qui de mieux que lui pour juger de la qualité des commentaires lors de cet Euro 2016 ? Craignant que cette première se solde par un échec (ce qui, en soit, aurait été tout à fait excusable), le voisin du plat pays avoue avoir été « bluffé » par la performance de la bleusaille estudiantine : « On sent que ce sont de vrais passionnés, ils ont vraiment bossé leur truc à fond. Le résultat est très positif. La seule chose, pour les matchs de la Belgique, c’est la prononciation un peu bancale des noms de nos joueurs ! (rires) » Désormais rôdé à l’exercice, Julien espère pouvoir réitérer l’expérience dès la saison prochaine en Ligue 1. Qu’il se rassure, ce système devrait perdurer dans les stades de l’Hexagone, puisque les instigateurs du projet ont décidé de faire don du matériel de diffusion à chaque stade hôte après la phase finale. Beau geste.

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Par Aymeric Le Gall

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