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Les Thugs : « Ce que véhiculent Ronaldo ou Messi, j’ai du mal »
Revoilà Les Thugs. L'un des rares groupes de « rock » qui peut se vanter d'avoir enregistré sa « Peel session » (en 1987, ce qui était encore plus rare), et d'avoir signé sur Alternatives Tentacles de Jello Biafra (le leader des Dead Kennedys) et chez Sub Pop, le label qui a découvert Nirvana. Formé à Angers et révélé sur le mythique label Gougnaf mouvement de Rico Maldoror, ils vont s'affirmer comme l'une des composantes les plus atypiques du rock alternatif -bien qu'il s'avère pour le moins impropre de les y classer, déversant dans leur concert un punk rock abrasif aux accointances noisy. Rencontre avec leur bassiste Piwai, à l'occasion de la sortie d'un très attendu CD-DVD live (et également en vinyles). And He Kept On Whistling !
Quelle est ta relation au foot ?
J’ai toujours adoré le foot et j’ai joué de 5 à 14 ans en club. J’ai ensuite dû arrêter car je rentrais en apprentissage. En gros, il fallait passer aux choses sérieuses et apprendre un métier, un vrai, un sérieux. Depuis je suis resté un passionné. Et évidemment pour moi, ce fut d’abord le SCO d’Angers, le club du coin, qui était plutôt performant dans ma jeunesse. Toutefois je ne suis pas un fan ni un ultra, bien que je continue d’aller au stade avec mes enfants. J’aime bien le foot en général, même si beaucoup de trucs me dérangent aujourd’hui ou ne me parlent plus du tout.
Tu avais des joueurs fétiches ?
Un de mes premiers souvenirs quand j’étais gamin reste d’avoir assisté à un match incroyable entre le SCO et l’ASSE, la grande équipe de Larios et Rocheteau, au stade Jean Bouin, le nôtre, celui d’Angers. C’était en 1977 je pense… Il évoluait de notre côté un très bon attaquant, André Barthélemy, qui ensuite était parti à Saint-Étienne, et qui avait marqué ce soir-là. Le SCO avait d’ailleurs gagné 4 à 2. A l’époque, tu pouvais encore entendre évoquer des gloires ou des légendes locales, par exemple, chez nous Jean-Marc Guillou, que je n’ai pas connu à domicile, j’étais trop jeune. Ensuite, ce fut naturellement Platini, Giresse,…
Quand vous avez commencé au milieu des années 80 avec les Thugs, la scène punk des débuts et puis ensuite le rock alternatif n’étaient pas franchement branchés foot. Vous deviez vous sentir bien seuls ?
Peut-être. Pas complètement non plus. Par exemple, au début des années 90, nous avions organisé sur Angers un tournoi rock & foot, qui compta au moins cinq ou six éditions. C’était mon frère Éric, le guitariste et chanteur, qui était aux manettes. Beaucoup de groupes s’y inscrivaient. Les Shérifs, Kid Pharaon, les Rats, etc. Les matchs en journée et des concerts le soir avec les participants. Nous avons toujours croisé des gens fans de foot. Manu des Shérifs notamment se révélait un gros supporter de Montpellier.
Même si c’est un peu bateau comme affirmation, votre passion pour la chose footballistique ne colle pas trop avec votre identité, votre son, ce punk un peu hardcore et noisy, assez éloigné sur la forme des connexions plus évidentes entre le foot et la OI ou le street punk ?
Je veux bien reconnaître que c’est un peu étonnant. Nos paroles étaient par ailleurs plutôt anti-système, alors que le football s’avère bien détruit dorénavant par la logique du fric, quelque part emblématique de ce que l’on dénonce le reste du temps. Donc, oui, il est possible d’estimer que cela ne correspond pas à notre image un peu « intello » . Nous n’avons jamais abordé le sujet dans nos chansons. Christophe, le batteur, qui adorait le vélo, a par contre écrit deux ou trois textes de sport.
Vous alliez voir de matchs lors des tournées ?
A titre perso, à Geoffroy-Guichard, on passait toujours devant le stade sur la route vers Lyon et cela me démangeait d’y faire un tour. J’avais gardé en tête le parcours européen, le chaudron, etc. Après, une fois rentrés, on se retrouvait parfois à Jean Bouin ensemble, ou à Nantes, qui n’est pas loin, pour le beau jeu.
Est-ce qu’il existe encore des joueurs qui te font rêver ou dans lesquels tu te reconnais un peu ?
Il y a plus grand-monde. Bien sûr, tu peux citer Cantona, ce côté un petit peu rebelle – je place des parenthèses malgré tout – ou Vikash Dhorasoo, qui a l’air un peu lucide sur la place du foot dans la société, ce qui semble assez rare désormais, et plutôt branché rock à ce qu’il parait. Je peux admirer un gars sur le terrain comme Cristiano Ronaldo ou Messi, mais les personnalités derrière, ce qu’elles véhiculent, j’ai du mal…. Ce type de propos peuvent sonner un peu vieux con effectivement. A l’instar de ce que j’observe dans le rock’n’roll, où j’ai l’impression qu’il existait davantage de groupes intéressants, d’émulation, il y a quinze ans. Finalement, c’est assez similaire dans le foot. Peut-être aussi que la profusion a un peu tué le truc. Tout le monde peut monter son groupe ou avoir accès à toute la musique qu’il veut instantanément. Comme pour le foot en boucle à la télé, avec en prime les championnats étrangers… Finalement, nous sommes toujours restés très critiques sur ce qui se passait dans le foot. Quand les Qataris débarquent au PSG, tu es juste confronté à la logique du système poussée à l’extrême, vraiment pas de quoi s’étonner. C’est peut-être aussi pour cette raison que que je continue de préférer le SCO d’Angers, l’Al2 et ses airs qui sonnnent années 1980. Le côté modeste, près de chez vous, à l’ancienne si on veut.
Les Thugs « Come on People ! » (Crash Disques)
Propos recueillis par Nicolas Ksiss-Martov