- Les uchronies du foot
Et si Gyan n’avait pas tiré le penalty d’Uruguay-Ghana en 2010 ?
Le 2 juillet 2010, lors du quart de finale de Coupe du monde entre l’Uruguay et Ghana, à l’ultime minute de la prolongation (1-1), Asamoah Gyan aurait pu propulser une équipe africaine pour une première demi-finale mondiale en réussissant son penalty. Or, il l’a raté, et l’Uruguay est passé aux tirs au but (4-2). Et si Gyan avait passé son tour ?
Le Soccer City Stadium de Johannesburg bourdonne de myriades de vuvuzelas prêtes à célébrer l’exploit historique de la première accession d’une sélection africaine en demi-finales de Coupe du monde. Après les échecs en quarts du Cameroun en 1990 et du Sénégal en 2002, ce soir, le Ghana semble tout proche de la Terre promise. Car en cette fin de prolongation intense (1-1), les Black Stars ont repris l’ascendant sur les Uruguayens. Sur une tête canon de Kevin-Prince Boateng passée de peu à côté (117e), puis sur un centre tir côté gauche du même Kevin-Prince, que Muslera, surpris, a repoussé en déséquilibre (118e) ! En cette soirée frisquette, le Ghana disposé en 4-1-4-1 conquérant et bariolé, maillots rayés rouge et jaune, aligne en pointe son arme fatale : le Rennais Asamoah Gyan. Il est déjà auteur de trois buts, dont deux penaltys en poule contre la Serbie et l’Australie, plus un pion décisif en huitièmes contre les USA (2-1 AP).
Le numéro 9 arbore depuis toujours, pourtant, un curieux numéro 3 dans le dos, dont il a révélé l’explication dans un média africain : « Ce 3, j’en ressens une rare puissance. Quand vous devez soulever quelque chose de lourd, vous comptez jusqu’à trois, n’est-ce pas ? Un… Deux… Et trois ! C’est ce trois qui dégage un effet puissant. » Même s’il n’a pas encore marqué face à un Uruguay en 4-4-2 bleu ciel et globalement dominé – car diminué après la sortie du taulier défensif Diego Lugano à la 37e –, Gyan a fait peser une menace constante dans la surface adverse. Dommage que les Black Stars aient subi l’égalisation trop rapide de Diego Forlán, auteur d’un coup franc égalisateur sur lequel le satané ballon Jabulani à trajectoire flottante a piégé le gardien Kingson (53e). Car les Ghanéens de Milovan Rajevac avaient fait la différence au moment idéal, juste avant la mi-temps, sur une frappe ravageuse des 35 mètres du gaucher Sulley Muntari… Pas grave ! Puisqu’en cette ultime minute de la prolongation, Johan Paintsil s’apprête à botter un coup franc indirect excentré côté droit. Son centre dans la boîte parvient à Kevin-Prince Boateng qui dévie devant le but où Muslera a surgi pour dégager du poing. Le gardien se rate et Stephen Appiah reprend le ballon à bout portant qui est repoussé de la cuisse de Suárez sur la ligne ! Dominic Adiyiah reprend d’une tête surpuissante le ballon à coup sûr victorieux… mais Luis Suárez repousse encore sur sa ligne de but des deux mains ! L’arbitre portugais M. Olegário Benquerença a tout vu : penalty et carton rouge pour Luis l’affreux ! Préposé aux coups de pied de réparation, Gyan s’élance d’une course d’élan rapide de trois pas, shoote du droit et… le Jabulani ricoche sur le haut de la barre et s’envole dans la nuit australe ! Muslera était pris à contre-pied.
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Le moment uchronique : Gyan ne tire pas le péno !
Sûr de lui, Asamoah Gyan a vite récupéré le ballon qu’il tient fermement dans ses mains. Mais, tout d’un coup, le doute l’assaille… C’est son troisième penalty du tournoi : et si ce « trois » ne lui portait pas chance ? Il se remémore soudain aussi le penalty qu’il avait raté lors du Mondial allemand de 2006. En poule, malgré une victoire 2-0 contre la Tchéquie, face à l’impressionnant Petr Čech, il avait expédié son coup de pied de réparation sur le poteau… Gyan se tourne alors rapidement vers Kevin-Prince Boateng dont la fin de match énergique lui indique qu’il serait susceptible de tirer à sa place. En avril dernier, avec Portsmouth, Boateng avait marqué un péno en demi-finales de FA Cup contre Tottenham. À Wembley, devant 85 000 personnes, en prolongation, à 1-0 pour Portsmouth, Boateng avait surmonté avec cran cette immense pression et marqué. Et puis depuis le début de ce Mondial sud-africain, l’aîné de Jérôme (qui a opté, lui, pour la Mannschaft), tient à réaffirmer une loyauté envers la sélection ghanéenne qu’il n’avait rejointe qu’en mai 2010. Malgré son engagement sans faille pour les Blacks Stars (un but face aux USA en 8es), beaucoup de Ghanéens n’ont pas oublié que c’est en spéculant sur ses faibles chances de jouer pour l’Allemagne A qu’il avait fait allégeance au pays de son père, Prince Boateng…
Après une rapide approbation du capitaine John Mensah, Kevin-Prince pose le ballon sur le point fatidique. La 121e minute est déjà dépassée de 20 secondes. Face à Muslera, Kevin-Prince shoote comme lors de son duel face à Gomes à Wembley : à ras de terre, à ras du poteau droit de Muslera qui est parti à gauche : 2-1 pour le Ghana ! Boateng s’en va célébrer son but, poursuivi par la meute rougeoyante. Les Uruguayens abattus ne remarquent même pas qu’à l’entrée du tunnel, Luis Suárez éclate en sanglots. La Celeste n’a même plus le temps d’engager, puisque l’arbitre siffle la fin de la partie. « Demain, l’Afrique », c’est ce soir ! Au pays de Nelson Mandela, le Ghana a tenu la promesse de tout un continent à figurer dans le dernier carré mondialiste sous un déluge de vivats et de vuvuzelas !
Épilogue :
Ce vendredi soir, l’émotion est immense sur tout le Continent noir, mais il faut déjà se projeter au mardi 6 juillet au soir, au Cape Town Stadium. L’adversaire néerlandais est une autre montagne qui se dresse sur le chemin des Black Stars. Sauf que… Immanquablement, les Oranje se laissent aller à leurs coupables penchants : « Nous sommes déjà en finale », fanfaronne Robin van Persie. « Dommage pour le Ghana ! », s’esclaffe Arjen Robben sur Sky Sports. Mais au Stadium du Cape, vexées d’être longtemps tenues en échec 0-0, les Tulipes craquent : John Heitinga (76e, tacle dangereux) et Nigel de Jong (85e, faute dans la surface en dernier défenseur) sont expulsés, et le penalty conséquent à la faute de « Bad Nigel » permet à Asamoah Gyan d’offrir une victoire à son pays, qualifié pour la finale (1-0) ! Les Blacks Stars ont carrément pulvérisé le plafond de verre. Mais, fatigués et inexpérimentés en finale, face à une Roja inentamable (3-0 : Iniesta, Pedro et Torres), ils se contenteront de l’argent le 11 juillet au Soccer City de Johannesburg.
Pisté par Sunderland, Asamoah Gyan est dérouté le 30 juillet 2010 vers Arsenal. Arsène Wenger s’est permis ce transfert après la signature de Marouane Chamakh, arrivé libre, lui, à Londres… Les récriminations vis-à-vis de l’acte d’antijeu de Luis Suárez face au Ghana n’étant toujours pas retombées, la FIFA a modifié son règlement en décembre 2010 : comme au rugby, avec les essais de pénalité qui sanctionnent l’équipe qui défend par antijeu devant sa ligne d’en-but, le football adopte le « but de pénalité ». Ce penalty goal, en anglais, sera accordé lorsqu’un joueur adverse aura empêché sciemment avec la main (ou les deux) le ballon de pénétrer dans les cages. Le Ghana aurait donc eu but accordé sur la main de Luis Suárez qui aurait en outre chopé une suspension de quatre matchs ! Mais la place de finaliste du Ghana a surtout mis grand vent dans les voiles du football africain. Issa Hayatou, boss camerounais de la CAF et battu en 2002 par Sepp Blatter à la présidence de la FIFA, avait fait l’impasse en 2007 où le Suisse avait été réélu sans opposition. Or, en vue de l’élection de 2011, fort des 53 voix de la Confédération africaine, le candidat Hayatou a rallié à lui un rival acharné de l’inamovible Sepp, en course à sa réélection : Mohammed Bin Hammam. Le président qatari de l’AFC, la Confédération asiatique, apporte à Monsieur Issa le gros des 46 voix qui amplifient la fronde anti-Blatter jusqu’à certaines fédérations de la CONCACAF et de la CONMEBOL. Et le 1er juin 2011, Hayatou est devenu président de la FIFA avec 109 voix sur 203 suffrages exprimés ! Reconnaissant envers le Ghana, le bon Issa nommera Abedi Pelé secrétaire général de la FIFA.
Par Chérif Ghemmour