Les Vieux du Stade : L’expo qui défie le temps

À première vue, cela aurait tout d’un projet caricatural où les Dieux du stade, le célèbre calendrier annuel lancé il y a vingt ans par le club de rugby du Stade français, seraient désormais des vétérans d’un club de troisième division district de la région, adoptant les mêmes positions osées face à un photographe. Et la réalité se trouve aussi proche qu’éloignée de cette hypothèse. « Pour être honnête, tout part d’une blague sur le jeu de mots entre les Dieux du stade et les Vieux du stade, explique avec le sourire Antoine Clipet, membre du Dynamo de l’Escaut depuis sa création en 2019 et à l’origine de cette idée. De là, on a essayé d’y mettre quelque chose et on s’est dit que ce serait super intéressant de mettre à l’honneur les vieux que l’on placerait en parallèle des Dieux du stade qui représentent plus la jeunesse, la force. Mais derrière le terme vieux, il y a du respect. » Ceux qui se déplaceront au centre culturel l’Imaginaire de Douchy-les-Mines entre le 12 et le 19 novembre pourront ainsi admirer les clichés de personnes âgées, anciens bénévoles de club ou supporters du Valenciennes Football Club mis à l’honneur. Un projet qui permet de lier football et culture, deux univers qui s’ignorent souvent, afin de mettre en lumière le supportérisme et les valeurs populaires.

Éducation populaire et mixité sociale

Une idée mise sur pied par le Dynamo de l’Escaut, habitué à ce genre de coups. « On se revendique comme une éducation populaire par le football, détaille Mehdi, secrétaire général du Dynamo. Notre but premier est d’utiliser le foot pour réfléchir, débattre et échanger. Et en réalisant cette expo, on mélange deux mondes, le football et l’art de la photographie, pour inciter les gens qui fréquentent les stades à aller dans des lieux de culture, et vice versa. » Un point de vue partagé par Nicolas Delfort, photographe du projet et membre de l’association Losange noir qui documente, valorise et partage la passion de l’audiovisuel dans tout le bassin minier. « Même si je ne suis pas fan de foot, j’ai toujours apprécié les boulots photographiques sur les supporters et les ultras. Dès que ça touche aux micro-communautés, ça me passionne. D’autant que là, on touche un public que l’on voit très peu habituellement. » Et le choix des profils, justement ? « De base, on souhaitait partir sur onze portraits, comme un XI au football, reprend Mehdi. Mais on a eu plus de succès que ce que l’on pensait, alors nous avons décidé de grimper à 23 profils, comme une liste pour les tournois internationaux. »

23 anciens bénévoles ou supporters qui proviennent tous de mondes différents. « La première personne que l’on a rencontrée est un ancien expert-comptable, détaille Mehdi. On a aussi eu un magistrat, un ouvrier, un salarié du club. Le but était également de montrer que les barrières sociales s’effondrent avec le football. » Nicolas enchaîne. « La mixité sociale serait le terme adéquat. Mais au-delà du foot, c’est l’envie d’être réunis qui m’a interpellé, le fait de se mélanger. » Pour Antoine, c’est surtout « l’ordinaire de ces gens qui est frappant. Ces bénévoles qui font tout et qui tiennent à bout de bras les clubs amateurs. Ça m’a vraiment touché. »

« Il était tellement ému de parler d’un arbitre si intègre et respectueux qu’il en a pleuré »

Des gens ordinaires certes, mais aux histoires parfois extraordinaires. « Lors de la démolition du stade Nungesser(l’ancien antre du VAFC, NDLR), certains sont allés négocier quelques brouettes de briques aux ouvriers pour les conserver en souvenir comme totem, raconte Nicolas. Un autre nous a raconté qu’ils avaient enfermé un arbitre dans son vestiaire une fois. Ce qui est cocasse, c’est que ce souvenir représentait une certaine forme de hooliganisme, c’était l’extrême pour eux, mais ils en rigolaient derrière. Forcément, quand ils mettent ça en perspective avec les violences actuelles dans les stades, ils ne se retrouvent pas dans le football d’aujourd’hui. » Ces vieux racontent ainsi, à travers leurs clichés et leurs témoignages, la passion brute du foot qui ne les a jamais quittés. « C’est le point d’ancrage, entre tous ces gens, ils auraient pu nous parler foot pendant des heures, promet Antoine. Une autre anecdote confiée par Nicolas étaye ces propos. « La première personne que j’ai rencontrée avait 40 ans d’abonnement au stade, mais ne dégageait rien du cliché du supporter. Seulement, en replongeant dans ses souvenirs, il était tellement ému de parler d’un arbitre si intègre et respectueux de son sport qu’il en a carrément pleuré ! Là, je me suis dit :« Ah ouais, on va vraiment aller sur cette expo avec des gens butés de leurs passion. »  »

Parmi ces vieux à l’honneur, Lambert Mercier, 78 ans et très reconnaissant du travail effectué par le Dynamo de l’Escaut. « Que quelqu’un fasse les efforts et nous retrouve pour évoquer des souvenirs coincés dans un coin de la tête, c’est vraiment formidable, s’exclame celui qui était responsable de l’éclairage du stade Nungesser pendant quinze ans, jusqu’en 1997. En plus, c’est porté par des jeunes qui se donnent, c’est vraiment chouette. » Pour Lambert, l’histoire avec Valenciennes a débuté il y a plus de 70 ans à l’école de foot. « J’ai joué dans les équipes de jeunes de 10 ans jusqu’à mon départ à l’armée vers 19 ans. J’ai pu taper le ballon avec des gars comme Daniel Cordier(ancien joueur pro de VA sur la période 1960-1967, NDLR)ou Jean-Marie Valnet(1963-1969). À cette époque, VA marchait bien mieux qu’aujourd’hui, on avait des frontaliers belges qui venaient dans l’effectif, c’était super. » Aussi génial que son métier au cœur de Nungesser, parfois exigeant, mais qu’il se remémore avec plaisir. « C’était la course à chaque fois, et suivant la panne, c’était parfois la débrouille. Aujourd’hui, avec la technologie moderne, c’est plus simple, mais à l’époque, on bloquait les bobines cramées avec des vieux manches à balais calés avec le mur d’en face. » Le système D, y compris lorsqu’il fallait grimper tout en haut des pylônes pour nettoyer les projecteurs. « Là, on était plutôt une équipe de deux ou trois gars dans la semaine pour le faire. Il y avait une centaine de projecteurs qu’il fallait retourner, frotter et remettre en place. »

Pour le Dynamo de l’Escaut, véhiculer cette mémoire détenue par les anciens est également un objectif ciblé par cette exposition. « Il y a un point important à souligner : on ne voit pas vieillir nos légendes, insiste Mehdi. « Hormis les grandes stars qui restent médiatisées, les autres tombent souvent dans l’oubli, comme Serge Masnaghetti qui a marqué sur 13 journées consécutives en D1, un record (en 1962-1963). En partant de ce point-là, on s’est dit qu’on pourrait travailler sur une expo pour valoriser les anciens supporters qui entretiennent la mémoire des clubs. On a envie que ces vieux puissent partager cela avec leurs enfants, petits-enfants et autres passionnés, ou non, de VA et de football. » Il leur sera possible de le faire dès le 12 novembre prochain, même si les protagonistes de l’expo réfléchissent déjà à une suite plus complète, qui pourrait se matérialiser par l’édition d’un livre contenant les témoignages audio des anciens, avec toujours le même credo : valoriser et éduquer.