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Les supporters sont-ils l’âme d’un club ?
La saison se termine et elle fut plutôt sage côté tribunes. De fait, insidieusement, entre la nouvelle attitude des pouvoirs publics, la loi Loppsi II, le « succès » du plan Leproux et la perspective « sécurisé » des futurs grands stades de l'Euro 2016, les supporters « à l'ancienne » (quel que soit leur age) sont peut-être en train de vivre la fin d'un cycle. Et de basculer du sacré au profane. Explication de texte.
Ce matin, l’Équipe a publié le point de vue croisé de quatre présidents, et non des moindres, en l’occurrence Robin Leproux (PSG), Jean-Michel Aulas (OL), Jean-Claude Dassier (OM) et Michel Seydoux (LOSC). Si des divergences peuvent apparaître, minimes en fait, il existe néanmoins un point précis sur lequel ils s’avèrent en plein accord : sois supporter et tais-toi. Au-delà de l’habituelle, et compréhensible, distinction entre les “violents” et les “pacifiques”, les quatre fantastiques du foot français, qui s’imaginent déjà apparemment en Big Four tricolore, n’ont pas de mots assez durs pour remettre leurs “clients” à leur place, leur expliquant par ailleurs que « la politique gouvernementale avait changé et qu’on ne rigolait plus » (Dassier). Et à l’audacieuse question d’un journaliste qui soulignait que les supporters pensent souvent “qu’ils incarnent le club”, Michel Seydoux – qui préfère le terme de « fan » – balance très énervé : « Mais non, mais non, c’est vous (les médias) qui le considérez à leur place ! Les patrons, c’est nous. Pas les supporters » . Pour abrupte que soit la réponse, socialement blasphématoire mais pécuniairement fondée, le problème mérite d’être posé.
Les ultras ne cessent en général de répéter qu’ils incarnent “l’âme du club”. Un ambition spirituelle qui les épuise et les ruine. Ce discours possède désormais d’autant plus de portée que ces dernières années, la valse des présidents, des propriétaires et des joueurs s’est accélérée, transférant quasi-exclusivement la charge émotionnelle (le fameux amour du maillot) vers les tribunes. D’où la tentation d’affirmer au bout du compte d’en être les seuls dépositaires. En face, les nouveaux présidents (comme il y eut un New labour) se concentrent de plus en plus sur leur rôle de gestionnaires d’entreprises dont la clientèle se dégote d’abord devant le petit écran (les droits télé sont leur source première de revenus). Ils s’occupent ensuite des supporters comme un patron de bar doit gérer les mecs bourrés de fin de soirée, indispensables pour foutre l’ambiance, tenir le zinc et remplir le tiroir-caisse la journée, puis juste infernaux quand ils finissent par se croire chez eux dans le lieu qu’il squattent certes à longueur de temps*.
Dans leur comptabilité, “l’âme” se réduit à un produit marketing, l’histoire à un palmarès et l’ambiance à un fond sonore pour la retransmission sur Canal Plus. Les supporters réclament du rêve et le droit de s’identifier à un club (qu’ils continuent encore d’imaginer en variation PME de l’association des débuts) dont la dimension financière ne prend jamais l’ascendant, dans leur esprit, sur son enracinement – souvent le stade appartient encore par ailleurs à la ville – et leur ferveur. Pour nos quatre mousquetaires tricolores, on a déjà changé d’époque et il serait temps de s’en rendre compte. Ce n’est même pas syndicat contre patronat. Les supporters signent juste pour un abonnement, comme chez SFR ou Orange. Il faut respecter les conditions de vente, point barre.
En face, le malentendu en est conforté. Les supporters s’accrochent à une vision romantique du foot français tout en lui demandant d’exploser les scores comme sur Playstation 3. Le supporter défend un club (et dans le cas du PSG, il fut longtemps le seul), le président doit rendre une équipe performante. Et le drame réside surtout dans le fait que les dirigeants, qui ne cessent d’affirmer qu’ils fournissent d’abord un spectacle, n’ont toujours pas compris le B-A-BA du succès de la culture “mainstream” de divertissement* pour le rendre crédible. Au risque sinon de se suicider économiquement et de tuer le ballon aux œufs d’or.
Nicolas Kssis-Martov
* Au passage relire les très belles pages sur ce paradoxe du « droit à la propriété vs. le droit à l’ébriété » sous la plume d’Alexis Violet, ex-compagnon trotskiste des Lettristes et autres Situationnistes, notamment dans « Le temps gage » .
* cf. le livre de Frédéric Martel
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