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« Les traditions ne sont pas une raison pour ne pas arrêter les chants homophobes »

Propos recueillis par Lucie Lemaire

Avant la réception de l’Atlético par le PSG mercredi, un abonné du Parc des Princes et Yoann Lemaire, engagé contre l’homophobie dans le football, se sont rencontrés pour tenter de renouer de manière apaisée un dialogue entre les associations de lutte contre l’homophobie et les supporters adeptes des chants homophobes en tribunes.

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Malgré la polémique annuelle au Parc des Princes avant le Classique, les chants homophobes continuent d’être entonnés dans la plupart des stades en France, de Raymond-Kopa fin octobre à Geoffroy-Guichard samedi soir encore. Un fléau que les associations de lutte contre l’homophobie et les gouvernements successifs essaient de combattre. Pour So Foot, Yoann Lemaire, un des premiers footballeurs à avoir révélé son homosexualité en 2003 et fondateur de l’association Foot Ensemble, et Tion, supporter du PSG depuis le début des années 1990 et ancien ultra victime du plan Leproux, ont accepté d’échanger durant plus de deux heures, de manière parfois vive mais toujours constructive, malgré les nombreuses réticences et pressions, évoquées par Tion au cours de la discussion. Sans partager toujours le même avis, ils se sont penchés ensemble sur la question de l’homophobie dans les tribunes, de la responsabilité des différents acteurs mais aussi sur les sanctions réclamées et les solutions à mettre en place.


Le stade, un cadre particulier ?

Yoann : Dans la tête de 95% des supporters, ce chant n’est pas homophobe mais il suffit de discuter cinq minutes pour comprendre que c’est quand même de l’homophobie. Quand on insulte quelqu’un de pédé, on sait ce que l’on dit. Les supporters ne sont pas plus bêtes que les autres.

Tion : Quelqu’un qui chante « Les Marseillais sont des pédés » n’est pas le même homophobe que le rugbyman qui tabasse un homosexuel et le laisse dans une mare de sang en le traitant de sale pédé. Peut-être que je me trompe, mais pour moi, quelqu’un qui qualifierait ces deux faits comme étant la même chose se discrédite.

Yoann : J’ai entendu des ultras me dire « Nous, on est homosexuels, ferme ta gueule, tu nous fais honte à dire dans les médias que c’est de l’homophobie. On n’est pas touché, on le chante et on t’emmerde donc arrête de dire des conneries ». Il ne faut néanmoins pas penser qu’à soi, mais aussi au jeune de 14 ans qui se sent peut-être homo et qui se dit, en entendant les capos qui lancent ces chants, qu’il ne faut surtout pas être pédé pour aller en tribunes ou jouer au football.

Tion : Quand je chante cela au Parc des Princes, je sais que c’est un chant insultant, qui a une partie homophobe, ce qui en fait donc un chant homophobe. Mais dans un stade, tout ce qui va être une différence avec l’adversaire peut être objet de quolibets. Je dis souvent que le stade a ses raisons que la raison ignore. Quand j’y vais, je sais quels en sont les codes. Il y a des choses, qu’on ne dirait pas ailleurs, qui peuvent s’y dire. Ce qu’il faut, c’est dire aux personnes concernées que les gens le font dans le cadre du stade. Ça correspond à des règles idiotes mais qui sont celles de la rivalité.

Je comprends le côté irrationnel pour tout le monde mais quand, dans ma petite passion, je suis en train de suffoquer parce que c’est la défaite de trop, ne me demandez pas d’être fin !

Tion au sujet de son rapport à l’homophobie

Yoann : Ça va souvent au-delà de la rivalité. C’est aussi la culture de la provocation, voire de l’humiliation. Si on insulte l’autre, les termes sont choisis. Ce n’est pas simplement pour le taquiner, c’est de la violence…

Tion : On est bien d’accord ! Et si dans la chanson, il y avait « Un bon supporter marseillais est un supporter mort », je le chanterai avec le même enthousiasme. Pour autant, je ne souhaite pas l’éradication de la ville de Marseille. C’est un autre cadre. Dans la rue, dans mon entreprise ou même au stade, si j’entends quelqu’un s’en prendre à quelqu’un d’autre pour une raison homophobe, je suis le premier à intervenir. Je ne laisserai pas commettre un acte homophobe devant moi. En revanche, si deux hommes devant moi se battent en se traitant de pédé, je n’interviens pas. Tu vois la nuance ?

Yoann : Je la comprends et je n’ai pas de leçon à donner. En tant que joueur de foot homo, ça m’est aussi arrivé d’avoir des propos limites à cause de cette passion immodérée et irréfléchie. Certains supporters me disent que c’est une tradition, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut continuer.

Tion : Je n’ai pas parlé de tradition…

Yoann : Non mais je l’entends souvent chez les supporters. « Sur tel match, on aime bien dire que nos adversaires sont des pédés » parce que c’est comme ça depuis la nuit des temps. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas arrêter.

Tion : Ce n’est pas audible pour moi non plus. Il y a d’autres traditions auxquelles on a mis fin et heureusement.

Le sens de l’insulte

Yoann : Je n’ai pas trouvé ça intelligent que les supporters du PSG recommencent à insulter Marseille face à Strasbourg après avoir eu une tribune fermée la saison dernière pour la même raison.

Tion : Traditionnellement, lors du match au Parc qui précède l’affrontement contre les Marseillais, on leur dédie une playlist. Le reste de l’année, il est très rare que l’on ait un chant hostile à l’OM. C’est une tradition, on le fait toujours.

Yoann : Mais les traditions, on peut les changer… On vient de le dire.

Tion : On a convenu du fait que certaines traditions devaient être changées, mais pas qu’il fallait changer celle-là ! Dans ma réflexion, cette tradition n’a pas à être changée.

Yoann : Qu’est-ce qui fait qu’on ne peut pas porter une réflexion et se dire que les supporters sont suffisamment intelligents pour trouver des idées marrantes, plus provocatrices, mais avec une finesse d’esprit ? Pourquoi ne pas aller sur ce terrain au lieu de basiquement chanter que les Marseillais sont « des pédés, des fils de pute, des enculés » ?

Tion : Les supporters de tout club sont capables d’humour.

Yoann : Oui !

Tion : Alors tu te demandes pourquoi on ne le fait pas ?

Yoann : Il y a cette tradition où l’on aime bien transgresser les règles.

Tion : Oui, mais j’y vois autre chose. Imaginons, on est à la 85e minute, j’attends ce match depuis six mois, je prends un but… et il faudrait que je fasse preuve de finesse ? L’oxygène dans mon cerveau est au minimum ! J’aime bien la phrase de Camus : « Un homme ça s’empêche ». Je comprends le côté irrationnel pour tout le monde mais quand, dans ma petite passion, je suis en train de suffoquer parce que c’est la défaite de trop, ne me demandez pas d’être fin !

Des gamins se suicident à 14 ans parce qu’ils subissent des propos homophobes. Les mots tuent.

Yoann Lemaire

Yoann : Je le comprends parfaitement mais il faut aussi assumer et accepter de se dire qu’on a dépassé les lois. « Là, j’ai balancé une bouteille d’eau, j’ai dit que t’étais un gros pédé, je risque quelque chose ».

Tion : Une insulte et lancer une bouteille, ce sont deux choses très différentes.

Yoann : Pas forcément.

Tion : Je sais que les mots peuvent blesser.

Yoann : Des gamins se suicident à 14 ans parce qu’ils subissent des propos homophobes. Les mots tuent.

Tion : Ils blessent. Et c’est bien pour cela que l’on insulte. Recevoir une insulte peut blesser au plus profond de l’âme et créer une blessure béante à tout jamais. Mais prendre une bouteille dans la gueule, ça fait un bleu. Quand je te jette quelque chose au visage, je peux difficilement te dire que je n’avais pas d’intention. Dans l’emportement, si je te traite de pédé, je peux te dire que mon intention n’était pas de te blesser.

Les sanctions réclamées par le gouvernement

Tion : J’ai l’impression que Bruno Retailleau essaie de se racheter une légitimité en parlant d’arrêter les matchs. Je ne vais pas reprendre la banderole qu’ont faite les supporters marseillais le week-end dernier. Mais ce ministre de l’Intérieur a autant d’espérance de vie qu’un entraîneur de Ligue 1 donc je ne m’inquiète pas tellement. Ce qui me gêne, c’est qu’il n’y a pas une réelle volonté politique.

Yoann : J’ai trouvé qu’ils allaient un peu vite en besogne. Ils ne connaissent pas le sujet et ont communiqué trop vite sur des choses inefficaces. Depuis 2019, je suis contre les arrêts de matchs. J’ai discuté avec Clément Turpin, l’arbitre du Nice-OM qui avait été arrêté. Les supporters avaient sorti la banderole “Ici, on aime la pédale”. Tout le monde était rentré dans les vestiaires, et ils avaient chanté deux fois plus. C’était vraiment un échec, donc il ne faut plus le faire. J’étais très surpris qu’ils reviennent là-dessus.

Tion : Prenons un exemple, mon équipe est en train de perdre 4-0. Si le match est arrêté, je perds 3-0 sur tapis vert. C’est parti pour 15 minutes de chants homophobes dans le stade ? On ouvre une boîte de Pandore ! De même pour les fermetures de tribunes. On ferme et le week-end suivant, ça va recommencer. Les supporters se donnent rendez-vous sur le parvis, et pendant deux heures, ils vont chanter. C’est très contre-productif.

Yoann : Je n’y crois pas non plus. J’ai eu des plaintes d’associations LGBT parce que j’ai simplement dit que j’étais contre les fermetures de tribunes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre de sanctions mais je trouve que cela ne sert à rien.

Tion : Cette prise de position t’honore.

Yoann : J’essaie de positiver mais je suis très déçu. Pour un PSG-OM avant le Covid, Marlène Schiappa avait dit que la prochaine fois, elle quitterait le stade. Les supporters lui ont dit qu’ils allaient justement continuer pour qu’elle ne vienne plus. À l’époque, on avait un plan d’action qui démarrait, ça a tout ruiné. Elle a fichu tout en l’air juste pour communiquer.

Si 3000 bonshommes lancent le chant, que vont-ils faire ? Prendre tous les noms ? Juste celui du capo ?

Yoann Lemaire, sur la présence de policiers en tribunes

Tion : C’est exactement ce qui devient insupportable. Ils sont prêts à sacrifier un travail qui a été fait pendant des années par des associations pour briller quinze minutes. Dire que l’on va mettre des policiers en civil dans les tribunes, c’est encore un effet de manche de nos politiques. Leurs heures supplémentaires ne sont pas payées et ils vont rajouter cela à leur charge de travail ? Je ne dis pas que ce n’est pas une bonne idée mais l’hypocrisie, c’est de dire après qu’il n’y a pas de moyens. En tant que contribuable, je n’ai pas envie qu’un policier aille surveiller deux mecs qui chantent « Les Marseillais sont des pédés ». Si une brigade pour traquer les gens qui s’en prennent aux homosexuels est montée, alors j’aurai l’impression que mon argent sert.

Yoann : Ça peut être utile pour les femmes agressées. Si ça peut servir à protéger, tant mieux. Mais pour les chants homophobes, je n’y crois pas trop, une fois de plus. Si 3000 bonshommes lancent le chant, que vont-ils faire ? Prendre tous les noms ? Juste celui du capo ? Des associations LGBT parisiennes avaient proposé de recruter des gens pour filmer les supporters homophobes dans les stades. Ce n’est pas ma tasse de thé. C’est malsain. Je ne suis pas à l’aise avec cette idée.

Tion : C’est la pire idée. On n’a même pas besoin de capos pour chanter. Avant le match, il suffit d’un SMS pour dire qu’à la 25e minute on déclenche le chant. Tout le monde mettra son écharpe au-dessus du nez, le capo va croiser les bras sans bouger, toute la tribune chantera mais l’identification sera impossible.

Yoann : Et l’idée des places nominatives, c’est de la connerie.

Tion : C’est surtout déjà le cas ! Le ministre des Sports s’est ridiculisé. Au Parc, mon billet est nominatif depuis des années.

Yoann : Au-delà des sanctions individuelles, je suis pour les sanctions réparatrices. C’est ce qui avait été fait avec Kévin N’Doram. Mais si un supporter a fait les efforts, s’il y a eu de la pédagogie et finalement, au bout de dix minutes de jeu, sans être dans l’émotion de la défaite, il recommence à chanter « Les Stéphanois, c’est des enculés », alors il faut une sanction individuelle.

Tion : La sanction individuelle n’existera pas. Si un jour, un supporter en France est condamné pour des chants homophobes, on ouvre une boîte de Pandore que l’on regrettera tous.

Yohann : Oui, ça ne passera pas devant un juge en plus. Ça sera de l’injure publique.

Tion : Si quelqu’un dit « Je veux tuer les homosexuels », c’est répréhensible. Mais tu ne pourras jamais condamner quelqu’un parce qu’il a chanté. Et si d’aventure c’était fait, ça ouvrirait d’autres réactions beaucoup plus terribles et tellement contre-productives.

L’interdiction va toujours exciter quelqu’un qui serait resté tranquille si on ne lui avait pas interdit.

Tion au sujet d’une potentielle interdiction des chants homophobes

Yoann : Je suis d’accord que ça va être compliqué. Mais « jamais » ? Je ne pense pas. À un moment, il faudra que ça s’arrête quand même.

Tion : Que l’on n’ait plus envie de chanter cela après un travail de pédagogie, d’accord, mais l’interdire, jamais. L’interdiction va toujours exciter quelqu’un qui serait resté tranquille si on ne lui avait pas interdit. On voit cela comme une démarche globale pour nous empêcher d’exister en tribunes. Toute action pour pénaliser, interdire, fermer sera contre-productive. Quel que soit le côté que l’on défend, on arrive tous à la conclusion que la pire idée a été proposée par les politiques.

Yoann : Et ce qui me fait peur avec toutes ces décisions, c’est que cela ne fasse pas grandir la cause.

Les solutions

Yoann : Je suis vraiment pour la sensibilisation. Honnêtement, mis à part une négociation avec des leaders qui prennent les choses en main pour essayer de faire avancer la cause, je ne vois pas trop comment régler cela.

Tion : Que l’on fasse de la pédagogie. Tu veux quelque chose de challengeant ? Pour le week-end de la lutte contre l’homophobie, faire en sorte de réunir les plus influents des groupes d’ultras les plus influents et s’accorder qu’on ne fera pas de chant homophobe.

Yoann : Mais pourquoi les supporters ne se le disent pas d’eux-mêmes tous les week-ends ?

Tion : Je ne dis pas que c’est facile. Il faut que le travail soit fait des deux côtés. C’est la responsabilité de ton association, mais aussi de tous les acteurs, d’expliquer à ceux qui pourraient être heurtés par ces chants qu’ils ne les visent pas directement et qu’un supporter qui les chante n’est pas un homophobe notoire. Et dans le même temps, il faut que nous, supporters, arrêtions de nous cacher. Il y a un passage homophobe dans le chant. Point, il faut assumer.

Pour venir ici, il faut que je me dise que la personne que je vais rencontrer ne m’est pas hostile. Pour la plupart des supporters, le seul objet de ton type d’association, c’est de s’en prendre à eux.

Tion, abonné au Parc des Princes, à propos de la défiance des supporters

Yoann : La saison dernière, la journée de lutte contre l’homophobie a été médiatiquement balayée pour un seul joueur, Mohamed Camara. 800 joueurs ont porté le maillot, il y avait une belle bâche, un clip. Tout le monde a fait des efforts, même ça a embêté certains… Ce que je reproche aux supporters, c’est de ne pas s’engager.

Tion : Venir discuter avec la presse, c’est compliqué pour un supporter. Il y a une défiance. Mon entourage a tenté de me dissuader de participer à cet entretien en me disant « Tu vas leur donner de la matière pour nous ridiculiser. Ils vont utiliser tes propos pour dire qu’on est des ânes ». Pour venir ici, il faut que je me dise que la personne que je vais rencontrer ne m’est pas hostile. Pour la plupart des supporters, le seul objet de ton type d’association, c’est de s’en prendre à eux.

Yoann : Mon premier problème au-delà de l’homophobie, ce sont les associations parisiennes de lutte contre l’homophobie qui estiment que tout ce qu’on fait, c’est mal. Ils ne font que les plateaux de télé de Paris, ils ne vont pas à Angers, à Amiens, à Metz pour rencontrer les gamins. Ça ne les intéresse pas, sauf si c’est le PSG.

Tion : On prend toujours la foudre parce que c’est plus bankable. Il peut se passer quelque chose à Amiens, ou au fin fond de la Creuse, ça n’a pas la même résonance. On comprend bien sûr que l’on n’a pas le même statut, on ne demande pas le même traitement que les petits clubs mais tu comprends pourquoi les supporters parisiens ont l’impression que vous êtes des ennemis.

Yoann : Et c’est une erreur.

Tion : Bien sûr, j’en conviens. Mais à leur décharge, il y a cette crainte de leur part que leurs propos soient utilisés. Et surtout, une fois de plus, que l’on criminalise les supporters car c’est une tendance globale dans le foot.

Yoann : Tu me fais sourire quand tu me dis qu’ils ont peur ! Ils n’ont pas peur d’aller au charbon…

Tion : Non, mais d’évoquer ces sujets.

Yoann : Oui, mais ce n’est pas de la peur.

Tion : Mais si ! Beaucoup ont peur d’évoquer ces sujets. Tout le monde n’a pas la capacité de faire passer ses idées. Il y a une peur de se retrouver pris dans un piège intellectuel.

Yoann : Beaucoup de supporters n’ont peut-être pas la capacité de venir en parler mais pour moi, la majorité des leaders peut débattre, même contre leur « ennemi ». Ils n’ont quand même pas peur d’échanger avec des gens qui les traitent d’homophobes. Je pense qu’il n’y a surtout pas l’envie de dire « Allez, on va régler le problème une bonne fois pour toutes. »

Tion : Je suis d’accord avec toi. Effectivement, il n’y a pas d’envie, et tu sais aussi pourquoi ? Parce qu’on ne voit pas où est le problème.

Yoann : Mais il y en a un quand même. Il faut le voir.

Tion : Vous tentez de dire qu’il y a un problème parce que « c’est un chant homophobe, donc vous êtes homophobe ». Nous, on vous dit que ça n’en est pas un parce que oui, c’est un chant homophobe, mais ça ne fait pas de moi un homophobe…

Yoann : Je comprends que les supporters disent : « On ne voit pas de problème, donc on n’a pas à justifier ». Mais c’est surmédiatisé. Ils peuvent quand même y réfléchir cinq minutes.

Tion : En des temps apaisés, hors polémique, loin des caméras, réunir les représentants de groupes de supporters et dire que l’on va faire un communiqué commun, serait un acte fondateur, la première pierre d’une réconciliation.

L’exemplarité et la responsabilité

Tion : Comment se fait-il que le flocage arc-en-ciel ne soit pas disponible toute l’année dans toutes les boutiques de France, avec par exemple un pourcentage du prix du flocage reversé à des associations ? Pourquoi tous les clubs n’ont pas une écharpe avec le drapeau arc-en-ciel ? Ce serait un geste fort des clubs.

On s’est rendu compte que les couleurs arc-en-ciel posaient beaucoup de soucis à beaucoup plus de joueurs que l’on ne pense.

Yoann Lemaire

Yoann : C’était notre idée en 2018. On a parlé avec les joueurs des trois quarts des clubs de Ligue 1 et Ligue 2, sauf le PSG, mais on avait sous-estimé le problème. On s’est rendu compte que les couleurs arc-en-ciel posaient beaucoup de soucis à beaucoup plus de joueurs que l’on ne pense, pour des questions de religion, de culture, d’éducation, d’entourage, d’ignorance.

Tion : Je veux bien que l’on vienne attraper des supporters par le col pour des chants mais quel exemple des joueurs, des clubs et des institutions ? C’est aussi à eux de prendre leurs responsabilités. A-t-on vu un dirigeant attraper ses joueurs qui refusaient de porter le brassard ou le flocage arc-en-ciel et avoir un discours ferme dans son vestiaire en disant « Le premier simule un claquage de la cuisse qui aura une retenue de salaire conséquente » ? Le jour où les clubs seront exemplaires, où la Ligue le sera, où les joueurs porteront eux-mêmes un message d’apaisement en assumant de porter des flocages et en étant irréprochables là-dessus, alors moi, en tant que supporter, je voudrais bien me sentir concerné.

Yoann : Je te trouve dur. Je pense que les supporters ont aussi leur responsabilité parce qu’ils sont tout aussi importants pour l’éducation des enfants. Dire « Que la LFP fasse, que les clubs fassent, que les joueurs fassent, et nous, on verra après », non ! Et honnêtement à la LFP, ils essaient de faire des actions. Ils ont une pression du gouvernement, ils sont tout le temps humiliés par le milieu LGBT qui dit que c’est du pinkwashing. De l’autre côté, les supporters disent « Vous nous faites chier avec vos conneries », les joueurs « Vous nous emmerdez à nous imposer la promotion de l’homosexualité » et les clubs « On a autre chose à faire ». Ils font ce qu’ils peuvent.

Tion : Tu as pris l’exemple des joueurs qui viennent de pays où l’homosexualité est criminalisée. Que ce soit compliqué pour eux vis-à-vis de leur famille, bien sûr ! C’est aussi à nous de donner les éléments de réflexion pour qu’ils comprennent et fassent comprendre à leur famille qu’ils sont dans un cadre professionnel.

Yoann : Les instances commencent à le faire sérieusement. C’est pour ça que je dis que tu es dur. Elles mettent la pression aux clubs pour que les référents socio-éducatifs parlent avec les joueurs. Il faut comprendre que c’est une lutte contre l’homophobie et non une promotion de l’homosexualité.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Lucie Lemaire

NDLR : L’autrice de cet article n’a aucun lien de parenté avec Yoann Lemaire.

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