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Les TPO, qu’en pensent les agents français ?
Stupeur dans le foot français : le groupe Doyen Sports a annoncé qu'il pourrait peut-être débarquer dans le game. Problème, sa raison de vivre, la tierce-propriété, est pour l'instant interdite en France... Cette pratique méconnue en France divise. Points de vue contradictoires des agents Jean-Pierre Bernès et Yvan Le Mée.
Depuis longtemps dans le viseur de Michel Platini, récemment mis sous le feu des projecteurs avec le transfert record d’Eliaquim Mangala à Manchester City, le procédé des contrats de « third party ownership » est interdit en France et en Angleterre, autorisé ailleurs. Alors que la mode consiste aujourd’hui à pourfendre cette pratique et son opacité, on peut se demander légitimement si les propos du patron de la FIFA, officiellement candidat à sa succession, ne découlent pas plus d’une stratégie de campagne que d’une réelle conviction.
« Si tu enlèves les TPO, tu détruis l’économie du foot sud-américain »
Entre la complexité d’imposer une interdiction à l’ensemble de la planète football et, surtout, le sacerdoce qui consisterait à « réguler » tous les contrats TPO existants, le Suisse a peut-être tenu des promesses difficiles à tenir. Tout au moins à court terme. Pour Jean-Pierre Bernès, il ne fait nul doute cependant que la gouvernance du football mondial a le pouvoir d’imposer ses vues : « Si les instances décident de supprimer cette pratique, les acteurs du football n’auront d’autre choix que de s’adapter. Imposer la même règle à l’ensemble de la planète football, c’est une question qui dépasse le cadre du football et des agents, mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire. » Pour l’agent le plus influent du football français, la France a l’avantage « que cela soit déjà interdit sur son territoire, donc on est préparés » , tout en admettant que cette interdiction empêche de vraiment comprendre la pratique.
Un mal à éradiquer, les TPO ? Pour Yvan Le Mée, la réponse n’est pas forcément positive : « Je considère qu’un fonds d’investissements aide un joueur ou un club. En Amérique du Sud, les ¾ des joueurs sont concernés. Tu leur enlèves les TPO, tu détruis l’économie du football sur place. » Pour l’agent du Marseillais Romain Alessandrini, il est tout autant injuste de diaboliser les investisseurs : « Les investisseurs en Amérique du Sud vont des petits – genre un chauffeur de taxi qui met 500 euros par an – aux plus gros qui mettent des dizaines de millions. C’est vital pour ces structures sud-américaines pour se développer. » Yvan Le Mée n’y voit donc pas un cancer, mais un apport que les clubs peuvent choisir d’utiliser ou non : « Quand les clubs n’ont pas les moyens, par exemple pour rénover leur terrain d’entraînement ou payer le salaire d’un joueur important, ils préfèrent céder une part sur le futur transfert à des investisseurs. Cela évite aux clubs d’engager trop de fonds. »
Quand Porto limite ses risques financiers grâce aux TPO
Sauf que l’argent donne du pouvoir, ce qui semble gêner Jean-Pierre Bernès : « C’est un peu choquant et problématique. Les intérêts des différents propriétaires ne sont pas liés et également pas forcément concordants avec ceux du joueur. Ce type de pratique mène à imposer à un joueur d’aller là où il ne veut pas forcément aller. » De son côté, Yvan Le Mée admet un petit risque inflationniste : « Bien sûr, les TPO font augmenter les prix, car ils font marcher la logique de l’offre et de la demande. Si plusieurs clubs sont capables d’investir 20 millions sur un joueur, alors il vaut un peu plus… » Dans la période de crise actuelle, l’agent estime que l’apport des TPO pourrait redynamiser un football français moribond. « En France, le volume du mercato n’a été que de 100 millions. Le marché était atone, et atone, c’est se diriger droit dans le mur : plus rien ne bouge. Les TPO pourraient aider les clubs français à investir, à pouvoir prendre plus de risques sportifs. Sauf que la trop grande fiscalité, les trop nombreuses règles n’aident pas à attirer des investisseurs. »
Pour certains observateurs, la présence trop massive d’investisseurs extérieurs pourraient écarter les clubs du système des transferts, limitant leur implication au paiement des salaires. « Les clubs ont besoin de transferts pour leur économie, notamment les clubs formateurs » , analyse Bernès, pour qui les entités footballistiques doivent rester maîtresses du jeu. Mais un tel scénario, Yvan Le Mée n’y croit pas forcément, estimant que « pour arriver à ce schéma extrême, il faudrait que le foot soit vraiment en crise profonde et qu’il n’y ait plus de fonds » . Pour lui, « la situation est telle qu’on en a besoin, des TPO » , sous réserve d’en faire « un bon partenaire et de bien savoir d’où vient l’argent. Si l’argent est clean et clair, pourquoi interdire ? On a tendance à avoir peur de tout en France et en Europe. » Et pourtant, « les 10% ou plus sur un futur transfert, c’est déjà une sorte de TPO… » Si le système des TPO ressemble à la bourse dans sa problématique de « valorisation » d’actifs, Yvan Le Mée y voit aussi un moyen de pouvoir prendre plus de risques sportifs, à l’image « d’un club comme Porto qui prend beaucoup de joueurs, et qui dilue le risque grâce aux TPO. Ils font moins de plus-values, mais souffrent moins de la casse éventuelle. »
Le foot français fermé à la nouveauté ?
Ce principe de valorisation peut cela dit générer un côté moins humain de la pratique : « Les prix sont basés sur les performances présentes, mais aussi sur ce que l’on peut espérer de l’avenir. C’est comme lorsque que tu prends des actions en bourse : tu espères que l’entreprise sur laquelle tu mises va augmenter son chiffre d’affaires. Le côté pervers, c’est donc que cela fait baisser la valeur marchande des joueurs les plus âgés, même s’ils trouveront toujours grâce aux yeux des entraîneurs et présidents pour leur expérience. » Les réticences à l’égard des TPO traduisent selon lui une partie des maux du football français, fermé à la nouveauté : « Le schéma français m’énerve, aujourd’hui, on est à la ramasse car on ne cherche ni à prendre des risques, ni à se renouveler. On met tout sur le dos de la fiscalité et des différences économiques, à tort. » La conclusion à Jean-Pierre Bernès, vieux routier du footbal français : « Cela ne m’est jamais arrivé et cela ne m’arrivera pas de négocier un contrat en TPO. Je suis favorable à l’interdiction de cette pratique. »
Propos recueillis par Nicolas Jucha